PROCES« Compte cette liasse ! », la vidéo surréaliste d’un procès pour corruption

Marseille : « Compte cette liasse ! », la vidéo surréaliste d’un fonctionnaire du conseil général accusé de corruption

PROCESLe procès d’un ancien fonctionnaire du conseil départemental des Bouches-du-Rhône accusé de corruption s’est ouvert par une caméra cachée accablante, où l’on voit ce cadre compter une liasse de billets d’un entrepreneur candidat à un marché public
Le conseil départemental des Bouches-du-Rhône
Le conseil départemental des Bouches-du-Rhône  - Anne-Christine Poujoulat / AFP / AFP
Mathilde Ceilles

Mathilde Ceilles

L'essentiel

  • Onze personnes comparaissent cette semaine devant le tribunal correctionnel de Marseille pour une vaste affaire de corruption dans l’attribution des marchés publics du conseil départemental des Bouches-du-Rhône.
  • Le procès s’est ouvert ce lundi matin par les caméras cachées filmées par un entrepreneur, qui immortalisent le pacte de corruption passé avec un cadre de la collectivité territoriale.

La caméra est discrètement cachée dans un sac à dos posé sur le siège du conducteur qui, méfiant, immortalise une scène digne d’un film. « Compte cette liasse ! » Saïd Meliouh, le réalisateur du jour, prend soin, sans se faire repérer, de bien remonter la caméra afin de cadrer, au centre de l’objectif, le visage de Renaud Chervet, qui ignore tout de ce qui est en train de se tramer. Il allume même le plafonnier, de sorte que l’on puisse identifier parfaitement sur la vidéo celui qui est alors un haut fonctionnaire du conseil départemental des Bouches-du Rhône.

Vêtu d’un manteau et d’une écharpe, ce cadre de la collectivité, qui a un rôle clé dans l’attribution de marchés publics, se saisit des centaines de billets de 50 euros que Saïd Meliouh lui tend, cette nuit de janvier 2016, quelque part à Marseille. Renaud Chervet se lèche les doigts, et compte un à un. « Je recompte, on est tranquille », explique-t-il, d’un ton calme. Au fur et à mesure que la somme grossit, un petit sourire s’esquisse sur le visage du cadre du conseil départemental. Le fonctionnaire enroule les billets et plonge les pots-de-vin dans la poche intérieure de son manteau. « Normalement, dans une semaine, je signe, rappelle Saïd Meliouh. Je te file encore 10.000 plus les 10.000 du [marché numéro] 6. Ça te fait 20.000. » Quelques minutes plus tard, Renaud Chervet promet d' « en mettre un de côté pour sûr », avant de quitter la voiture sur une plaisanterie.

La vidéo, point de départ d’une vaste enquête

Mais de rire, il n’était plus vraiment question ce lundi matin devant le tribunal correctionnel de Marseille. Il y a fort à parier que si Saïd Meliouh avait immortalisé cet instant, et conservé cette vidéo dans une clé USB retrouvée par hasard par les enquêteurs, ce n’était pas vraiment pour que les images soient diffusées par la justice, après avoir constitué le point de départ d’une vaste enquête qui a éclaboussé le conseil départemental des Bouches-du-Rhône.

Toute la semaine, une dizaine de personnes comparaît en effet dans cette vaste affaire de corruption, favoritisme, blanchiment et association de malfaiteurs, survenue entre 2012 et 2016. Une affaire dans laquelle Renaud Chervet, ancien directeur de la gestion, de l’administration et de la comptabilité du conseil départemental, est soupçonné d’avoir monnayé des informations techniques et financières permettant à des entreprises de s’assurer des marchés publics du conseil départemental.

« On dirait un James Bond »

Pendant de longues minutes, la présidente du tribunal fait diffuser les nombreuses vidéos que Saïd Meliouh a discrètement filmées depuis son sac à dos, lors de ces discussions sur le pacte de corruption scellé entre l’entrepreneur, Renaud Chervet et son complice. « On dirait un James Bond », sourit Céline Ballérini, à l’évocation du nom des fichiers vidéo conservés par Saïd Meliouh. Les images sont accablantes, bien que le son laisse parfois à désirer. « La prochaine fois, vous mettrez le sac à dos plus près », lance un sourire en coin la présidente du tribunal.

Face au grand écran qui diffuse les images, Renaud Chervet baisse la tête. Le visionnage se fait, la majorité du temps, sans lui. Il semble nerveux, remue sur le banc des accusés. Des centaines de milliers d’euros en liquide, des voyages lointains, des travaux à son domicile estimés à 120.000 euros, des véhicules haut de gamme, Renaud Chervet reconnaît entre deux sanglots « la quasi-totalité des faits ». « J’ai été ébloui par les repas, le strass, les cadeaux, justifie-t-il. A un niveau supérieur, on perd la tête. » Et d’affirmer « Quand vous avez fait revoir les cassettes, j’ai replongé dans un cauchemar d’il y a six ans et demi. J’ai ressenti un énorme sentiment de honte. Vraiment, chaque jour, j’y pense. » L’ancien fonctionnaire encourt jusqu’à dix ans de prison.