Heigh-ho, Heigh-hoTrois questions sur la future « méga-mine » de lithium du Massif central

En minant du lithium sur son territoire, la France se trompe d'« enjeu principal »

Heigh-ho, Heigh-hoParis espère renforcer l’indépendance européenne sur le marché des batteries au lithium
Lithium: La France ouvrira sa première mine d'ici 2027
Diane Regny

Diane Regny

L'essentiel

  • Le groupe français de minéraux industriels Imerys a annoncé ce lundi que l’une des plus grandes mines européennes de lithium verra le jour d’ici 2027 en France, dans le Massif central.
  • L’entreprise et l’Etat insistent sur ce projet « exemplaire sur le plan environnemental » qui permettra à la France de se défaire de sa dépendance à la Chine sur ce marché.
  • 20 Minutes revient sur ce giga projet et ses conséquences économiques et environnementales avec le soutien de Maria-Eugenia Sanin, maîtresse de conférences en économie à l’université Paris Saclay et experte de l’énergie et de l’environnement.

L’Hexagone veut mettre de côté la pompe à essence au profit de la poudre blanche. Ce lundi matin, le groupe français de minéraux industriels Imerys a annoncé le projet Emili, soit le lancement de l’une des plus grandes mines européennes de lithium. Ce métal alcalin est utilisé dans les batteries qui se nichent dans tous les recoins de notre vie quotidienne : voitures, smartphones, ordinateurs, etc. A l’ère du tout technologique et de la transition énergétique, ce projet d’excavation au cœur du Massif central est-il une bonne nouvelle ? Quel enjeu représente cette ressource pour la France et l’Europe ? 20 Minutes se penche sur ces questions, grâce à l’éclairage de Maria-Eugenia Sanin, maîtresse de conférences en économie à l’université Paris Saclay.

Pourquoi le lithium est-il un enjeu essentiel ?

« Le lithium est précieux et va l’être de plus en plus avec la transition énergétique et une offre limitée », souligne Maria-Eugenia Sanin, maîtresse de conférences en économie à l’université Paris Saclay. Il n’existe qu’une dizaine de projets européens d’exploitation de lithium et ils sont majoritairement modestes. Le projet Emili qui doit voir le jour à Beauvoir dans l'Allier (centre) d'ici 2027 a pour ambition de réduire la dépendance de l’Europe à la Chine sur le front du lithium. D’autant que le temps presse : l’Union européenne interdira la vente de véhicules neufs qui ne sont pas électriques à partir de 2035.

Mais l’enjeu du lithium va bien au-delà du parc automobile. Toutes les batteries ont besoin de ce métal alcalin pour fonctionner. De nombreux objets du quotidien en sont donc dépendants et notre système énergétique va de plus en plus s’appuyer sur les batteries. « En Europe, on l’évoque peu, mais un système qui utilise beaucoup d’énergies renouvelables s’appuie sur de nombreuses batteries pour compenser », explique l’experte des énergies et de l’environnement.

Autrement dit, quand il n’y a pas de vent, les éoliennes sont inutiles mais l’énergie qu’elles ont créée les jours de grand mistral peut être stockée avec des batteries. « C’est vrai que l’énergie renouvelable dépend du vent mais le gaz dépend de Vladimir Poutine », souligne Maria-Eugenia Sanin dans un sourire. D’autant qu’en créant un « réseau bien interconnecté », un pays peut être alimenté par des énergies renouvelables, ajoute-t-elle. Quand le soleil est au firmament, les panneaux photovoltaïques brillent, quand le vent est puissant, c’est au tour des éoliennes de prendre le relais. A l’heure de l’électrification de nos énergies, le lithium est donc un ingrédient essentiel mais son prix a explosé depuis 2021.

Cette carrière va-t-elle permettre de réduire notre dépendance à la Chine ?

Imerys prévoit de produire « 34.000 tonnes d’hydroxyde de lithium par an à partir de 2028 pour une durée d’au moins 25 ans » alors que la production mondiale actuelle de carbonate ou hydroxyde de lithium, les deux éléments utilisés dans les batteries, ne dépasse pas les 450.000 tonnes dans le monde. En moins de vingt ans, elle devrait être multipliée par 40 d’après l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Mais « ce n’est pas l’enjeu principal », assure d’emblée l’experte Maria-Eugenia Sanin.

« Sur le marché, actuellement, le lithium n’est produit que sur six sites dans le monde entier et la grande majorité vient d’Australie et d’Amérique du Sud », pas de Chine, explique-t-elle. S’il est vrai que l’extraction européenne de lithium est lilliputienne, l’Empire du milieu est loin d’en être le premier fournisseur. Pourtant, nos batteries sont bien estampillées Pékin, dans leur immense majorité : fidèle à sa réputation d'« atelier du monde », la Chine assemble les batteries du monde entier.

« Si on voulait être efficaces et rapides, il faudrait qu’on soit capable de produire les batteries nous-mêmes. Nous avons le savoir-faire industriel nécessaire et ça permettrait de réduire notre dépendance à la Chine bien plus que l’extraction de lithium à l’intérieur de nos frontières », décrypte Maria-Eugenia Sanin, qui ajoute qu’il serait tout à fait possible de développer des partenariats avec l’Australie ou des pays d’Amérique du Sud afin qu’ils nous envoient les matières premières nécessaires à l’assemblage des batteries. Développer cette filière permettrait aussi de travailler sur le recyclage des batteries alors que certains de leurs composants sont polluants et se font de plus en plus rares (comme le cuivre).

Cette mine présente-t-elle un risque environnemental ?

Imerys a particulièrement insisté sur le respect de l’environnement en présentant son projet Emili. Un axe de communication peu surprenant quand on sait qu’en janvier 2022, l’entreprise anglo-australienne Rio Tinto a dû abandonner son projet de mine de lithium en Serbie face aux contestations de la population. Le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a assuré que le projet était « exemplaire sur le plan environnemental et climatique » et le gouvernement français soutient l’ambition d’Imerys.

Le groupe estime les émissions à 8 kg de CO2 par tonne de lithium, contre 16 à 20 kg en Australie et Chine, d’après lui. « Le CO2, ce n’est pas véritablement le problème. Ce sont des émissions qui réchauffent la planète entière donc si elles sont rejetées en Chine, au Chili ou en France, c’est la même chose. La question importante, ce sont les impacts environnementaux locaux », réagit Maria-Eugenia Sanin. Et ces derniers inquiètent les associations. Le vice-président de France Nature Environnement, Antoine Gavet, s’est insurgé auprès de l’AFP du « mythe de la mine propre », assurant que ce projet provoquerait inévitablement une « pollution de l’eau » et « des quantités importantes de déchets qu’on ne sait pas gérer ».

Pour la maîtresse de conférences, « en choisissant d’exploiter une ressource de lithium en Europe, il faut se tenir à des conditions environnementales très strictes ». D’autant que l’Europe est très urbanisée, contrairement à d’autres pays - contrairement par exemple au centre de l’Australie, bien plus désertique.

L’évaluation environnementale du projet permettra de connaître les effets sur la biodiversité mais aussi sur l’économie locale, la santé des habitants du Massif central, etc. Alors, pour Maria-Eugenia Sanin, « le fait que cette mine de lithium soit une bonne idée ou pas dépend de l’évaluation environnementale ». Une évalution attendue avec impatience.