Hors-terrainN’y a-t-il pas trop de participants sur une course comme Marseille-Cassis ?

Course à pied : « J’ai passé mon temps à zigzaguer »… N’y a-t-il pas trop de participants sur Marseille-Cassis ?

Hors-terrainLa course événement de 20 km va une nouvelle fois accueillir 20.000 personnes, dimanche (9 heures) à Marseille. Peut-on vraiment prendre du plaisir et apprécier les paysages au milieu d’une foule aussi imposante ?
Marseille-Cassis accueillera pas moins de 20.000 participants, dimanche matin, sur son format unique de 20 km.
Marseille-Cassis accueillera pas moins de 20.000 participants, dimanche matin, sur son format unique de 20 km. - Laurent Gayte / Laurent Gayte
Jérémy Laugier

Jérémy Laugier

L'essentiel

  • Un jeudi sur deux, dans sa rubrique « hors-terrain », 20 Minutes explore de nouveaux espaces d’expression du sport, inattendus, insolites, astucieux ou en plein essor.
  • Cette semaine, nous nous consacrons aux courses à pied qui rassemblent parfois plusieurs milliers de participants, comme sur la mythique Marseille-Cassis (20 km), où s’élanceront encore 20.000 coureurs, dimanche à 9 heures.
  • Est-il véritablement possible de profiter des paysages d’une telle course, comme de celles des multiples courses de trail en montagne, lorsqu’on côtoie autant de coureurs durant toute l’épreuve ?

Il est difficile de croire qu’un jour, seulement 700 amateurs de course à pied avaient pu participer à Marseille-Cassis. Bon, à cette époque, François Mitterrand n’avait pas encore été à la tête de la République et Joe Dassin était toujours de ce monde. Mais quand une marée humaine de 20.000 coureurs va s’élancer, dimanche (9 heures), du boulevard Michelet, aux abords du stade Vélodrome, chacun de ces participants pourrait fantasmer ce contexte quasi confidentiel qui entourait l’un des plus emblématiques événements de running en 1979. Le nombre des coureurs avait déjà doublé en 1980, avant de grandir au point d’atteindre la barre des 20.000 à partir de 2018, en raison du déménagement de l’arrivée, du charmant port de Cassis au cœur des vignes sur les hauteurs de la ville, pour répondre aux contraintes de sécurité suivant l’attentat de Nice. Cette imposante dimension ne devient-elle pas problématique, lorsqu’on souhaite pouvoir courir à son rythme et apprécier au mieux de superbes paysages ?

Nicolas Manificat (43 ans), qui a bouclé les 20 km de l’épreuve en 1h49 en 2019, regrette clairement cette affluence XXL sur Marseille-Cassis : « C’est très sympa d’organiser un événement populaire, mais j’ai passé toute ma course au milieu d’une foule hyper dense. J’ai doublé près de 5.000 personnes au total et j’ai passé mon temps à zigzaguer et à tenter d’éviter de marcher sur les pieds des gens. Ça reste un bon souvenir mais c’était fatigant nerveusement. La belle vue sur le Vieux-Port, je l’ai à peine aperçue… »

« Partager un mythe »

Benoît (51 ans), qui va encore venir spécialement de Metz pour participer pour la 14e fois à cette course, n’est pas de cet avis : « Je me souviens qu’avant 2017, le port de Cassis était vraiment surchargé, ce qui devenait quasiment ingérable pour les secours. C’est sûr qu’on ne peut jamais être seul quelque part entre Marseille et Cassis. Mais cette foule autour de moi ne m’a jamais trop gêné. Je trouve que c’est même assez grisant de doubler beaucoup de monde ».

Du côté de l’organisation, on estime que cette jauge limitée à 20.000 participants (avec 7.500 personnes sur liste d’attente cette année) ne perturbe pas le bon déroulé de l’épreuve. Responsable de la communication de l’événement, Mélanie Uzan résume : « C’est la preuve que sur une telle course de masse, comme sur le semi-marathon de Paris, où ils sont même 44.000 au départ, les gens sont là pour autre chose que pour la quête d’une performance. Ils viennent pour le plaisir de partager un mythe, une histoire qu’on veut inclure dans sa vie de coureur. »


« Des bouchons dangereux en montagne »

La 42e édition de Marseille-Cassis inclut huit vagues, séparées au total de 20 minutes en fonction des niveaux de performances sur de précédentes épreuves. Et ce afin de tenter de fluidifier au mieux la course, avec une cinquantaine de coureurs élite internationaux situés en tête de cortège. Comme sur la plupart des événements de running, les systèmes de sas et de vagues se sont donc développés au fil du temps à Marseille, et encore davantage après une année 2020 quasi blanche en raison du Covid-19. « C’est l’expérience de l’édition précédente qui permet à chaque fois de déterminer sur quelle jauge on peut partir, pour atteindre une forme d’équilibre », confie Mélanie Uzan. A savoir un « équilibre » entre la satisfaction de la majorité des inscrits, la préservation de la nature, et un modèle économique vertueux. Organisateur du Grand Trail Serre-Ponçon (formats de 18 à 164 km) depuis 2021, Jean-Michel Faure-Vincent détaille l’équation.

« Au départ, tu es obligé de déterminer un peu au hasard ta jauge de coureurs. Ce qui est essentiel, c’est de réussir à écrémer ta course, par exemple grâce à une grosse montée, avant que n’arrive un point de passage problématique qui va avoir un effet entonnoir. Quitte à se freiner un peu sur nos rentrées budgétaires, on a préféré refuser plein de gens. Car des bouchons en montagne peuvent vite devenir dangereux selon les conditions de la course. » »

La Maxi-Race a connu un couac en 2019

La Maxi-Race d’Annecy (entre 16 et 90 km) est bien malgré elle devenue une référence en la matière, après avoir connu une grosse galère sur son édition 2019, avec de spectaculaires bouchons. Il faut dire que le format de marathon race en question (41 km et 3.300 m de D +) venait de connaître une augmentation de 300 coureurs par rapport à l’année précédente (2.000 au lieu de 1.700). « Le problème, c’est qu’on ne peut pas savoir s’il y aura un jour un bouchon sur sa course avec cette jauge… jusqu’à ce qu’on en constate un de ses propres yeux », note Stéphane Agnoli, organisateur de la Maxi-Race depuis la première édition en 2011.

Celui-ci a vite tiré des leçons du couac de 2019 : « Cette année-là, entre 500 et 600 coureurs sensiblement du même niveau sont partis en même temps. Cela a contribué à ne jamais étirer la course et à entraîner ces bouchons. On fait désormais attention à éviter que trop de gens aux indices de performance comparables (la cote ITRA ou UTMB) partent dans la même vague. Et on a séparé les différentes vagues de 8 à 10 minutes, contre 5 minutes en 2019 ».


La Maxi-Race, qui propose un tour du lac d'Annecy par les montagnes, présente de nombreux chemins monotraces.
La Maxi-Race, qui propose un tour du lac d'Annecy par les montagnes, présente de nombreux chemins monotraces. - Cyrille Quintard

« Une réduction drastique », de 10.000 à 6.500 coureurs

Alors qualifiée d'« usine à fric » par une partie du monde du trail running, la Maxi-Race est surtout devenue « l’un des rares événements à réduire drastiquement » son nombre de participants. De 10.000 personnes sur l’ensemble des formats en 2019 à une jauge maximale de 5.000 en 2021 et 2022 (avec des contraintes liées au Covid-19), puis à 6.500 à partir de la prochaine édition, en mai 2023 à Annecy. Pour le format marathon qui avait coincé en 2019, il n’y a plus que 1.500 inscrits, et « des passages anxiogènes créant des ralentissements ont été retirés ». Comment l’organisation de la course peut-elle par contre s’y retrouver sur le plan économique ? « Il nous fallait un point d’équilibre financier, donc nos partenaires privés sont venus compenser, que ce soit Salomon ou de nouveaux partenaires, précise Stéphane Agnoli. Pour pouvoir proposer une course plus qualitative aux gens, il faut éviter que son financement ne tourne qu’autour d’un nombre maximal de coureurs. »

Le Mosellan Sébastien Braun (41 ans), qui a participé à plusieurs dizaines de courses dans toute la France, se souvient avoir davantage « piétiné » sur de petits trails que sur des gros marathons ou semis sur route. « A Paris par exemple, c’est tellement grand et le flux est tellement maîtrisé par l’organisation, grâce aux nombreux sas, qu’il n’y a aucun souci, constate-t-il. Par contre, sur des trails d’une quinzaine de kilomètres, il y a parfois très vite des escaliers en colimaçon ou un passage où il faut ramper sous un rocher. Dans ces conditions-là, tu as l’impression d’être à l’arrêt pendant toute une course et tu ne peux pas prendre de plaisir. »


Le panorama de la course Marseille-Cassis a peu d'équivalent en France, surtout lorsque l'été indien est de la partie.
Le panorama de la course Marseille-Cassis a peu d'équivalent en France, surtout lorsque l'été indien est de la partie. - Laurent Gayte

« Les Français sont hyper exigeants »

Côté plaisir (des yeux) justement, peut-on vraiment profiter des jolis paysages durant une course, entre la concentration et les douleurs qui monopolisent l’esprit des participants, et donc cette impressionnante foule à dompter comme sur Marseille-Cassis ? « Oui, ce qui charme à chaque fois les gens et qui les incite à revenir, c’est ce panorama incroyable qu’on peut leur offrir, souvent en plein été indien, assure Mélanie Uzan. On voit de nombreux coureurs s’arrêter pour prendre des photos et filmer. » Benoît, notre habitué de Marseille-Cassis, nuance : « La vue qu’on a sur l’ensemble des coureurs, lorsqu’on se trouve en haut du col de la Gineste, est sympa. Mais c’est davantage pour l’ambiance conviviale et extrêmement détendue que je reviens chaque année. »


Notre dossier Hors-Terrain

Stéphane Agnoli est persuadé que surplomber le lac d’Annecy est un plus notable pour sa course : « J’étais surpris de constater, cette année, que même ceux qui jouaient la gagne tournaient la tête pour apprécier les jolis spots. » A trois jours de Marseille-Cassis, l’organisateur de la Maxi-Race a le mot de la fin au sujet de ce débat sur les +/- entourant pareille épreuve huuuuuuge : « Si les coureurs veulent réussir le meilleur chrono possible, ils iront sur une course où il n’y a pas trop de participants. A partir du moment où ils vont au marathon de New York ou de Paris, ils savent qu’ils arrivent sur un main event, au milieu d’une masse de coureurs. Et c’est cette masse qui doit les faire vibrer. Après, on note que les Français râlent davantage au sujet de l’organisation et qu’ils sont hyper exigeants par rapport aux autres nationalités européennes qu’on accueille. » Le Français râleur, quel est donc encore ce mythe ?