Fake offL’immunité parlementaire protège-t-elle « 24 h/24 » ? Non

L’immunité parlementaire de Martine Wonner la protège-t-elle « 24 h/24 » ? Non

Fake offL’ex-députée et psychiatre Martine Wonner a été convoquée devant la chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins du Grand-Est pour des propos tenus sur Twitter ou dans des manifestations publiques
L'ex-députée Martine Wonner lors d'une manifestation contre le pass sanitaire le 17 juillet 2021.
L'ex-députée Martine Wonner lors d'une manifestation contre le pass sanitaire le 17 juillet 2021. - JEANNE ACCORSINI / SIPA
Le service Fake Off

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L'essentiel

  • L’immunité parlementaire est mise en avant par les défenseurs de Martine Wonner, ex-députée et médecin psychiatre. Elle a été convoquée le 4 novembre par la chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins pour des propos tenus sur Twitter ou lors de manifestations contre les mesures sanitaires prises pendant la pandémie de Covid-19.
  • Sur Sud Radio le 7 novembre, Martine Wonner a fait valoir sa liberté d’expression liée à sa fonction de parlementaire entre 2017 et 2022.
  • Mais l’immunité parlementaire est « limitée dans son domaine » souligne Sophie de Cacqueray, maîtresse de conférences en droit public à l’université d’Aix-Marseille. « Il faut que les opinions et les votes se rattachent à la fonction parlementaire, poursuit-elle. Ne sont pas couverts les propos qui sont tenus à l’extérieur de l’Assemblée ou les tribunes qui peuvent être publiées. »

Quelles sont les limites de la protection offerte par l’immunité parlementaire ? C’est en creux la question posée après la convocation de Martine Wonner devant la chambre disciplinaire du conseil régional de l’Ordre des médecins du Grand Est le 4 novembre. L’ex députée, opposée aux mesures sanitaires durant la crise du Covid-19, défend la liberté d’expression pour ses prises de position en tant que parlementaire. Elle l’a souligné à la sortie de son audition devant quelque 200 personnes venues en soutien : « Tout ce qui m’a été reproché a été reproché en tant que députée. Quand on est élue, on est élue 24h sur 24h. Il n’y a pas de séparation possible. »

« C’est en permanence en tant que parlementaire, que députée de la Nation que j’ai tenté de faire entendre la voix des citoyens qui ne comprenaient pas pourquoi il y avait ces confinements, ces restrictions, pourquoi ils ne pouvaient brutalement plus aller voir leur médecin traitant », a-t-elle aussi déclaré sur Sud Radio lundi 7 novembre 2022.

A l’antenne, elle explique qu’il lui « est reproché d’avoir dit dans l’hémicycle que les masques ne servaient à rien, d’avoir remis en cause l’utilité des tests PCR, leur fiabilité ». Et indique avoir été menacé « très directement » par Olivier Véran « dans l’enceinte de l’Assemblée nationale », qui lui aurait dit « vous verrez bien ce que vous allez prendre quand vous ne serez plus parlementaire parce que justement vous ne serez plus couverte par l’immunité parlementaire ».

[Ce qui est inexact, Olivier Véran lui a dit le 24 février 2022 dans l’hémicycle, après que la députée a déclaré que le vaccin pouvait causer des « fausses couches », des « cancers multiples », « la maladie de Creutzfeld Jacob » ou « le sida », que : « Chacun ici est couvert par l’immunité parlementaire. […] Parfois, les mandats s’arrêtent un jour et parfois, celles et ceux qui continueront de tenir ces propos-là seront alors susceptibles de rendre compte devant la justice. Je le dis pour madame Wonner. »]

C’est au nom de cette immunité parlementaire « totale » que Jean Lassalle lui a également apporté son soutien dans une lettre, outré qu’on lui reproche des faits qui se sont passés « dans l’hémicycle ou directement en lien avec l’activité parlementaire ».

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Comment fonctionne cette immunité parlementaire ? L’article 26 de la Constitution garantit « une liberté d’expression totale des parlementaires dans l’exercice de leurs fonctions », souligne d’abord Jean-Eric Gicquel, professeur de droit constitutionnel et parlementaire à l’université Rennes-1.

« L’immunité recouvre deux choses, détaille Sophie de Cacqueray, maîtresse de conférences en droit public à l’université d’Aix-Marseille, ce que l’on appelle l’irresponsabilité, qui est destinée à protéger l’indépendance du mandat et qui nous intéresse ici, et l’inviolabilité, qui est destinée à protéger l’exercice du mandat contre des poursuites judiciaires abusives. »

Une irresponsabilité « limitée dans son domaine »

L’irresponsabilité est défendue par la disposition de l’article 26, indiquant « qu’aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ».

Si cette irresponsabilité est « totale », c’est-à-dire qu’elle couvre « tous les axes relatifs à la fonction parlementaire », et « perpétuelle » – elle demeure même après la fin du mandat –, elle est « limitée dans son domaine » souligne Sophie de Cacqueray. « Il faut que les opinions et les votes se rattachent à la fonction parlementaire, poursuit-elle. Ne sont pas couverts les propos qui sont tenus dans les couloirs de l’Assemblée ou à l’extérieur de l’Assemblée ou les tribunes qui peuvent être publiées. »



Ces précisions sont apportées par l’article 41 de la loi sur la liberté de la presse de 1881, modifié par l’ordonnance du 17 novembre 1958 : « Ne donneront ouverture à aucune action les discours tenus dans le sein de l’Assemblée nationale ou du Sénat », « les rapports ou toute autre pièce imprimée par ordre de l’une de ces deux assemblées », ainsi que « les propos tenus ou les écrits produits devant une commission d’enquête ».

Des fonctions de parlementaire « précises et définies »

L’interprétation élargie de l’exercice des fonctions de député « 24h/24h » est erronée nous indiquent les deux professeurs de droit. « A ce compte-là, il y aurait une protection qui serait absolue, pointe Jean-Eric Gicquel. Il faut quand même une limite, et la limite, c’est dans l’exercice de vos fonctions. » « Ça sous-entendrait que le député est intouchable, mais ce n’est pas ça, abonde Sophie de Cacqueray. Il est protégé dans l’exercice de ses fonctions à l’Assemblée nationale. Sorti de là, il est un citoyen comme les autres et sa liberté d’expression existe, mais est limitée par un ensemble de lois ou de règles, comme les incitations à la haine. » Et ajoute : « Une chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins a tout à fait possibilité de sanctionner pour une violation du code de déontologie médicale. »


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Qu’est-il entendu par l’exercice des fonctions ? « Les fonctions sont précises et définies par l’article 24 de la Constitution : c’est légiférer et contrôler l’action du gouvernement, détaille le professeur de droit parlementaire. On en déduit que des propos tenus lors d’un débat législatif, lors des examens de contrôle, lors d’une évaluation de politique publique sont couverts, mais les propos tenus à l’extérieur, lors d’un meeting ou sur Twitter, ne le sont pas. Le parlementaire n’agit plus dans le cadre de ses fonctions, il n’est plus législateur, il ne contrôle plus l’action du gouvernement et, donc, il ne peut pas bénéficier de l’irresponsabilité de l’article 26 de la Constitution. »

« Il n’a jamais été reproché à Madame Wonner ses propos tenus dans l’hémicycle »

C’est d’ailleurs ce qu’ont soutenu les plaignants, un collectif de médecins, l’association NoFakeMed, et le Conseil national de l’Ordre des médecins (Cnom), lors de la convocation de Martine Wonner. Les propos diffusés sur son compte Twitter, où elle se présente comme psychiatre, ou tenus lors de manifestations publiques sont au cœur des plaintes, nous confirme maître Jean-François Segard, conseil du collectif NoFakeMed, et non pas ceux tenus au sein de l’hémicycle.

« Il n’a jamais été reproché à Madame Wonner ses propos tenus dans l’hémicycle, explique maître Jean-François Segard. Les griefs n’évoquent que des propos tenus sur les réseaux sociaux, en public, sur les antennes de médias et qui ont été consignés dans un constat d’huissier. »

Des propos tenus sur Twitter ou lors de manifestations

Lors de l’audience, « un parallèle très précis a été fait entre les dispositions de l’article 26 de la Constitution et la jurisprudence dans son application concernant l’immunité parlementaire, précise-t-il. Je l’ai dit en plaidant : madame Wonner a déclaré dans l’hémicycle que les masques ne servaient à rien. Nous ne lui reprochons pas, c’est effectivement couvert par l’immunité parlementaire. »


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Lui ont été reprochés lors de l’audience des « faits erronés ou non prouvés scientifiquement » comme la déclaration, lors d’une manifestation contre le port du masque que « le virus ne tue pas plus qu’une autre pandémie de type grippal », d’avoir diffusé sur Twitter des « protocoles de soins » contre le Covid « sans fondement scientifique » (notamment l’ivermectine ou l’hydroxychloroquine) ou d’avoir dit que les tests PCR donnaient de faux résultats.

L’argument de l’immunité parlementaire a déjà été rejeté dans une précédente affaire. Pour des propos partagés sur Twitter et dans le documentaire complotiste Hold-Up au sujet de la pandémie de Covid-19, Alain Houpert, sénateur LR de la Côte-d’Or et radiologue, a été sanctionné. La chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins de Bourgogne Franche-Comté a prononcé le 4 novembre 2022 une interdiction d’exercer la médecine de 18 mois au total, dont neuf avec sursis pour « fautes déontologiques ». Dans le Grand-Est, la chambre disciplinaire de l’Ordre des médecins doit se prononcer le 25 novembre par rapport aux plaintes déposées contre Martine Wonner.