Doutes« L’armée russe se retranche », mais ne recule pas très loin de Kherson

Guerre en Ukraine : « Les images satellites confirment que l’armée russe se retranche sur la rive gauche du Dniepr »

DoutesDepuis l’annonce du retrait russe de Kherson, Kiev se méfie et craint un piège
« Allez Michel, oublie pas ta casquette », l'armée russe fait bien ses bagages à Kherson. (illustration)
« Allez Michel, oublie pas ta casquette », l'armée russe fait bien ses bagages à Kherson. (illustration) - /AP/SIPA / SIPA
Xavier Regnier

Propos recueillis par Xavier Regnier

L'essentiel

  • Le général russe Sourovikine a proposé le retrait des troupes russes de Kherson, une décision approuvée hier par Moscou.
  • Depuis, Kiev se méfie. « Il est impossible de croire les paroles des Russes. Avec eux il faut toujours être prêts à tout », a estimé la ministre adjointe de la Défense ukrainienne, Hanna Malyar. L’Ukraine craint notamment que des soldats russes soient restés dans la ville pour prendre l’armée ukrainienne par surprise en livrant une guérilla.
  • « Les premières images satellites et les informations officielles confirment que les troupes russes se retirent sur la rive gauche du Dniepr », affirme toutefois l’ancienne journaliste Gaël Guichard à 20 Minutes. Mais difficile selon elle de déceler les intentions russes pour la suite à partir de ce mouvement de troupe stratégique.

Il y a quelques semaines, Kherson devenait « officiellement » russe aux yeux du Kremlin, Vladimir Poutine assurant qu’elle faisait partie « pour toujours » de la Fédération de Russie après les référendums d’annexion. Depuis, les forces russes ont fait évacuer la ville à la population, avant d’annoncer leur propre retraite. De quoi nourrir quelques doutes à Kiev. Alors, cette annonce cache-t-elle un piège tendu par Moscou ? Quelles sont les véritables intentions de la Russie ? L’état-major doit-il trembler devant ce nouveau revers ? 20 Minutes a interrogé Gaël Guichard, ancienne journaliste spécialiste de l’Ukraine et de la Russie, qui a participé avant la guerre à une mission d’observation à Lougansk de l’OSCE.

Peut-on vraiment croire l’armée russe quand elle annonce son retrait de Kherson ?

A priori oui. Les premières images satellites et les informations officielles confirment que les troupes russes se retirent sur la rive gauche du Dniepr, dans les villages d’Olechky et Kardashynka. Mais ils ne quittent pas l’oblast de Kherson.

Comment expliquer cette décision ?

Elle est présentée comme stratégique car bien que la Russie assure intercepter plus de 80 % des missiles ukrainiens, la sécurité de la population, des troupes et des appelés est prioritaire. Pour la garantir, il fallait, selon le général Sourovikine, se retrancher sur la rive gauche. Mais contrairement à ce qu’on voit circuler, il n’y a pas d’argument sur la fragilité des ponts et des constructions sur le Dniepr, et sur un risque d’inondation, qui a été avancé.

Est-ce qu’il peut tout de même s’agir d’un piège pour attirer l’armée ukrainienne ?

Les Russes ont l’habitude de dire que le plan sera montré par la guerre, autrement dit ils ne planifient pas vraiment, mais ils mettent en place une stratégie une fois sur le terrain. Sauf que dans cette guerre, on ne voit jamais leur stratégie. Est-ce que des soldats restent sur la rive droite pour mener des opérations, une guérilla ? C’est possible, mais on est sur des conjectures, sur ce qu’une guerre peut devenir, et pas sur ce que l’on sait de ce qui se passe sur le terrain. Si c’est le cas, aucune information ne filtrera du Kremlin de toute façon.



Quelles conséquences ce retrait peut-il avoir au Kremlin et au sein de l’état-major ?

D’abord, le retrait a été approuvé par le ministre des Armées. C’est toujours possible de voir des têtes tomber, le général être dénoncé dans deux ou trois mois, mais aujourd’hui la décision n’est pas remise en cause. En revanche, il y a une forme d’incompréhension d’une partie de la population, un mois après le discours de Vladimir Poutine sur Kherson qui fait partie « pour toujours » du territoire de la Russie.

De là à désavouer la stratégie de Vladimir Poutine ?

Il y a un véritable soutien d’une partie de la population à cette offensive. Les gens ont vraiment été convaincus par la propagande que si l’armée russe recule, ils vont être envahis par les troupes de l’Otan. Mais Poutine n’est pas dans une situation comme au début des années 2000. Il n’y a pas de levée de boucliers des mères de soldats, comme pendant la guerre en Tchétchénie. D’ailleurs, ceux qui ont dit que la mobilisation marquerait un tournant se sont trompés : il y a certes des jeunes qui ne veulent pas être enrôlés, mais beaucoup l’acceptent pour diverses raisons, parce qu’on leur offre un meilleur salaire, parce qu’ils ont peur d’éventuelles représailles pénales qui en réalité n’existent pas, ou par conviction.

Alors se retrancher sur la rive gauche du Dniepr, c’est un moyen de faire passer l’hiver en refaisant les stocks ? Une base pour négocier ?

C’est très difficile de faire des pronostics. A priori, Poutine n’ira pas à la table des négociations, car pour lui, accepter un compromis où il perdrait une partie du terrain acquis serait incompréhensible dans la population russe. Il y a un vrai soutien. On le retrouve dans le fait qu’effectivement les soldats témoignent de manque de matériel, de vêtements, de munitions. L’une des solutions est de faire appel à la population, et les gens donnent. Il y a des fonds d’aide pour acheter des chaussettes épaisses, des sacs de couchage d’hiver, bref des choses vitales. Le retrait est probablement une façon d’éviter un trop gros massacre et d’assurer l’approvisionnement des appelés avec du matériel adapté à l’hiver. Mais seul l’avenir nous dira si les Russes refont une offensive.