IRRIGATIOnComprendre les projets de méga bassines en France en trois questions

Méga bassines en France : Comprendre ces projets de retenues d’eau en trois questions

IRRIGATIOnUne centaine de réserves, remplies en pompant dans les nappes phréatiques, serait envisagées à l’échelle nationale
La première méga bassine à avoir été mise en eau dans les Deux-Sèvres, à Mauzé-le-Mignon.
La première méga bassine à avoir été mise en eau dans les Deux-Sèvres, à Mauzé-le-Mignon.  - Philippe Lopez / AFP
Elsa Provenzano

Elsa Provenzano

L'essentiel

  • Plus d’une centaine de bassines sont en projet en France pour aider les agriculteurs à irriguer leurs cultures en été.
  • Remplies à partir de pompage dans les nappes phréatiques, ces retenues d’eau sont très critiquées par les défenseurs de l’environnement et des scientifiques.
  • Présentées comme une façon de réduire les prélèvements en été, lorsque les niveaux des nappes sont les plus bas, ces bassines exposent aussi la ressource aux bactéries et à l’évaporation.

Avec les manifestations à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) contre les bassines, la visibilité de ces projets de création de gigantesques réserves d’eau à partir du pompage dans les nappes phréatiques a pris une ampleur nationale. Partant du constat d’années de plus en plus marquées par les sécheresses, ces réserves d’eau sont présentées comme indispensables par les autorités pour irriguer les cultures et s’adapter au réchauffement climatique. Les opposants à ces méga bassines (la Confédération paysanne, les associations environnementales et des scientifiques) alertent sur la mise en péril de millions de mètres cubes de cette ressource pour le profit des grandes exploitations intensives, qui seront les seules raccordées aux bassines.



  • En quoi consistent les projets de méga bassines en France ?

Au moins une centaine de projets de bassines existent dans l’Hexagone, dont 60 dans le seul Poitou-Charentes. Ces retenues artificielles dont le fond est couvert de plastique sont alimentées en pompant dans les nappes phréatiques superficielles en hiver, lorsque la réserve en eau est la plus abondante. Une première bassine a été mise en eau l’hiver dernier à Mauzé-le-Mignon et c’est sur le chantier de construction de la deuxième, celle de Sainte Soline, que des manifestations ont eu lieu fin octobre.

Quelques 25 réserves de substitution existent déjà dans le sud de la Vendée (installées entre 2007 et 2017) et pour la préfecture de la Vienne qui vient de signer un protocole d’accord pour 30 bassines les retours sont très positifs. Elle souligne une « réduction de 60 % des prélèvements estivaux et une remontée des nappes phréatiques ». L’objectif affiché est de « sécuriser les approvisionnements en eau et de réduire les prélèvements en période estivale ».

Les bassines sont raccordées aux forages existants dans les nappes pour le remplissage en hiver. Et des raccordements vers les exploitations et les champs à irriguer vont être installés depuis les bassines.

  • Que reprochent les opposants aux projets de réserves d’eau ?

« Le premier enjeu c’est une iniquité de traitement entre ceux qui seront reliés aux bassines et ceux qui ne le seront pas », estime Nicolas Girod, porte-parole national de la Confédération paysanne. Dans les Deux-Sèvres, si les 16 bassines sont creusées comme cela est prévu, seuls 6 % des agriculteurs du département y seront raccordés. « On leur dit [aux agriculteurs non raccordés] qu’ils seront plus tranquilles pour venir pomper en été puisque les nappes seront ménagées grâce aux réserves d’eau mais ce n’est pas du tout sûr compte tenu de l’état des nappes, explique Nicolas Girod. On peut imaginer que les restrictions de prélèvements arrivent encore plus tôt dans la saison et elles ne concerneraient alors que les agriculteurs non raccordés. »

Pour Christian Amblard, directeur de recherche honoraire au CNRS, hydrobiologiste, l’idée de bassines est « simpliste » et délétère pour la ressource. « On remonte l’eau en surface depuis les nappes, on l’expose au soleil, on augmente sa température ce qui conduit au développement de bactéries et de cyanobactéries dont certaines sont toxiques : on détruit la qualité de la ressource », alerte-t-il. Il met aussi en garde contre la perte considérable de volumes liée à l’évaporation. « Une étude réalisée sur les grands lacs nord américains montre qu’ils perdent, selon l’exposition et l’ensoleillement, entre 20 et 60 % de leurs ressources en eau par évaporation, c’est tout à fait considérable. » Il pointe aussi un effet pervers de cette eau disponible en quantité pour l’irrigation qui peut pousser à un usage non raisonné. Les autorités mettent en avant sur ce point « un outil de pilotage pour ajuster l’irrigation à l’humidité du sol, aux conditions météorologiques et aux besoins de la culture ».

L’hydrobiologiste Christian Amblard s’inquiète aussi d’un assèchement des sous-sols, qui devraient aboutir à diminuer voire tarir les débits des sources qui affleuraient grâce à ces réserves souterraines.

  • Que proposent-ils de leur côté ?

Les détracteurs de ces projets commencent par expliquer que le manque d’eau est un effet du ruissellement qui empêche l’infiltration de la ressource dans les sols. Notamment à cause du tassement par des engins agricoles de plusieurs tonnes, ils ne sont plus capables d’absorber l’eau et c’est sur cette problématique qu’il faudrait travailler en priorité selon eux.

« Ce modèle de bassine ne conduit pas à un changement de modèle agricole, il conduit juste à permettre la poursuite de celui dont on connaît les ravages (disparition des paysans, agrandissement des fermes…), résume Nicolas Girod. On leur donne les moyens de continuer avec ce modèle ». La Confédération paysanne estime qu’il faut œuvrer à favoriser l’infiltration dans les nappes en développant l’agriculture biologique et l’agroforesterie.

Le syndicat a demandé à rencontrer la Première ministre Elisabeth Borne en charge de la planification écologique, sur ce sujet. Ancienne préfète du Poitou, elle connaît bien ce dossier explosif des bassines.