FAKE OFFPourquoi parler de « misère sexuelle » ne veut rien dire du tout

Sexisme : Le terme « misère sexuelle » ne veut rien dire (et devrait même disparaître)

FAKE OFFIl est le plus souvent utilisé pour légitimer des pratiques sexuelles violentes, majoritairement des hommes sur les femmes
Illustration d'un couple en crise
Illustration d'un couple en crise -  TPH/SIPA / SIPA
Lina Fourneau

Lina Fourneau

L'essentiel

  • Sur les réseaux sociaux, les femmes sont souvent accusées de jouer avec « la misère sexuelle » des hommes.
  • Mais le terme ne veut rien dire scientifiquement et légitime même des pratiques favorisant la culture du viol.
  • Pour mieux comprendre l’imaginaire autour du terme, « 20 Minutes » a rencontré une anthropologue, une historienne et un psycho-sexologue.

Comme un cri d’alerte. Le 24 octobre dernier, sur Twitter, la déjà bien célèbre twitcheuse Maghla a publié un thread pour dénoncer tout le cyberharcèlement qu’elle subissait en ligne. Les exemples ne manquent pas : photomontages pornographiques, messages insultants, vidéos de masturbation… Tout y passe. Après sa publication, la streameuse a reçu de nombreux soutiens et certaines vidéastes ont à leur tour souhaité témoigner.

A contrario, d’autres commentaires ont accusé les streameuses d’être responsables de ces comportements. « Les streameuses qui jouent sur la misère sexuelle des hommes, mais qui osent se plaindre de recevoir beaucoup de messages qui parlent de leurs corps c’est vraiment un culot incroyable », accuse un internaute. « Je me demande si un jour une streameuse va percer normalement et sans utiliser la misère sexuelle des hommes », dénonce un autre. Un terme attire notre attention dans ces multiples publications abjectes : « la misère sexuelle ». Le concept a-t-il une quelconque réalité ? Et que se cache-t-il derrière ? 20 Minutes revient sur une expression souvent très sexiste.

FAKE OFF

Allons-y sans préliminaire : le terme « misère sexuelle » ne veut rien dire. « Il ne correspond à aucune notion en sexologie », explique d’emblée le psycho-sexologue Sébastien Landry. « C’est comme l’idée de besoin sexuel, ça n’existe pas. La sexualité n’est pas un besoin. Nous pouvons arrêter notre activité sexuelle, et nous n’allons en aucun cas en mourir ». Il existe même plusieurs biais à l’utilisation de ce terme, explique de son côté l’anthropologue et chercheuse au CNRS Mélanie Gourarier. « Parler de misère sexuelle renverrait à une absence de sexualité normale. Or, considérer qu’il existe une sexualité « normale » est en soi problématique. Les normes sexuelles ont été définies par les médecins qui ont conseillé – en fonction des époques – abstinences ou pratiques régulières, mais le fait que ces normes changent montre en soi leur variabilité historique et sociale et donc qu’il n’existe pas et pour personne de sexualité normale ! », rappelle l’autrice du livre l’Alpha mâle.


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En effet, si le terme « misère sexuelle » n’a pas toujours existé, il a grandi à travers les époques dans une société où le pouvoir des hommes dominait largement. Il traduirait même l’idée qu’un homme en misère sexuelle est un homme en mauvais état. « C’est là où ça devient politiquement problématique : la bonne vie sexuelle serait à la fois une nécessité sanitaire et sociale mais aussi un droit : un droit d’accès à la sexualité. Or, il n’est jamais question que de la misère sexuelle que subiraient les hommes. Vous voyez vite où ça nous mène : parler de misère sexuelle des hommes, c’est légitimer en quelque sorte un droit d’accès au corps des femmes pour les hommes », avance Mélanie Gourarier.

Par ailleurs ce terme semble oublier le fait que femmes peuvent avoir autant (voire plus) d’appétit sexuel que les hommes, soutient Sébastien Landry. « Mais dans l’inconscient collectif, on a voulu faire croire que l’homme avait un besoin sexuel beaucoup plus grand que les femmes », compare le psycho-sexologue.

Des comportements historiques

Comme nous l’expliquions plus tôt, l’imaginaire du besoin sexuel de l’homme s’est aussi construit à travers les époques. Au fur et à mesure du temps, l’idée que les femmes appartenaient aux hommes et qu’elles devaient ainsi servir les hommes le plus dans le besoin a été de plus en plus ancrée dans la société.

Les exemples ne manquent d’ailleurs pas dans l’Histoire. « Des recherches ont déjà montré qu’il existait au XVIIIe siècle des viols de servantes ou de bergères. Ces agressions étaient alors considérées comme moins importantes que celles que pouvaient subir des femmes de bonne famille. Cela permettait aux familles qui avaient un honneur de le conserver par la virginité de leur fille », résume l’historienne Maëlle Bernard. A travers les époques, plusieurs constats reviennent : « l’objectification des femmes ou encore la différence des rôles dans la sexualité où l’homme doit être actif et la femme passive ». L’utilisation du terme « misère sexuelle » en fait partie.

Le danger de légitimer le viol

Les experts seront également unanimes sur un point : le terme « misère sexuelle » encourage les pratiques sexuelles violentes et participe à la culture du viol, même dans le foyer conjugal. « Nous arrivons avec ces théories-là à des choses très catastrophiques, notamment le viol conjugal. De nombreuses personnes se disent « on est en couple, il nous faut obligatoirement une sexualité ». Ce genre de création est devenue une excuse pour justifier des comportements d’agressions sexuelles », alerte le psycho-sexologue Sébastien Landry.

Mais le terme « misère sexuelle » n’est pas le seul terme à servir la culture du viol. Parler des « testicules bleus » pour montrer qu’un homme n’a pas assouvi ses besoins depuis longtemps répond à la même logique. « On imagine des troubles pour montrer que le concept existe », pointe du doigt l’anthropologue Mélanie Gourarier. « Il en est de même quand on parle de « testicules comme des sachets de thé ». Cela reflète la méconnaissance du domaine », regrette Sébastien Landry.



Déconstruire le besoin sexuel et son imaginaire

Alors faut-il supprimer ou remplacer ce terme ? Non, répondent les experts, selon qui ça ne servirait pas à grand-chose. « Pour moi, ce n’est pas un concept scientifique. Les souffrances, le manque, l’addiction sont abordés en sexologie, mais pas la misère sexuelle. Il y a un terme pour ce qu’il justifie, c’est l’agression sexuelle », tranche Sébastien Landry, avant d’ajouter : « A partir du moment où on crée vraiment des concepts et qu’ils sont scientifiquement tolérés, ça veut dire qu’on doit accepter que ce soit un trouble qui demandera une thérapie ».

Pour l’anthropologue Mélanie Gourarier, supprimer le terme « misère sexuelle » reviendrait à en créer un autre immédiatement après. « Il existe sans doute dans d’autres langues, et on en fera un autre terme ». Pour défaire son usage, la chercheuse préconise de « défaire un rapport différentiel à la sexualité des femmes et des hommes ». Avant de conclure : « Ce serait déjà une première étape de ne pas considérer qu’hommes et femmes ont des besoins différents ».