INTERVIEWElle a adopté un bébé volé au Sri Lanka sans le savoir

Le cri d’alarme de Véronique Piaser-Moyen, qui a adopté un bébé volé au Sri Lanka sans le savoir

INTERVIEWVéronique Piaser-Moyen et son mari ont découvert en 2018 que leur fille, adoptée au Sri Lanka 33 ans plus tôt, était en fait issue d’un trafic d’enfants
Le cri d’alarme de Véronique qui a adopté un bébé volé au Sri Lanka sans le savoir
Lise Abou Mansour

Lise Abou Mansour

L'essentiel

  • En 2018, Véronique Piaser-Moyen et son mari découvrent que leur fille, adoptée au Sri Lanka 33 ans plus tôt, était issue d’un trafic d’enfants.
  • Depuis quatre ans, ils enquêtent sur ce « trafic de grande ampleur » qui concernerait près de 1.500 enfants en France, aujourd’hui quadragénaires.
  • Aujourd’hui, le couple se bat pour faire reconnaître la responsabilité de l’Etat français dans ce drame.

«Ils savaient et ils nous ont laissés partir », s’insurge aujourd’hui Véronique Piaser-Moyen. En 1985, elle se rend au Sri Lanka avec son mari pour adopter leur fille Titania. 33 ans plus tard, la jeune femme leur demande de rencontrer ses parents biologiques. Véronique envoie le dossier d’adoption de sa fille à un ami sri-lankais qui fait du repérage sur place. Et la nouvelle tombe : « c’est une ferme à bébé ».

« Jamais je n’aurais pu imaginer qu’il allait m’annoncer un truc pareil parce qu’on n’avait aucune raison de l’envisager. On avait tout fait dans les règles et on avait confiance », raconte aujourd’hui Véronique. « Soit les enfants étaient volés à la naissance, ce qui est le cas de notre fille, soit à l’occasion d’une fausse visite médicale lors de laquelle l’enfant est emmené à l’hôpital. »

Titania a depuis pu rencontrer sa mère biologique. Mais le couple ne s’est pas arrêté là. Depuis quatre ans, ils enquêtent sur ce « trafic de grande ampleur » qui concernerait près de 1.500 enfants en France, aujourd’hui quarantenaires. « Ce qu’on a découvert dépasse le pire de ce qu’on avait imaginé. » Véronique a raconté cette histoire dans le livre Ma fille, je ne savais pas... (City Editions). Aujourd’hui, elle se bat avec son mari pour faire reconnaître la responsabilité de l’Etat français dans ce drame.

Pendant quatre ans, vous avez mené une enquête avec votre mari sur ce trafic de bébés. Qu’avez-vous découvert ?

Lorsque l’on est retourné au Sri Lanka, on a découvert un trafic d’une grande ampleur puisque ça concernait pour la France 1.500 adoptions dans les années 1980 et 11.000 pour l’Europe. Une fois de retour en France, après que Titania a rencontré sa mère biologique, pour nous, ce n’était pas terminé. On s’est dit « ce n’est pas possible qu’en France on n’en parle pas ». On voyait qu’on commençait à en parler dans d’autres pays d’Europe. Mais en France, personne n’en parlait alors a décidé d’en parler à des journalistes français. On s’attendait à ce qu’il y ait une réaction, que le gouvernement français s’en saisisse et immédiatement fasse faire une enquête.

Mais ce n’est pas du tout ce qui s’est passé. Nous, on a eu en face de nous que du silence et à la limite du mépris en nous disant « vous vous faites des idées, ça n’est arrivé qu’à vous. Quelles sont vos preuves ? » On s’est dit « ils veulent des preuves et bien on va en trouver. On va leur présenter un dossier en bonne et due forme pour qu’ils ne puissent plus nous dire que l’on se fait des idées. »

Pour trouver ces preuves, vous vous êtes notamment rendus aux archives diplomatiques de Nantes et aux archives du ministère des Affaires étrangères et de l'Europe à La Courneuve. Qu’avez-vous trouvé ?

On a trouvé des preuves ! Il faut savoir qu’il y a un délai de cinquante ans pour consulter ces archives, sinon il faut demander une dérogation. Donc nous avons demandé une dérogation et on nous a dit « oui mais on ne vous montrera que ce que l’on a envie de vous montrer ». C’est-à-dire que les « dossiers sensibles » seront retirés des cartons. On a dit « oui, mais on viendra quand même. Montrez-nous ce que vous voulez nous montrer. » Et même en ayant soustrait des cartons ces dossiers sensibles, nous avons quand même trouvé des documents probants.

On a notamment trouvé la lettre de l’ambassadeur en place en 1983 au Sri Lanka, qui écrit au ministre des Affaires étrangères à Paris en lui disant « ce que je vois se dérouler sous mes yeux, toutes ces adoptions que je vois, c’est un probable trafic d’enfants ». Il écrit cela en 1983 et nous, on réalise que nous avons fait notre dossier d’adoption en 1984 et qu’on a adopté notre enfant en 1985. Donc on se dit « mais ils savaient ! Ils savaient et ils nous ont laissés partir ». Aux archives de La Courneuve, on a demandé qu’on nous envoie le fond des archives qui concernent le Sri Lanka pendant les années 1980. Dedans, il y a tout simplement une chemise qui est nommée « trafic d’enfants ».

Quand vous avez découvert l’ampleur de trafic, avez-vous obtenu de la solidarité de la part d’autres parents adoptifs ?

Quand on a découvert ce trafic, on a immédiatement voulu se mettre en relation avec d’autres parents adoptifs. Certains se sont mis spontanément en relation avec nous après notre début de médiatisation. Mais ça n’a pas été l’élan que l’on avait souhaité. On s’est malgré tout retrouvés assez seuls. Même si on sait qu’il y a des parents qui nous soutiennent, il y en a d’autres qui ne nous soutiennent pas du tout. Nous, on se dit qu’en tant que parents, il faut être solidaires et qu’il faut avancer. Je sais que c’est aussi la demande de certaines personnes adoptées qui disent « on a besoin du soutien des parents parce que les parents sont des témoins de l’époque ». Eux, ils étaient nourrissons à l’époque et ne peuvent pas savoir ce qui s’est passé sur place.

Mais je pense aussi que c’est tellement douloureux que beaucoup de parents préfèrent ne plus revenir là-dessus. Et puis certains parents adoptifs sont décédés. D’autres sont vieillissants et n’ont pas forcément les moyens de se lancer dans cette bagarre. Il faut les comprendre. Ils sont fatigués aussi.

Qu’avez-vous à répondre aux personnes qui vous disent que vous auriez pu vous en rendre compte à l’époque ?

C’est vrai qu’il y a des erreurs grossières qui avaient été commises et qu’ils étaient quand même un peu pressés de nous voir repartir. Mais moi, je me dis qu’on n’avait pas de raison de ne pas leur faire confiance. Il faut dire aussi que leur stratégie était très au point. On arrive au Sri Lanka le 14 janvier 1985. Le 15 janvier, on nous met notre bébé dans les bras. Avec le recul, je me dis que c’était très stratégique parce qu’après ils pouvaient effectivement tout nous demander et tout nous faire faire. Moi, une fois que j’avais eu mon bébé dans les bras, eh bien oui, je voulais qu’on arrive au bout et que tout se passe bien. Ils savaient qu’ils nous tenaient.

Et puis nous avions confiance. Nous avions fait un dossier en bonne et due forme vis-à-vis de l’État français et de la Ddass. Tout notre dossier avait été tamponné. Quand on est retourné à l’ambassade de France, à Colombo, pour faire tamponner le passeport de notre fille et faire apposer un visa, on ne nous a pas dit « attention, méfiez-vous ». Donc on n’avait aucune raison d’avoir un doute.

Qu’est-ce que vous demandez aujourd’hui ?

Aujourd’hui, ce que nous demandons, c’est qu’il y ait une enquête qui soit faite comme cela a été le cas dans d’autres pays européens. En Suisse, par exemple, madame Pereira, qui était notre intermédiaire et que l’on pensait être une directrice d’orphelinat, est mise en cause et reconnue comme mafieuse et trafiquante sur le plan de l’adoption internationale au Sri Lanka.

Nous demandons qu’en France le même type d’enquête soit fait et que l’Etat reconnaisse qu’il y a eu des manquements, qu’ils ont peut-être faits des erreurs. Ce n’est pas compliqué de reconnaître ça. Nous avons aussi déposé une plainte au parquet de Paris pour laquelle nous nous sommes constitués partie civile. C’est un autre moyen d’avoir une enquête. Nous espérons qu’un juge d’instruction a commencé à enquêter. Mais nous n’avons pas beaucoup de nouvelles pour l’instant.