interview« Didier Raoult ne cyberharcèle pas mais il a des lieutenants qui le font »

Marseille : « Didier Raoult ne cyberharcèle pas, mais il a des lieutenants qui le font »

interviewLe magazine « Complément d’Enquête » et sa journaliste Nathalie Sapena ont investigué plusieurs mois sur l’ancien directeur de l’IHU Didier Raoult
Didier Raoult lors d'une conférence de presse en avril 2022
Didier Raoult lors d'une conférence de presse en avril 2022 - Christophe SIMON / AFP / AFP
Mathilde Ceilles

Propos recueillis par Mathilde Ceilles

L'essentiel

  • Le magazine « Complément d’enquête » consacre un numéro ce jeudi à Didier Raoult.
  • L’enquête décortique notamment le fonctionnement d’une boucle Twitter, visant des anti-Raoult et composés de twittos pro-Raoult et de proches de l’ancien directeur de l’IHU.
  • Dans ce numéro, le magazine révèle par ailleurs l’existence d’une demande de sanction envers Didier Raoult, jamais appliquée. Et pour cause : pour une raison inconnue, la lettre qui formule cette demande s’est volatilisée.

Il a officiellement quitté ses fonctions il y a moins de trois mois, mais son nom fait toujours couler autant d’encre. Ce jeudi, « Complément d’enquête » consacre un numéro à l’ancien directeur de l’IHU de Marseille Didier Raoult, avec des révélations exclusives. Dans son enquête, réalisée avec Martin Lavielle et Frédérique Prigent, Nathalie Sapena revient notamment sur l’organisation des pro-Raoult sur les réseaux sociaux pour défendre le scientifique contre ses détracteurs… et révèle que, contrairement à la volonté du gouvernement, le directeur de l’IHU n’a jamais été sanctionné. La cause ? Une sombre histoire de lettre mystérieusement disparue… La journaliste revient pour 20 Minutes sur cette enquête et ses coulisses.

Pourquoi s’être intéressée à Didier Raoult ?

Je voulais essayer de prendre un peu de recul sur tout ce qui s’est passé. Moi-même, j’ai couvert la santé pendant des années et des années. Je suis familière de ces sujets-là. Et j’étais dans une certaine confusion. Et je pense que je ne suis pas la seule. Quand j’ai commencé à enquêter sur Didier Raoult, en mars dernier, les gens autour de moi me demandaient : « Alors ? Tu y crois ? Tu n’y crois pas ? C’est un charlatan ou un grand savant ? ». Donc j’ai voulu comprendre ce qui se passait.

Pourquoi avoir consacré une partie de votre enquête aux défenseurs de Didier Raoult, notamment sur les réseaux sociaux ?

J’étais partie avec un prisme médical. Je voulais chercher à comprendre Didier Raoult, chercher à enquêter sur les études autour de l’hydroxychloroquine. Et en fait, tous les gens que j’ai contactés étaient terrorisés, d’Agnès Buzyn à des gens lambda sur Twitter, d’être pris à partie par des twittos très actifs. J’ai rarement fait une enquête où aussi peu de gens ont accepté de parler. Ce que vit Agnès Buzyn, qui fait partie des boucs émissaires de Didier Raoult, est incroyable. Elle a un garde du corps depuis le confinement et le lancement de l’hydroxychloroquine. Depuis qu’elle a été visée par les pro-Raoult, elle ne sort plus toute seule dans la rue sans son fils. Elle a subi des agressions physiques. Les cyberharcèlements des pro-Raoult, c’est un étau dans lequel les gens sont pris. Didier Raoult ne cyberharcèle pas, mais il a des lieutenants qui le font pour lui. Dans l’enquête, la journaliste Ariane Chemin parle d’une armée. C’est tout à fait vrai.

Votre enquête décortique notamment le fonctionnement d’une boucle Twitter, comprenant des membres de l’IHU et des twittos pro-Raoult…

C’est un groupe qui était la tête de pont de la désinformation de l’IHU. L’IHU ne s’est pas contenté de défendre la chloroquine dans les cercles scientifiques. Ils ont aussi inondé Twitter et tous les réseaux sociaux de fausses informations. Ce groupe-là avait un rôle de porte-voix. Dès que quelqu’un critiquait Didier Raoult, ces membres étaient chargés de faire le tam-tam autour de la communication de l’IHU. C’est un de ses anciens membres qui m’a expliqué le fonctionnement du groupe, baptisé CIA. Cet homme est un twittos enrôlé dans ce groupe. Il est complotiste et pro-Raoult, très vif et a beaucoup de followers. Il s’est repenti au bout de quelques mois et a tout balancé. C’est à la justice de dire s’il y a cyberharcèlement. [Selon l’enquête de Nathalie Sapena, cet homme fait l’objet d’une plainte pour cyberharcèlement envers une femme qui avait critiqué Didier Raoult.]



Dans ce groupe, dont l’administrateur est le patron de France Soir, il y a notamment Yanis Roussel, qui était en charge de la communication de Didier Raoult, et qui explique en faire partie que pour regarder. Eric Chabrière, un autre proche de Didier Raoult, qui fait notamment l’objet d’une plainte de la fille de Didier Raoult pour harcèlement et dont le procès est prévu pour janvier, est en revanche plus actif.

Et depuis que j’ai essayé de joindre Eric Chabrière pour lui poser des questions très précises, il y a quinze jours, ça commence à monter de mon côté. Je me fais harceler. Je me fais injurier. Pour l’instant, je m’en fiche. Mais je ne sais pas jusqu’où ça peut aller. Il y a une espèce de climat excessivement malsain.

Vous révélez également dans votre enquête que les ministres de la Santé et de la Recherche avaient rédigé et signé une lettre en 2017 demandant une sanction disciplinaire envers Didier Raoult pour avoir tu les cas de harcèlement au sein de l’IHU. Mais Didier Raoult n’a jamais été sanctionné…

Plus précisément, au cours de l’enquête, je me suis procuré toute une série de lettres. C’est toute une procédure qui part du ministère de la Recherche, qui avait fait suivre ensuite au ministère de la Santé. Mais je ne sais pas ce qui s’est passé. La lettre n’a jamais été reçue par l’organe en charge de ces procédures, qui sont très rares. Quand j’ai dit ça à Agnès Buzyn et Frédérique Vidal, les deux ministres sont tombées de l’armoire.