TOUJOURS LAQuatre ans après, des « gilets jaunes » entretiennent toujours les braises

« Gilets jaunes » : « On est là pour entretenir les braises »… Quatre ans après, ils tiennent toujours un rond-point

TOUJOURS LAQuatre ans après l’éclosion de ce mouvement social inédit, des irréductibles « gilets jaunes » campent toujours près d’un rond-point dans la campagne toulousaine. Ils ne désespèrent pas d’un nouvel embrasement
À Villefranche-de-Lauragais, la cabane des « gilets jaunes » n'a pas bougé depuis quatre ans. Des irréductibles y tiennent des permanences tous les mardis soir et des "actions de visibilité" un samedi sur deux.
À Villefranche-de-Lauragais, la cabane des « gilets jaunes » n'a pas bougé depuis quatre ans. Des irréductibles y tiennent des permanences tous les mardis soir et des "actions de visibilité" un samedi sur deux. - H. Ménal  / 20 Minutes
Hélène Ménal

Hélène Ménal

L'essentiel

  • Le 17 novembre 2018 éclatait en France la colère des « gilets jaunes », déclenchant un mouvement social inédit par son ampleur, sa durée, et, parfois, sa violence.
  • Quatre ans plus tard, alors que les prix flambent, des ronds-points sont toujours occupés et de nombreuses manifestations anniversaires sont annoncées pour le samedi 19 novembre.
  • A Villefranche-de-Lauragais, au sud-est de Toulouse, des irréductibles « gilets jaunes » occupent toujours un cabanon. Ils organisent des permanences hebdomadaires et y refont le monde, persuadés que les braises de la révolte couvent toujours.

Quand il descend de sa grosse moto, Thierry a encore son épais blouson de cuir. Mais à peine a-t-il posé le pied sur le plancher de la cabane, avant même de s’asseoir autour de la table aux coins rognés, il le troque contre son gilet jaune, la tenue de rigueur dans ce QG fait de palettes et de planches. Quatre ans après l’embrasement populaire, le « chalet » de Villefranche-de-Lauragais, au sud-est de Toulouse, est toujours là. Planté tout près du grand rond-point, grâce à l’indulgence du propriétaire privé de la parcelle. La cabane s’est même considérablement équipée, avec son kiosque, son coin jardin autour d’une table en bobine de bois et ses toilettes sèches.

Mais le panorama n’a pas changé depuis novembre 2018 : la route départementale et le parking d’un supermarché désaffecté – où ils ont vu « un papy de 70 ans dormir dans sa voiture pendant un mois » –, et dont la station-service fonctionne toujours. Ce mardi soir, le panneau lumineux affiche le gasoil à 1,829 euro. On est à la veille de la fonte de la ristourne. « Quand tout a commencé, le 17 novembre 2018, il était à 1,50 euro. Les prix flambent. Et, allez savoir pourquoi, plus personne ne bouge », lâche Antonio* qui vient de se garer avec son fourgon en rentrant du boulot, de débarquer un peu de matériel et d’enfiler, lui aussi, son gilet.

« Comment peut-on être heureux dans un système comme celui-là ? »

Constat d’échec ? « Il y a eu la prime, ironiquement baptisée prime Macron, mais qui est en fait la prime "gilets jaunes" et puis il y a eu énormément de lois liberticides et antisociales, ils ont même testé une future dictature avec le pass sanitaire », résume sobrement Antonio. Sans se décourager. « Une révolte, ça prend sur une étincelle, nous, on est là pour entretenir les braises ». « On ne sait pas quand mais ça viendra, forcément », abonde Christine, une retraitée du coin qui a renoncé à sa carte bancaire et n’écoute plus jamais les informations. « On est peut-être un peu fous, mais comment peut-on être heureux dans un système comme celui-là ? », s’interroge Thierry en écho avant de poser un pot de confiture de mirabelles sur la table. « Si on est toujours là, c’est en résistance à un système qui maltraite les pauvres » , explique Antonio. « Avec des corrompus à tous les étages », enchaîne Christine.


Les « gilets jaunes » du Lauragais sont prêts à manifester à Toulouse ce samedi 19 novembre, quatre ans après l'embrasement de leur mouvement.
Les « gilets jaunes » du Lauragais sont prêts à manifester à Toulouse ce samedi 19 novembre, quatre ans après l'embrasement de leur mouvement. - H. Ménal

Ces trois « gilets jaunes » n’ont pas grand-chose en commun. Ils reconnaissent qu’ils ne se seraient jamais croisés sans leurs chasubles, et se contentent le reste de la semaine de « veiller sur le groupe » à distance. Pourtant, ils finissent les phrases les uns des autres, cherchent l’assentiment dans les yeux de leurs camarades avant de s’enflammer. Une complicité construite en quatre ans de débats, d’AG « interronds-points » avec les Tarnais et les Toulousains, et au fil des « actions visibilité » bimensuelles du samedi ou encore des fameuses permanences du mardi soir, autour d’un pack de bière et d’un thermos de café. « On s’entend pas sur tout mais on est d’accord sur l’essentiel », assure Antonio.

Des dizaines de manifs toulousaines, passées aux avant-postes, « à prendre les lacrymos et les grenades de désencerclement » ont aussi resserré les liens. « Il y a des choses qu’on a vécues et dont on se demande si elles se sont réellement passées », raconte le calme Thierry, qui reconnaît être sorti « fatigué », moralement et physiquement, de l’épisode.

« I love Macron » ou joyeux coups de klaxon

Le noyau dur du groupe « Lauragais en colère » est constitué d’une dizaine de personnes. « Nous avons en gros entre 40 et 60 ans », assure Antonio. « Et plus de la moitié travaillent », ajoute-t-il comme pour conjurer les « Allez plutôt bosser espèce de fainéants ! » que lancent parfois des automobilistes, jets de canettes à l’appui. Des vandales ont même peint « I love Macron » dans leur cabane cet été. Mais ces manifestations d’hostilité sont beaucoup moins courantes que les coups de klaxon, qui montent joyeux et nombreux ce mardi soir de la départementale.



A Villefranche, quatre ans après, les « gilets jaunes » font partie du décor. Et à l’heure de remettre leurs masques à gaz et leurs lunettes de piscine pour battre, pour la première fois depuis longtemps, le pavé samedi à Toulouse, ils ne désespèrent pas d’une « autre démocratie. Une vraie ».

* Le prénom a été changé