CHASSELe chasseur qui a tué Morgan Keane n’a « pas bien identifié la cible »

Accident de chasse : Le tireur à l’origine de la mort de Morgan Keane avoue n’avoir « pas bien identifié la cible »

CHASSESix mois de prison ferme ont été requis contre le chasseur qui a tué, Morgan Keane, un jeune homme qui coupait du bois chez lui, et contre le « directeur » de cette battue aux sangliers fatale en décembre 2020
Morgan Keane, un jeune homme de 25 ans, avait été tué par le tir accidentel d'un chasseur en décembre 2O2O dans le Lot alors qu'il coupait du bois chez lui.
Morgan Keane, un jeune homme de 25 ans, avait été tué par le tir accidentel d'un chasseur en décembre 2O2O dans le Lot alors qu'il coupait du bois chez lui. - DR / DR
Béatrice Colin

Béatrice Colin

L'essentiel

  • Ce jeudi, le tribunal de Cahors jugeait un chasseur à l’origine du tir qui a tué Morgan Keane, le 2 décembre 2020, alors qu’il coupait du bois chez lui.
  • Il comparaissait aux côtés du directeur de battue, aussi poursuivi pour « homicide involontaire ».
  • Le procureur de la République de Cahors a requis deux ans de prison, dont six mois ferme à l’encontre du tireur, et dix-huit mois, dont douze avec sursis contre le directeur de la battue, ainsi qu’une interdiction définitive de chasser. La décision a été mise en délibéré au 12 janvier.

«Je reconnais mon erreur, je le regrette. Sincèrement. Il n’y a pas un jour qui passe sans que j’y pense, c’est gravé à vie dans ma tête ». Ces remords, ce sont ceux formulés sans détour par Julien F. , un chasseur aveyronnais de 35 ans, à la barre du tribunal correctionnel de Cahors. Ce jeudi, il était jugé pour avoir blessé mortellement Morgan Keane, un jeune homme de 25 ans qui coupait du bois à quelques dizaines de mètres de sa maison de Calvignac, dans le Lot. Durant près de cinq heures, cette journée tragique a été retracée à la barre, décortiquée point par point. Le président, Philippe Clarissou, s’est appliqué à revenir sur cette traque aux sangliers, pointant les responsabilités de chacun, les manquements aux règles de sécurité du directeur de la battue, présent lui aussi sur le banc des accusés.

« J’ai attendu, j’ai visé, j’ai tiré »

Julien F., chemise noire, pantalon crème et barbe naissante, explique qu’il avait obtenu son permis de chasse seulement quelques mois auparavant. Une activité qu’il avait décidé de pratiquer « pour [s]’aérer la tête », raconte, ému, ce père de famille qui a vécu un drame deux ans auparavant, la perte de la fille de sa compagne, fauchée par un tracteur conduit par un homme ivre.

A la demande du magistrat, parfois gauchement, il se remémore le moment où il a tiré, en fin d’après-midi, peu après 16h30, alors que la luminosité faiblissait. « Je me poste. Je charge mon arme. Je vois d’abord une masse sombre à la lisière. Dans ma tête je me dis que c’est le sanglier que j’ai loupé. La masse remonte le sous-bois, je la mets en joue, puis je rabaisse mon arme. Je l’ai vu redescendre un peu et s’arrêter. Ce n’était pas plus haut que ça », mime-t-il en désignant le niveau de son genou. Avant d’ajouter ; « J’ai attendu, j’ai visé et j’ai tiré. Je n’ai pas bien identifié la cible, je suis d’accord avec vous », répond-il au président du tribunal, sans chercher d’échappatoire.



Le lien de causalité est clairement établi et reconnu. Mais cela reste nettement plus compliqué lorsqu’on aborde la question des conditions de chasse. Le président s’échine à déterminer si les consignes de sécurité ont bien été données le matin du drame, avant le début de la traque du gibier. « Certains disent qu’elles n’ont pas été redites, des chasseurs disent que, comme ils sont aguerris, ils les connaissent et n’ont pas besoin d’explications. Mais, quand on leur demande qui étaient leurs voisins sur le terrain, c’est la cacophonie. Ils disent qu’ils connaissent le territoire de chasse, mais personne ne sait quelles sont les parcelles signées », pose le président lorsque le directeur de la battue est interrogé.

Ce dernier, Laurent L., un Lotois de 52 ans, affirme qu’il a bien énoncé les règles ce matin-là, « comme à chaque fois ». Mais « certains n’écoutent pas » et parfois n’arrivent pas à les répéter lorsqu’on les interroge, reconnaît cet agriculteur. « Mais pourquoi les faire chasser ? Quand on accepte d’être directeur de battue, on se doit d’appliquer les règles. Il n’y a jamais de fatalité pour les accidents, ils ne sont dus qu’à des erreurs humaines », sermonne encore le président. Mais engueuler un chasseur, lui interdire de participer, s’il est propriétaire de terrains de chasse, c’est en quelque sorte se tirer une balle dans le pied et se priver de parcelles ouvertes à la chasse. « C’est délicat », consent Laurent L.

« Plusieurs fautes caractérisées » pour le procureur

D’autant plus délicat que lorsque Philippe Clarissou présente le plan des lieux, on se rend compte rapidement que seul le petit terrain où se trouvait le chasseur était autorisé. Il était par contre cerné par des parcelles interdites, y compris celle de la famille Keane qui, au cours des années, avait clairement demandé aux chasseurs de s’éloigner. « La chasse a été réalisée quasi exclusivement sur des terres non signées avec les propriétaires, à l’exception du timbre-poste où se trouvait le tireur », a dénoncé le procureur de la République de Cahors, Alexandre Rossi, n’épargnant pas le directeur de battue dans ses réquisitions, en relevant « plusieurs fautes caractérisées ». Il a requis dix-huit mois dont douze avec sursis à son encontre, et deux ans, dont six mois ferme contre le tireur. Ainsi qu’une interdiction définitive de chasser.

Des erreurs, ce jour-là, il y en a eu. Quelques heures avant la mort de Morgan Keane, le principal prévenu avait déjà tiré à quatre reprises « en direction d’une route départementale », « dans des conditions délirantes au niveau de la sécurité », lâche le président. « Et il y avait deux personnes en face de lui », charge à son tour le directeur de la battue. Alors que le tireur a reconnu les faits, lui se défend. Mais il n’est pas épargné par le ministère public, ni par les avocats des proches des parties civiles.  « Il avait déjà réalisé trois ou quatre tirs dangereux, le directeur de la battue aurait dû l’exclure. Lorsqu’il l’a posté là, il ne lui a pas donné de consignes de tir. C’était un poste connu par les autres chasseurs, on aurait dû être plus vigilant car il ne connaissait pas les lieux. Le décès de Morgan Keane est accidentel mais il était malheureusement déjà écrit en raison des multiples manquements », poursuit le représentant du parquet qui ne veut pas pour autant dédouaner le tireur.

« Détesté des anti-chasse et des chasseurs aussi »

L’avocate de ce dernier a expliqué que son client n’avait jamais cherché à se défausser. « Il ne connaissait pas le terrain, il a compris à la reconstitution que les parcelles qui l’entouraient étaient interdites à la chasse. Il ne savait pas qu’il y avait une maison. Ce qui a manqué le plus ce sont des consignes claires et simples », a reconnu Sylvie Bros. « Aujourd’hui, il est détesté des anti-chasse et des chasseurs aussi », a-t-elle assuré.

Car au cœur de cette audience, même si les différentes parties s’en défendent, c’est un peu la chasse et ses adeptes qui sont au centre des débats. « Dans le Lot, il n’y a pas de barrière, on va où on veut, c’est difficile parce que les chasseurs n’ont plus de limites. La mort de Morgan n’est pas une histoire avec laquelle on joue. La vie de Morgan ne vaut pas grand-chose si rien ne change. Il est possible qu’ils aient tué la chasse eux-mêmes, car si on tue des hommes à la chasse, c’est la fin d’un système que l’on doit remettre à plat », a plaidé Benoît Coussy, l’avocat de Rowan, le frère de la victime qui a demandé des dommages et intérêts.