MOBILITEAvec les ZFE, le risque d’un nouveau mouvement « gilets jaunes » ?

Les zones à faible émission, une « bombe sociale » à retardement ?

MOBILITEAu 1er janvier 2025, 45 agglomérations de plus de 150.000 habitants devront avoir instauré une zone à faible émission, dans laquelle l’accès aux véhicules les plus polluants sera restreint. Impossible à faire accepter ?
Un panneau lumineux sur la rocade toulousaine dans le sud de la France indique la réglementation de la ZFE le 11 septembre 2022.
Un panneau lumineux sur la rocade toulousaine dans le sud de la France indique la réglementation de la ZFE le 11 septembre 2022. - FRED SCHEIBER/SIPA / SIPA
Fabrice Pouliquen

Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Les zones à faibles émissions visent à restreindre la circulation aux véhicules les plus polluants sur tout ou partie d’une agglomération. Conçu pour lutter contre la pollution de l’air, l’outil peut aussi contribuer à décarboner les transports, secteur clé de la transition écologique.
  • Faut-il encore que ces zones à faible émission soient complétées de mesures d’accompagnement, insistent tant le Réseau action climat que le député Gérard Leseul, co-auteur d’un rapport sur cet enjeu. Cela passe notamment par le renforcement des alternatives à la voiture ou encore par un meilleur ciblage des aides pour passer à des véhicules propres.
  • Or, il y a encore fort à faire sur ces enjeux, pointent-ils. Et le temps presse. Onze métropoles ont d’ores et déjà dû se doter de ZFE. Et, au 1er janvier 2025, 34 autres devront suivre. D’où cette bombe sociale à retardement ?

Il y a eu Reims, Rouen, ou encore Montpellier le 4 novembre. Ce vendredi, Pierre Chasseray pose ses valises à Grenoble, puis à Lyon le lendemain. Il restera encore Strasbourg, dans quinze jours, et le délégué général de 40 millions d’automobilistes en aura fini avec son tour de France atypique. « La Grande boucle des exclus », l’a intitulé l’association de défense des automobilistes.

Pierre Chasseray y part en quête de témoignages d’habitants qui appréhendent l’instauration des zones à faibles émissions (ZFE). Il assure en avoir recueilli déjà plusieurs milliers qui nourriront un documentaire prévu pour le début de l’année prochaine, et glisse déjà une certitude : « L’enjeu n’est pas tant de savoir si on est pour ou contre ces ZFE, mais si elles vont mettre le feu à la France et quand ? »


« Une bombe sociale à retardement »

Le dispositif vise à restreindre l’accès à des agglomérations - ou du moins une partie de leurs territoires - aux véhicules les plus polluants. Il s’appuie pour cela sur les vignettes Crit’Air, qui classent les véhicules en fonction de leurs émissions de particules fines et d’oxydes d’azote. S’il n’y a pas eu de sanctions à ce jour, certaines ZFE sont déjà en place. « C’est le cas dans les onze agglomérations* qui dépassent régulièrement les seuils européens de qualité de l’air, détaille Valentin Desfontaines, responsable « mobilités durables » au Réseau action climat (RAC). Mais au 1er janvier 2025, les 34 autres agglomérations françaises de plus de 150.000 habitants devront, à leur tour, avoir mis en place leur ZFE**.

C’est cette date alors que Pierre Chasseray retient comme celle « de l’explosion à coup sûr de cette bombe à retardement ZFE ». Cela pourrait être encore plus tôt, selon lui, alors que Clément Beaune, le ministre des Transports, a annoncé le 25 octobre des contrôles automatisés en vue de sanctions*** à partir du second semestre 2024.

Que 40 millions d’Automobilistes, dont le « pouvoir rouler » est l’un des credo, soit hostile aux ZFE n’est pas surprenant. Mais ce risque social du dispositif n’est pas non plus ignoré par ceux qui estiment l’outil efficace et nécessaire, tant pour améliorer la qualité de l’air dans les grandes villes que pour accélérer la transition écologique. L’augmentation de leur nombre, mais aussi l’extension progressive des restrictions de circulation, « auront un impact considérable sur les mobilités, et par conséquent, sur l’accès aux activités quotidiennes et aux droits de millions d’habitants », écrivent ainsi les députés Gérard Leseul (PS) et Bruno Millienne (Modem) dans les conclusions de leur « mission flash » sur l’enjeu de mieux accompagner les ZFE, le 14 octobre.

40 % des Français concernés en 2025… Voire bien plus ?

Un risque social trop négligé par l’exécutif ? « Il donne trop souvent l’impression de considérer la ZFE comme faisant office, à elle seule, de politique de mobilités, reproche Valentin Desfontaines. Ce n’est qu’un outil parmi d’autres pour transformer nos mobilités et il n’est efficace que s’il est assorti d’une vraie stratégie d’accompagnement pour le rendre acceptable socialement. »

Parmi leurs 20 recommandations en ce sens, Gérard Leseul et Bruno Millienne insistent notamment sur la nécessité d’accélérer le déploiement d’alternatives à la voiture. En déployant des voies réservées pour des lignes de bus express ou pour le covoiturage, ou en créant des parkings relais connectés aux transports en commun en périphérie des villes, par exemple. « Il y a des initiatives intéressantes de lancées », note Valentin Desfontaines, en citant la création du Réseau express métropolitain européen (REME), « qui élargira nettement l’offre de trains et des horaires vers Strasbourg ». Mais bien souvent, il y a encore fort à faire, « et c’est aussi à l’État, en tant qu’organisateur des mobilités, d’y travailler bien plus, en renforçant le réseau ferroviaire par exemple », insiste Gérard Leseul.

« On se cache les yeux sur le reste à charge »

Autre enjeu clé : les aides à l’acquisition d’un véhicule propre. Là encore, des dispositifs nationaux existent ou ont été annoncés. Le bonus écologique, la prime à la conversion, ou encore la promesse de campagne d’Emmanuel Macron, annoncée pour début 2024, d’une offre en leasing d’un véhicule électrique à 100 euros par mois pour les ménages les plus modestes. Mis bout à bout, ces dispositifs représentent un « effort incomparable en Europe », assurait Clément Beaune, toujours lui, le 25 octobre.

Il y a tout de même un bémol, pointe Valentin Desfontaines : « On se cache les yeux sur le reste à charge, soit ce qu’il reste à payer une fois ces aides déduites. Pour une électrique d’entrée de gamme, c’est de l’ordre de 8.000 euros, bien trop lourd pour de nombreux Français. Et si des aides locales s’ajoutent parfois, elles sont encore très inégales sur le territoire » Quant au leasing Macron, Gérard Leseul émet des doutes. « Une offre classique de leasing comprend toujours un premier loyer plus élevé que ceux qui suivent, et même chose pour le dernier si le particulier souhaite définitivement acheter la voiture. A-t-on la garantie que les versements seront de 100 euros de bout en bout ? Les contours sont très flous. » Ce que pointait Les Echos le 29 septembre.

Et le poids des véhicules ?

Au RAC comme dans les conclusions de la mission flash, on plaide alors pour mieux cibler ces aides à l’acquisition d’un véhicule propre. « Quitte à sortir les 30 % des ménages les plus aisés de ces dispositifs, assume Valentin Desfontaines. Les économies réalisées pourraient être réorientées vers les plus modestes pour enfin atteindre des restes à charge acceptables. » Mais le responsable « mobilités durables » au RAC invite également à prendre le problème dans l’autre sens. « L’État doit aussi peser de tout son poid pour réorienter la production des véhicules électriques vers les modèles les plus sobres et les moins chers ». Ce qui veut dire plus léger, insistent bon nombre d’ONG qui demandent régulièrement de baisser le seuil du malus auto [de 1,8 tonnes aujourd’hui à 1,3]. « On pourrait imaginer aussi des tarifications du stationnement différentes suivant le poids des véhicules, ou encore intégrer ce paramètre de la masse – et même celui des émissions de CO2 – dans les critères d’accès aux ZFE, complète Valentin Desfontaines. C’est tout le paradoxe aujourd’hui : un SUV fort émetteur de CO2 peut être Crit’Air 1 parce qu’il rejette peu de particules fines et d’oxydes d’azote. »

Un besoin transitoire de souplesse ?

Faute d’un accompagnement à ce jour optimal, Gérard Leseul et Bruno Millienne prônent alors, dans leur mission flash, l’agilité et la souplesse dans la mise en œuvre des ZFE. Au moins de façon transitoire. L’exemple, une nouvelle fois, c’est Strasbourg, avec son carnet d’usage. Il permet aux particuliers douze déplacements par an dans la ZFE avec un véhicule théoriquement interdit. « On pourrait aller jusqu’à 24 », estime le député de Seine-Maritime. « Mais il y a des milliers de dérogations qu’il serait légitime d’accorder, si bien que les ZFE n’auraient plus de sens », rétorque Pierre Chasseray. Qui n’acceptera de telles zones « que si elles sont limitées dans les coeurs des très grandes villes et en donnant une dérogation aux riverains ».

*Il s’agit de Paris, la métropole du Grand Paris, Lyon, Grenoble, Aix-Marseille, Montpellier, Nice, Rouen, Strasbourg, Toulon et Toulouse. Ces agglomérations ne sont pour l’instant pas toutes au même rythme dans les restrictions. Mais, dès le 1er janvier 2023, les Crit’Air 5 (véhicules diesel produits avant 2001) y seront obligatoirement interdits au minimum. Au 1er janvier 2024, ce sera au tour des Crit’Air 4 (diesel avant 2006) puis des Crit’Air 3 (diesel avant 2011 et essence avant 2006) le 1er janvier 2025. « Paris, pour sa part, a pris de l’avance, rappelle Valentin Desfontaines. Les restrictions s’appliquent déjà en théorie aux Crit’Air 5 et 4 et ira jusqu’aux Crit’Air 3 à l’été prochain. » A noter également que Reims et Saint-Etienne ont aussi déjà instauré leur ZFE sans y être obligé.


** Ces 34 agglomérations garderont toute latitude pour décider du calendrier et du périmètre des restrictions. « En clair, elles ne devront pas d’emblée étendre les restrictions jusqu’aux véhicules Crit’Air 3 », précise Valentin Desfontaines.


*** une contravention de classe 3, soit une amende forfaitaire de 68 euros