OPTASSEMBLEELes députés sont-ils accros à leurs stats comme les joueurs de foot ?

Assemblée : « Je regarde régulièrement où j’en suis »… Les députés accros à leurs stats comme les joueurs de foot ?

OPTASSEMBLEEDeux sites spécialisés compilent tout un tas de données sur le travail de chaque député à l’Assemblée nationale
Des députés sur leur téléphone pendant la séance des QAG, à l'Assemblée nationale.
Des députés sur leur téléphone pendant la séance des QAG, à l'Assemblée nationale. - NICOLAS MESSYASZ / SIPA / SIPA
Thibaut Le Gal

Thibaut Le Gal

L'essentiel

  • A quelques heures du début du mondial au Qatar, le monde du foot s’apprête à scruter les statistiques des footballeurs dans le moindre détail.
  • Vous l’ignorez peut-être, mais le terrain politique a également ses stats, qui concernent le travail réalisé par chaque député à l’Assemblée.
  • Certains élus reconnaissent avoir un œil sur leurs données personnelles, quand d’autres se méfient à l’inverse de chiffres qui ne reflètent pas forcément le métier de parlementaire.

Mbappé, Messi, ou Neymar ? Qui sera le meilleur buteur de la Coupe du monde au Qatar ? Avec le mondial qui débute ce dimanche, la planète foot va se plonger pendant un mois dans les stats, dont les fans et les joueurs eux-mêmes sont souvent accros. Le nombre de buts, bien sûr, mais aussi de passes décisives, de duels gagnés, la distance parcourue… toutes les données seront épiées et commentées pendant un mois dans le moindre détail. Vous l’ignorez sûrement, mais loin des pelouses, d’autres statistiques existent aussi sur le terrain… politique ! Des députés gardent en effet un œil attentif sur leurs « stats » pour mesurer le travail réalisé au sein de l’Assemblée nationale, et en faire des arguments politiques face à leurs adversaires.


« Ça permet de mesurer une partie du travail »

Deux sites Web intéressent particulièrement les parlementaires. Sur datan.fr, les élus peuvent notamment évaluer leur taux de participation dans l’Hémicycle, ou la « loyauté » envers leur groupe. La plupart des députés suivent la ligne de leurs collègues quand ils votent et obtiennent donc le score de 100 %, comme l’insoumise Mathilde Panot ou le macroniste Sylvain Maillard. En revanche, chez Les Républicains, on trouve beaucoup plus de « rebelles », à l’image de l’élu de l’Orne Jérôme Nury, qui n’a voté qu’à 68 % comme ses collègues. La droite est d’ailleurs le groupe le moins « soudé » du Palais-Bourbon, avec un taux de cohésion de 0.793 lors des votes, en dessous de la moyenne de tous les groupes, à 0.923 (la note max est de 1, si tous les députés du groupe votent pareil).


Un exemple de statistiques, ici pour le groupe LR.
Un exemple de statistiques, ici pour le groupe LR.  - https://datan.fr/Capture d'écran

Le site nosdeputes.fr, bien plus complet, dévoile tout un tas d’autres données : taux de présence en commission, vote en scrutin public, nombre d’interventions dans l’Hémicycle, d’amendements ou de propositions de loi déposés, de questions orales ou écrites posées au gouvernement… « Tout le monde les consulte, regarde ses chiffres, assure Thomas Ménagé, député du RN. Ce qui est beaucoup regardé, c’est la présence en commission et en séance et les pourcentages de participation aux votes. Les stats pour les stats n’ont pas de sens, mais c’est une preuve de notre travail, ça permet de mesurer une partie de ce qu’on fait pour les Français ». Comme on peut le voir dans le tableau ci-dessous, l’élu du Loiret est par exemple intervenu à 14 reprises en commission (rond bleu), a soumis 18 questions écrites au gouvernement (rond vert) et n’a en revanche pas encore posé de question orale au gouvernement (rond rouge) depuis le début de la mandature.


Un exemple des statistiques sur le site : www.nosdeputes.fr
Un exemple des statistiques sur le site : www.nosdeputes.fr - nosdeputes.fr/thomas-menage/Capture d'écran

Sur nosdeputes.fr, les parlementaires peuvent aussi comparer leurs stats à celles des autres. Dans chaque colonne, si le nombre est vert, le député fait partie des 150 parlementaires les plus actifs. A l’inverse, si c’est rouge, il est dans les 150 les moins actifs (voir ci-dessous).


Capture d'écran du site nosdeputes.fr
Capture d'écran du site nosdeputes.fr - nosdeputes.fr/Capture d'écran

« Je regarde régulièrement, une fois par semaine, où j’en suis, dans les interventions orales ou les questions écrites, notamment. Pour savoir si je suis dans la moyenne des députés, en dessous ou au-dessus, assure Antoine Léaument, député insoumis de l’Essonne. Non pas pour changer la manière de faire, mais pour voir si mon activité correspond au métier de député, pour éviter d’être en retard sur un secteur. Surtout au début, j’étais un peu stressé », confie l’ancien responsable numérique de Jean-Luc Mélenchon, entré à l’Assemblée en juin dernier.

Ces données suscitent-elles la compétition au sein des groupes, comme c’est parfois le cas dans certaines équipes de foot ? « On est 89 élus, donc j’y fais attention, répond Thomas Ménagé. Pas pour se comparer avec le voisin ou être le bon élève. Mais ça permet de donner une tendance de notre activité, de se situer par rapport au groupe. Est-ce que je prends une part suffisante du combat parlementaire ? »

Les stats peuvent néanmoins devenir des armes politiques. Le Rassemblement national revendique ainsi « de bons chiffres » pour son groupe, dans la logique de « respectabilité » voulue par Marine Le Pen au Palais-Bourbon. Le RN n’ignore pas non plus que lors du précédent mandat, ses huit élus ont souvent été critiqués pour leurs absences dans l’Hémicycle et en commission.



« Un bon député, ce n’est pas que des stats »

Tous insistent néanmoins sur le fait que le job de parlementaire n’est pas quantifiable, ne se résume pas à l’enceinte de l’Assemblée mais comprend du travail en circonscription, des mobilisations sur le terrain et dans les médias. Beaucoup sont d’ailleurs méfiants face à cette approche chiffrée. « Il y a ce qu’on vote, et tout le travail fait en circo. Je ne mesure pas mon utilité de parlementaire avec des pourcentages. C’est une approche très éloignée de l’attente des gens », balaie Maud Bregeon, députée Renaissance des Hauts-de-Seine. « Beaucoup jugent l’action des députés là-dessus, ça ne m’intéresse pas. Je fais un travail régulier, dans un but précis, pas du chiffre pour faire du chiffre », critique aussi l’élu RN Julien Odoul.

Pierre-Henri Dumont, député LR du Pas-de-Calais, nuance. « On n’est jamais élu ou réélu par rapport à des stats, mais on peut perdre si on n’est pas bon. Vous ne valoriserez jamais 3.000 scrutins publics, mais on peut vous taper sur les doigts si vous être parmi les plus absents, donc il faut garder un œil dessus », dit-il. « C’est comme un chauffeur routier, il n’a pas besoin de scruter le compteur pour contrôler sa vitesse. Moi, j’ai mon rythme, je maximise mes présences. Mais je ne vais pas gonfler mes stats en déposant des amendements sans intérêt ».

Pas forcément un gage de succès

C’est aussi l’avis de l’élu MoDem, Erwan Balanant, qui fait le tri parmi toutes les données recensées. « Un bon député, ce n’est pas que des stats. Certains chiffres sont ridicules. Dans la majorité, par exemple, vous déposez moins d’amendements que dans l’opposition. D’ailleurs, si vous en faites des milliers mais qu’aucun n’est voté, qu’est-ce que ça veut dire ? », interroge le député du Finistère. Qui admet quand même garder un œil sur le site nosdeputes.fr. « Lors du mandat précédent, je surveillais de temps en temps, dit-il. Ce qui importe, c’est le temps long. A la fin du mandat, j’avais tous les chiffres dans le vert [donc dans les 150 plus actifs], et dans un classement sur le travail parlementaire, j’avais été classé cinquième ».

Le centriste fait référence à un classement de Capital de juin dernier, qui compilait les données du précédent mandat pour évaluer les députés « les plus bosseurs et ceux qui en font le moins ». Le journal remarquait au passage que plusieurs « bons élèves » de la Macronie avaient été appelés au gouvernement par Emmanuel Macron. La stat, un gage de succès ? Pas forcément : Amélie de Montchalin, deuxième du classement de la majorité, devenue ministre, a été battue aux législatives de juin dernier et contrainte de quitter le gouvernement.

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