reportageA la Chapelle-Saint-Mesmin, la vie au ralenti de l'usine Duralex

Energie : A la Chapelle-Saint-Mesmin, la vie au ralenti de l’usine Duralex

reportageL’usine Duralex, célèbre verrerie de la ville de la Chapelle-Saint-Mesmin, est « mise en veille » pour cinq mois en raison des prix de l’énergie
L'usine Duralex est "mise en veille" pour cinq mois.
L'usine Duralex est "mise en veille" pour cinq mois. - Thibault Camus/AP/SIPA / SIPA
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • 20 Minutes s’est rendu dans la ville de la Chapelle-Saint-Mesmim (Loiret), où se situe l’usine Duralex, verrerie phare qui a marqué des générations d’écoliers français fréquentant la cantine.
  • Depuis le 1er novembre, l’usine est « mise en veille » en raison des prix de l’énergie, devenus trop élevés. Elle fonctionne au ralenti, juste de quoi maintenir le four en service et les livraisons.
  • Le chômage partiel a été instauré pour les 250 employés de l’entreprise, la verrerie n’étant censée reprendre à plein régime que dans cinq mois, au 1er avril 2023.

De notre envoyé spécial à la Chapelle-Saint-Mesmin,

« Si j’étais vous, je ne me rendrais pas sur place, il n’y aura personne à qui parler et rien à voir », nous avait conseillé Suliman, employé de Duralex depuis quinze ans et délégué CFDT, au moment où on lui annonçait notre intention d’aller faire un tour du côté de la Chapelle-Saint-Mesmin, dans la banlieue d’Orléans (Loiret). Une mise en garde symptomatique du contexte difficile que traverse l’entreprise. Il faut dire que depuis le 1er novembre et la mise en veille du four de l’usine Duralex, la commune attire l’attention médiatique.

Pour tous les anciens écoliers de France, Duralex renvoie à une madeleine de Proust : qui n’a jamais joué avec ses camarades de classe à regarder le numéro au fond de son verre pour connaître son âge, entre deux rations de frites et une bataille de purée ?

Des factures intenables

A la Chapelle-Saint-Mesmin, Duralex est une institution. En temps normal, l’usine fonctionne sans discontinuité, 7 jours sur 7 et 365 jours par an, ses 250 salariés tous aux petits soins de ce four infatigable. Ce dernier ne doit jamais être arrêté, car le redémarrage coûterait bien trop cher : comptez 12 millions d’euros, sans parler d’éventuels dégâts au cas où le verre aurait mal refroidit.

Ici, on tournait à 70 % au gaz et 30 % à l’électricité, deux factures qui ont considérablement augmenté ces derniers mois avec l’inflation et la guerre en Ukraine. Le couperet a fini par tomber : chômage partiel pour tout le monde et « mise en veille » de l’usine à partir du 1er novembre. Mise en veille, car même avec les prix atteints, « il est plus rentable de continuer à faire tourner le four que de l’éteindre. Le stopper, c’est le voir mourir », image François, employé de l’usine venu nous faire la visite. « On ne s’est jamais arrêté depuis 1945 », s’enorgueillit-on dans les rangs des employés. Envers et contre tout, le feu continue de brûler, mais à une plus faible température, insuffisante pour créer du nouveau verre.

Service minimum et seulement 30 % des salariés

A la manière d’une poêle sur une plaque qui se détériorerait si on ne mettait rien dedans, le four a lui aussi besoin de matière pour ne pas faire de caprice. A la Chapelle-Saint-Mesmim, on lui injecte sans cesse du verre broyé, que le four fait fondre, on le refroidit et le réinjecte à nouveau. « A plus haute énergie, on peut créer notre propre verre, contextualise François. Mais ça reviendrait trop cher. C’est cette activité que nous avons stoppée. On fait juste tourner le four et on l’alimente ce qu’il faut pour qu’il ne se détériore pas. »


Beaucoup de machines de l'usine sont à l'arrêt, car trop énergivores.
Beaucoup de machines de l'usine sont à l'arrêt, car trop énergivores. - JLD/20Minutes

Comme son four, l’usine tourne au service minimum. En cette matinée de novembre, on peut marcher dans de nombreuses allées de l’entreprise sans croiser personne. Heureusement, le four aime se rappeler à nous par son ronronnement constant, meublant le silence des machines qui ne tournent plus et des employés restés chez eux. « On doit être à 30 % des effectifs, sans doute moins », commente François. Juste de quoi surveiller le four, le faire tourner et préparer les livraisons des stocks d’avance.

La déprime de dix solitaires

Une fois habitué au brouhaha de la cuisson, le silence redevient pesant. Pas vraiment une usine fantôme - on a bien croisé une dizaine de personnes pendant notre visite d’une heure –, mais loin d’avoir l’allure du fournisseur de toutes les écoles de France par le passé. Quand les salariés se saluent en se croisant, ils semblent parfois surpris de se voir.


L'usine Duralex sonne un peu vide depuis le 1er novembre.
L'usine Duralex sonne un peu vide depuis le 1er novembre. - JLD

Suliman travaille désormais une dizaine de jours dans le mois, payé 95 % du salaire : « C’est sûr qu’on n’est pas les plus à plaindre, relativise-t-il. Ce qu’il se passe à Duralex, cela frappe d’autres usines du pays et ça va continuer. On a de la chance d’avoir eu de l’aide et d’être bien protégé. Et puis, on est une marque iconique, les Français ne nous oublieront pas en quelques mois. » L’Etat est intervenu, annonçant une aide de 15 millions d’euros « pour leur permettre littéralement de passer l’hiver », selon les mots du ministre chargé de l’Industrie, Roland Lescure. Pour le PDG de la verrerie, José-Luis Llacuna, ce prêt permet « de voir le futur avec sérénité », malgré une augmentation des coûts « de 7 à 10 millions d’euros » en 2022. « C’est certain que ça nous rassure et que c’est un signal positif », souligne Suliman. Derrière ces arguments, le sourire se fissure : « Quand je vais au travail et que je vois le parking si vide, ça me fait toujours si mal au cœur… On marche dans l’usine et il n’y a que dix personnes, c’est déprimant. »

La confiance en un avenir plus rose

La confiance en des lendemains chantants résiste : l’usine doit redémarrer à 100 % au 1er avril au plus tard, et aucune mauvaise surprise ou poisson d’avril de mauvais goût n’est attendue. « Les tarifs d’électricité ont déjà été fixés et payés, ce qui devrait éviter l’explosion des coûts », rassure François. A partir de janvier, des formations en interne et du travail de rénovation des machines sont organisés, afin de ramener plus les employés dans l’usine. Là aussi, un signal positif pour Suliman. Seule inquiétude, « une possible coupure totale du gaz… dans ce cas, je ne sais pas vraiment comment on ferait. »



On trouve plus de baume au cœur et plus de gens au mètre carré dans le bar du coin. Ici, la vie continue, loin des prix qui s’envolent et des employés qui se cloisonnent. Le serveur nous l’assure, « il n’y a pas de différence de fréquentation par rapport au 1er novembre », et le nombre de salutations et de private joke au comptoir valide l’impression d’un bar d’habitués. Suliman nous le confirme, ce n’est pas là qu’on trouvera beaucoup d’employés : « On reste principalement à la maison, on s’occupe des sorties des enfants, de les amener au sport, on profite des nôtres. »

Chacun ses problèmes

Si Duralex est la fierté de la commune, cette dernière compte tout de même 9.750 habitants qui ne sont pas salariés de l’entreprise, de quoi garder une existence normale. Au bar toujours, on parle plus des futurs résultats du Quinté ou du plafond qui fuit que de l’usine. Chacun ses problèmes après tout, et chacun ses factures à payer.

On retrouve plus d’empathie pour les malheurs de Duralex en croisant Sylvie, 67 ans, nostalgique du ballet des voitures allant et venant vers la verrerie. « Ca fait quelque chose de se dire qu’on ne produit plus de verre ici. Mais l’usine a tenu toutes ces années et tiendra encore. » Des épreuves, la verrerie en a connu, notamment un rachat in extremis en janvier 2021, après avoir été placée en redressement judiciaire quelques mois auparavant. Sylvie nous aurait bien proposé de finir notre petit-déjeuner chez elle avec un café et des biscuits, « mais vous comprenez, la hausse des prix et ma petite retraite… », murmure-t-elle, gênée. A la Chapelle-Saint-Mesmin, ce n’est pas tant qu’on a perdu le sens de l’accueil, juste que les temps sont difficiles.