ENQUETEDes agents malades dénoncent un air pollué dans les piscines de Paris

Paris : Dans les piscines municipales, des maîtres-nageurs malades dénoncent un air pollué

ENQUETELa ville de Paris est dans l’incapacité de fournir des preuves de contrôles des installations d’aération, qui ont pour certaines accumulées des kilos de poussières et saletés
La piscine Armand Massard à Montparnasse (illustration).
La piscine Armand Massard à Montparnasse (illustration). - V. WARTNER  / 20 MINUTES
Aude Lorriaux

Aude Lorriaux

L'essentiel

  • Des agents employés dans les piscines de la Mairie de Paris sont tombés malades, à force de respirer un air pollué.
  • En cause, la gestion de la Mairie de Paris, qui n’a pas nettoyé certaines bouches d’aération pendant des années, et se montre dans l’incapacité de fournir la moindre preuve de contrôles de ces installations entre 1987 et 2021, alors qu’elle a l’obligation d’en tenir un registre.
  • Les résultats des contrôles effectués en 2021 ont été jugés inquiétants par la CGT, les rapports d’expertises montrant des centaines d’anomalies.

«J’avais des symptômes - maux de tête, nausées - et je les avais à mon travail. Et quand je quittais mon travail j’avais ces symptômes pendant encore quelques heures à la sortie du bassin, puis pendant encore plusieurs jours… » Claire* est une ancienne employée des piscines municipales de la Ville de Paris. Comme d’autres agents, qui acceptent très difficilement de parler, elle est tombée malade après plusieurs années à travailler dans une atmosphère chlorée et polluée.

Les soucis ont commencé en 2016, juste avant que le diagnostic ne tombe : asthme. « J’ai été mise en arrêt maladie puis après en incapacité d’exercer », se souvient Claire, qui en a encore gros sur le cœur. « J’aimais mon métier, ce n’était pas un choix facile à faire. »

« Une bouteille d’oxygène dans le dos »

Claire n’est pas la seule à souffrir de ces symptômes, qui touchent à divers degrés de nombreux agents de la ville travaillant dans les piscines municipales. Secrétaire de la CGT pour la Ville, et lui-même maître-nageur sauveteur, Voussad Challal dit avoir croisé deux de ses anciens maîtres-nageurs, qui déambulaient « avec une bouteille d’oxygène dans le dos ».

« Dans ma piscine, un collègue est décédé des poumons il y a huit ans, et une autre est partie en maladie professionnelle à cause de problèmes respiratoires, liés au chlore. J’ai un autre collègue tombé à 60 % de capacité respiratoire », nous dit-il, en commençant à énumérer un par un les maîtres-nageurs concernés. Il estime qu’ils sont une quarantaine à avoir été retirés des bassins ou à être partis pour des difficultés de santé liées à la pollution des locaux.

La Ville de Paris dit être informée du dépôt de dossiers de reconnaissance de maladie professionnelle « pour huit agents », dont un officiellement placé en arrêt maladie pour cause de maladie professionnelle. « Quatre ont effectué une reconversion professionnelle, deux sont toujours en activité autour du bassin et un agent est affecté en dehors d’une piscine », nous détaille la mairie, qui précise n’être « pas systématiquement notifiée de la reconnaissance d’incapacité de l’agent ».

Bouches d’aération pas nettoyées

Comme Voussad Challal, Claire est en colère, et met en cause la gestion de son employeur, la Mairie de Paris. « L’établissement dans lequel j’étais, il y avait plein de problèmes d’aération. Il y avait des bouches d’aération pas nettoyées, et les dernières années, on ne retrouvait plus les conduits de ventilation derrière les bouches d’aération, à cause de multiples travaux. Nous, au milieu de tout ça, on n’avait pas forcément toutes les informations. Les chloramines et les autres produits chimiques, on les respirait en permanence et le service de la Mairie de Paris n’intervenait pas assez rapidement. Nous n’avons pas été assez entendus à ce niveau-là », dit-elle, un sentiment de révolte dans la voix.

« Il n’y a pas que Paris, en France d’une façon générale, on ne prend pas assez en considération la toxicité de ces produits. Je ne comprends pas ce qui fait que cela ne bouge pas plus », ajoute-t-elle.


Photo prise le 14 mars 2022 d’une gaine de ventilation à la piscine Jean-Taris (5e arrondissement), bouche nettoyée depuis à la suite d’une mobilisation des agents qui ont exercé leur droit de retrait.
Photo prise le 14 mars 2022 d’une gaine de ventilation à la piscine Jean-Taris (5e arrondissement), bouche nettoyée depuis à la suite d’une mobilisation des agents qui ont exercé leur droit de retrait.  - Voussad Challal

De fait, la gestion de la Mairie de Paris sur ce sujet n’est pas tout à fait dans les clous, selon des documents que 20 Minutes a pu consulter. Alors que la ville a l’obligation, selon un arrêté du 8 octobre 1987, de contrôler les installations d’aération et d’assainissement des locaux de travail, il semblerait qu’aucun contrôle n’ait été réalisé avant l’année 2021, date à laquelle la CGT a demandé à la municipalité la communication des dossiers réglementaires.

Un mail de la direction des sports de décembre 2021 que nous nous sommes procuré, affirme ainsi qu’un « marché transverse de contrôle des systèmes de ventilation […] a été mis en place et a permis de réaliser des premiers contrôles au cours du premier semestre 2021. » Les contrôles avant 2021 « ont été réalisés en régie », nous répond la Mairie de Paris. Mais la ville se révèle incapable d’en fournir la moindre preuve, malgré des relances multiples de 20 Minutes durant plus d’un mois, et alors que la mairie a l’obligation d’inscrire sur un dossier de maintenance les dates et les résultats de ces contrôles périodiques.

Près de mille anomalies

Surtout, les résultats des contrôles effectués en 2021 ont été jugés inquiétants par la CGT. « La gestion de la qualité de l’eau et de l’air est contraire aux réglementations sur de nombreux points », indique un rapport du syndicat, qui a compulsé 33 rapports d’expertise, que 20 Minutes a pu consulter. « Sur les 1.764 points de contrôles réalisés dans ces documents, 954 présentent une anomalie sévère », résume la CGT, qui dénonce des systèmes de filtration de l’eau « obsolètes », des systèmes de ventilation en dehors de tout contrôle, ou des ventilations « dans un état de délabrement avancé ».

Alors que la réglementation exige un taux d’air neuf d’au moins 60 % (c’est l’air qui est pris de l’extérieur et injecté à l’intérieur, le reste étant de l’air recyclé et donc déjà chauffé), plusieurs piscines avaient des taux très en dessous au moment des contrôles, soit 9 % à Dauvin (18e), 31 % à Cour des Lions (11e) et 42 % à Rouvet (19e). « En dessous de ce seuil il y a un risque d’intoxication. L’organisme ne reçoit plus assez d’oxygène, cela peut entraîner des maux de tête, des vomissements. Les gens ne s’en rendent pas compte, ils se disent qu’ils ont mal au crâne parce qu’ils ont eu une grosse journée », explique Voussad Challal.



Plan d’action renforcé

Face à ces résultats, la Mairie de Paris a commencé à prendre des mesures. Trente millions d’euros sur 5 ans ont été votés en 2021 pour remettre aux normes toutes les installations de la Ville de Paris (écoles, crèches, établissements sportifs, etc.) « soit le double de la mandature précédente », précise la mairie. « L’ensemble des 30 piscines de la Ville a fait l’objet d’un plan d’action renforcé en vue de leur mise en conformité intégrale au regard de la réglementation existante », poursuit la mairie, qui précise que « pour 13 d’entre elles, la mise en conformité a été réalisée », « pour 14 la mise en conformité est en cours de réalisation ou de planification » et « trois sites font l’objet d’études complémentaires ».

« Il y a un commencement de prise en compte, reconnaît Voussad Challal, mais à l’instant T les piscines les plus vieilles sont en ruine. La piscine de la Grange-aux-Belles [10e] est pourrie, les plafonds s’effondrent. » Pour le syndicaliste, le problème est plus général : « On laisse mourir le service public, on le sous-dote, pour dire qu’ensuite ça ne marche pas et on le laisse tomber. Par exemple au service chargé de l’aération, les effectifs ont été divisés par dix en vingt ans. Pourtant, un service public bien fait ça marche. »

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