DEBATSL’immigration est-elle vraiment un sujet « tabou » à gauche ?

L’immigration, un sujet toujours aussi gênant pour la gauche ?

DEBATSLes élus de gauche se sont montrés plutôt réticents face aux premières mesures du projet de loi sur l’asile et l’immigration porté par le gouvernement, mais certains veulent s’emparer de ce sujet souvent délaissé
Jean Luc Mélenchon et Olivier Faure.
Jean Luc Mélenchon et Olivier Faure.  - ISA HARSIN/SIPA / SIPA
Thibaut Le Gal

Thibaut Le Gal

L'essentiel

  • Le gouvernement a récemment présenté les premiers éléments de son projet de réforme de l’asile et l’immigration.
  • Ces mesures ont été accueillies plutôt froidement au sein de la gauche.
  • Mais certains élus de ce bord politique espèrent bien s’emparer de ce sujet longtemps « tabou » pour contrer « le discours de la droite et de l’extrême droite ».

Rien de bien nouveau, l’immigration est de nouveau au cœur des débats. Le gouvernement a présenté ces derniers jours les esquisses de son projet de réforme de l’asile et l’immigration, attendu l’année prochaine. La France doit pouvoir « dire qui on veut » et « qui on ne veut pas » accueillir, a résumé Elisabeth Borne lors de l’ouverture d’une séance (sans vote) consacrée à la question, mardi à l’Assemblée nationale.

La Première ministre a promis un « texte équilibré », mais les premières annonces ont été accueillies plutôt froidement dans l’opposition. A gauche, certains semblent toutefois décidés à s’emparer de l’immigration, sujet périlleux et tabou, souvent délaissé ces dernières années.

« La gauche est très mal à l’aise »

Lors des échanges dans l’Hémicycle mardi, les députés de gauche ont d’abord brocardé le texte gouvernemental, notamment le durcissement des procédures d’expulsions du territoire. « Vous chassez sur les terres de l’extrême droite », a ainsi dénoncé la présidente du groupe LFI, Mathilde Panot. « Les murs administratifs que vous avez dressés n’arrêtent rien, ils enferment dans des situations de non-droit et dans des accueils indignes », a également accusé le patron du groupe socialiste, Boris Vallaud.

Mais du côté du PS, un groupe de travail a aussi été lancé pour ne pas laisser cette thématique aux partis placés à sa droite. « C’est une question qui taraude le citoyen, il faut avoir une vision », résume le secrétaire national du Parti socialiste, Olivier Faure, dans le Monde, évoquant les « dizaines de millions de personnes » déplacées dans les années à venir en raison des bouleversements climatiques. L’objectif : éviter de se couper d’une majorité de Français, notamment des classes populaires, qui semblent demander plus de fermeté sur l’immigration, selon plusieurs sondages.

« La gauche devrait tenir un discours rationnel et équilibré pour préparer l’opinion au fait qu’il y aura ces prochaines années davantage d’immigration. Mais elle ne fait pas ce travail idéologique, car elle est très mal à l’aise avec ce sujet devenu tabou, et laisse cette thématique à la droite et l’extrême droite », assure le politologue et professeur de sciences politiques Rémi Lefèbvre, signataire en avril d’une tribune soutenant la candidature de Jean-Luc Mélenchon.



Le virage à 180° du PS danois

Mais s’emparer du sujet est parfois un exercice périlleux pour les acteurs politiques de gauche. A plusieurs reprises par le passé, Jean-Luc Mélenchon a ainsi été brocardé par ses camarades pour ses prises de position. Comme en 2016 sur les travailleurs détachés, ou en 2018 lorsqu’ils accusent le patronat d’utiliser « les vagues migratoires » pour « faire pression sur les salaires ». Lors de la dernière présidentielle, Arnaud Montebourg a lui vu sa campagne imploser après avoir proposé de bloquer les transferts d’argent privés vers les pays refusant de rapatrier leurs ressortissants visés par une obligation de quitter le territoire français (OQTF).

« Sa proposition était peut-être maladroite, mais dès que quelqu’un tente de faire un pas en avant pour se confronter au réel, toute la gauche morale lui tombe dessus », souffle celui qui était alors son porte-parole, François Cocq. L’ex-orateur de LFI, banni en 2019, regarde avec intérêt les évolutions de la gauche au Nord de l’Europe. Au Danemark notamment, le parti social-démocrate a récemment opté pour une politique migratoire bien plus restrictive, un virage à 180° encore validé par les urnes en novembre.

« Ils vont parfois très loin, comme sur leur volonté de délocaliser l’accueil des demandeurs d’asile au Rwanda, que je ne soutiens pas. Mais ils ont osé regarder le sujet sans œillère et se maintiennent au pouvoir, assure François Cocq. Si la gauche française ne se confronte pas à cette question, elle ne redeviendra pas majoritaire ».

« Il faut développer un autre discours »

Pour le communiste Ian Brossat, « l’immigration est un sujet politique qu’il faut traiter quand on a vocation à gouverner, mais sans tomber dans le piège de s’aligner sur le discours de la droite et l’extrême droite », estime le porte-parole du PCF, proche de Fabien Roussel. « L’extrême droite a gagné la bataille culturelle en imposant ses éléments de langage. Il faut développer un autre discours pour être audible, pas en étant no border, mais en insistant sur l’intégration. Il faut réfléchir aux conditions de l’accueil pour une bonne intégration ; cela suppose des services publics de qualité ».

Au-delà des incantations théoriques, la gauche n’a pour le moment pas avancé de propositions concrètes en dehors des traditionnelles mesures humanitaires. Les rares députés prêts à évoquer un durcissement des règles d’accueil ont préféré le faire de manière anonyme dans les médias. Au PS, plusieurs responsables contactés ont tout bonnement refusé de nous répondre. Preuve que le sujet reste inflammable.