Dans le noirEn Ukraine, un hiver entre « réserve d'eau » et « réchaud »

Guerre en Ukraine : A Kiev, Odessa ou Mykolaïv, les habitants confient leur peur de vivre « une famine cet hiver »

Dans le noirAvec seulement quelques heures d’électricité et de chauffage par jour, les civils ukrainiens s’apprêtent à passer un hiver difficile
La place de l'indépendance à Kiev, plongée dans le noir après les frappes russes, en novembre 2022.
La place de l'indépendance à Kiev, plongée dans le noir après les frappes russes, en novembre 2022. - Ondrej Deml/AP/SIPA / SIPA
Xavier Regnier

Xavier Regnier

L'essentiel

  • Au 291e jour de guerre, les combats se poursuivent à l’est et au sud de l’Ukraine, mais l’enjeu stratégique se situe désormais du côté des centrales électriques.
  • Depuis début octobre, plus de 1.000 obus et missiles russes ont visé le réseau électrique ukrainien, plongeant dans le noir jusqu’à 10 millions d’habitants en même temps. Après des attaques au drone iranien samedi, 1,5 million d’habitants de la région d’Odessa seraient ainsi privés d’électricité.
  • 20 Minutes a interrogé Cédric Mascaras, bénévole humanitaire français, et Alexandre Haserway, un Ukrainien qui vit à Kiev. Ils confient leur peur de voir « une famine cet hiver » et racontent la vie perturbée par les coupures d’électricité quotidienne, l’accès parfois difficile à l’eau potable et les pulls enfilés les uns sur les autres.

Lorsqu’il accepte d’allumer la caméra de son téléphone portable, au beau milieu de notre interview, le visage de Cédric Mascaras se distingue à peine. Le quinquagénaire se trouve pourtant en plein Mykolaïv, mais la ville est engloutie dans les ténèbres. Seul un centre commercial est éclairé au loin. Pour voir où il met les pieds dans la rue, le commerçant français, venu en mission humanitaire, s’en remet aux phares des voitures qui passent. Il finit par éteindre sa caméra : les gigas et la batterie de son téléphone sont précieux.

« Ici, il fait nuit à 15h30 », expose Cédric Mascaras. « Il n’y a aucune rue éclairée en Ukraine, ni à Mykolaïv, ni à Kharkiv, Kiev ou Lviv », la plus grande ville de l’ouest, relativement épargnée par la guerre. Le réseau électrique ukrainien n’est plus capable d’assurer l’éclairage public partout. Selon Volodymyr Kudrytsky, directeur général de l’opérateur de réseau Ukrenergo, les forces russes ont tiré plus de 1.000 roquettes et missiles sur le réseau en quelques semaines. Le 18 novembre, plus de 10 millions d’Ukrainiens étaient ainsi privés d’électricité après une série de frappes.

Apprendre à vivre sans électricité

Début décembre, plus de 500 communes étaient encore dans le noir, malgré les réparations. Mais « même dans les villes approvisionnées, il y a des délestages », précise Cédric Mascaras. Ces coupures ne sont « jamais prévues, et on ne sait pas combien de temps elles durent ». L’accès Internet et le réseau téléphonique sautent aussi régulièrement. A Kiev, « nous avons environ cinq ou six heures d’électricité par jour », raconte Alexandre Haserway à 20 Minutes. Celui qui travaille comme motion designer s’est adapté : « Parfois, j’allume la lumière avant d’aller me coucher. Si l’électricité revient dans la nuit, cela me réveille et je peux travailler. »


L’accès à ce contenu a été bloqué afin de respecter votre choix de consentement

En cliquant sur« J’accepte », vous acceptez le dépôt de cookies par des services externes et aurez ainsi accès aux contenus de nos partenaires.

Et pour mieux rémunérer 20 Minutes, n’hésitez pas à accepter tous les cookies, même pour un jour uniquement, via notre bouton« J’accepte pour aujourd’hui » dans le bandeau ci-dessous.

Plus d’informations sur la pagePolitique de gestion des cookies


Le jeune Ukrainien n’est pas le seul à avoir changé sa manière de travailler. « Beaucoup prennent leur ordinateur pour des réunions sur Zoom au café ou au bar », approvisionnés par des générateurs individuels. Groupes électrogènes et chauffages d’appoint sont désormais partout en Ukraine. « On nous a demandé d’en ramener de France », témoigne Cédric Mascaras, qui transporte principalement des produits alimentaires dans un camion chargé grâce à des partenaires en France. Parti de Montauban avec un ami, il fait la tournée des villes ukrainiennes pour distribuer des paquets aux associations sur place comme Ukraine Libre ou la Croix-Rouge.

« Il va y avoir une famine en Ukraine cet hiver »

Totalement bénévole, le commerçant passe par ces contacts car « les besoins sont tellement énormes que si vous ouvrez le camion à Izioum, vous ne contrôlez plus rien », explique celui qui se souvient de « gens qui se sont battus pour un paquet de gâteaux ». Dans la queue de la distribution alimentaire, longue de plus d’un kilomètre à Mykolaïv, « un homme a fait tomber sa barquette par terre. Il a mangé sa portion de riz au sol », se remémore-t-il douloureusement. « Il va y avoir une famine en Ukraine cet hiver », alerte le cinquantenaire.

Dans les villes près du front ou récemment reprises, le chaos est de mise. « Odessa est confrontée à un black-out total. Mykolaïv vit sans eau courante depuis le printemps », déroule Alexandre Haserway. Les hôpitaux sont équipés en générateurs mais « les interventions programmées pourraient être annulées en cas de situation critique », ajoute-t-il. A Kherson, les évacuations successives n’ont pas vidé la ville. Quinze civils sont morts dans des bombardements fin novembre, et quelques jours après notre entretien, Cédric Mascaras nous a informé être « de retour à Kiev » après « une journée folle à Kherson sous les bombardements et les roquettes ».

La campagne comme refuge

Bien loin de la ligne de front, Alexandre Haserway a conscience d’être « bien plus chanceux qu’au moins la moitié » des Ukrainiens. Sa vieille maison est équipée individuellement pour le gaz. Et il y a une « buvette » près de chez lui où il peut puiser de l’eau, « mais uniquement quand il y a de l’électricité ». Il fait donc des réserves d’eau, en particulier pour les épisodes d’alerte aérienne, comme ce dimanche. L’un de ses amis a « acheté un petit réchaud de gaz pour le camping », et Alexandre ne souffre pas trop du froid en « enfilant des hoodies et des sweats ». A l’inverse, dans les grands ensembles d’époque soviétique à Kiev, « une centrale alimente tout le bâtiment », et deux heures d’électricité ne suffisent pas à relancer le chauffage.



Mais si le temps s’est amélioré sur la capitale depuis un très dur épisode à -10 °C fin novembre, les températures pourraient bientôt redevenir négatives. « Si la crise énergétique se poursuit, nous irons à la campagne pour l’hiver », annonce le motion designer. Là-bas, « tout le monde a une cheminée ou un poêle à bois », explique Cédric Mascaras, qui fait sa cinquième tournée en Ukraine. Là-bas, le garrot et les stages de tirs qu’ont offerts ses amis à Alexandre pour son anniversaire, en novembre, pourraient bien lui servir.