emploiL’industrie textile renaît mais manque de doigts pour coudre

Bretagne : L’industrie textile renaît mais manque de doigts pour coudre

emploiPlus d’un quart des ouvriers de production partiront bientôt à la retraite alors que la filière manque déjà de bras
A Guidel, dans le Morbihan, l'atelier Le Minor fabrique des marinières bretonnes made in France.
A Guidel, dans le Morbihan, l'atelier Le Minor fabrique des marinières bretonnes made in France.  - M. Pattier/SIPA / SIPA
Camille Allain

Camille Allain

L'essentiel

  • A l’agonie il y a quelques années, l’industrie textile française renaît grâce à la volonté des consommateurs d’acheter des produits made in France.
  • En Bretagne, une enquête a été menée par la CCI et démontre le regain d’énergie de la filière, mais aussi ses difficultés à recruter.
  • Plus d’un quart des ouvriers de l’industrie textile partiront à la retraite dans les années à venir.

Sacrifiée sur l’autel de la mondialisation, la filière textile française a passé des décennies dans le coma. Elle a assisté, impuissante, à la montée de son homologue asiatique où toutes les marques européennes ont ouvert des manufactures que l’on s’épargnera de commenter. Face à une telle hégémonie des filatures chinoises, indiennes ou taïwanaises, on pensait l’industrie du vêtement française anéantie, oubliée, abandonnée. C’était sans compter sur sa ténacité. Encouragée par le retour du made in France, la filière du vêtement revient doucement à la vie. Mais pour entamer sa rééducation, la pauvre fait face à un cruel manque de vocations. Après avoir vu ses usines et ateliers fermer les uns après les autres, notre pays a fini par en perdre son savoir-faire. Au point de faire face à d’importantes pénuries de main-d’œuvre. Pour s’en rendre compte, nous avons fait route vers la Bretagne.

Le pays de la marinière et du ciré jaune n’a pas été épargné par les délocalisations. Dans cette région, qui a longtemps filé le lin et le chanvre pour fabriquer des voiles de bateau, l’industrie textile avait quasiment disparu. L’exemple le plus récent est sans doute celui de Fougères (Ille-et-Vilaine) où les ateliers de confection de chaussures ont fermé un à un. « Moins de 3 % des marinières qui sont vendues chez nous sont fabriquées en France », assure Sylvain Flet. Le directeur général de l’entreprise Le Minor s’y connaît en matière d’export. Installé à Guidel (Morbihan), l’atelier qui vient de fêter ses 100 ans exporte 65 % de sa production notamment vers le Japon. « Ce sont les Japonais qui ont sauvé Le Minor », concède le patron.

« Les savoir-faire ont été perdus »

En 2018, le fondateur de la marque de nœuds papillon et bonnets Le Flageolet a repris la bonneterie pour lui donner un nouveau souffle. Et ça a marché : +145 % de croissance en quatre ans. Le problème du PDG c’est de recruter. « Pour continuer à croître, nous dépendons complètement de la main-d’œuvre locale. Mais nous avons toutes les peines à recruter parce que les savoir-faire ont été perdus », témoigne Sylvain Flet. Des couturières, des fileuses et des maroquinières sont désespérément recherchées.



Ces difficultés sont caractérisées dans une enquête menée par la chambre de commerce et d’industrie Bretagne et dont les résultats viennent d’être divulgués. D’après la CCI, l’industrie textile ferait travailler 3.000 personnes dans la région. Modeste, mais en progrès de 16 % depuis 2015. La suite fait un peu peur. Interrogées, les entreprises évoquent plus de 1.100 projets d’embauche, soit un tiers des effectifs actuels ! « Le secteur est porté par l’évolution des consommateurs qui veulent privilégier un achat local. Les produits ont une bonne visibilité, mais pas les métiers. Les envies de carrière dans le textile ont diminué parce que l’image n’a pas évolué. On voit l’industrie textile comme un métier pénible avec des tâches en série. Ça n’est plus le cas aujourd’hui. Le métier est très artisanal », explique Nathalie Boursier, qui a mené l’enquête de la CCI. Les jeunes se tourneraient davantage vers la conception et le design que vers la production.


Au-delà de l’attractivité de la filière, c’est aussi le temps long de formation qui rend le recrutement délicat. « On ne remplace pas une salariée avec quarante ans d’expérience d’un claquement de doigts », rappelle Sylvain Flet. Le patron du Minor estime qu’il faut « trois ans pour appréhender le métier de remaillage et neuf ans pour le maîtriser complètement ». Son entreprise a fait le choix de sortir ses meilleurs éléments de la production pour les consacrer à la seule tâche de la formation. Pari osé mais qui pourrait porter ses fruits sur le long terme.

La crainte des départs à la retraite

Au sein des ateliers Grandis, on a opté pour la création complète d’une école de formation en interne, où sont accueillis des adultes, souvent en reconversion. « Notre challenge, c’est déjà de maintenir nos effectifs pour faire face aux départs à la retraite », témoigne Matthieu Coquelin, directeur des ateliers de confection du Coglais, en Ille-et-Vilaine. D’après l’enquête de la CCI, plus d’un quart des ouvriers qualifiés de la filière textile ont plus de 55 ans. Pour l’entreprise de confection de maillots de bain de luxe, il y a donc urgence à former maintenant, avant que les mains de fée ne rendent leur tablier. « C’est surtout l’image du métier qu’il faut changer. Chez nous, on parle d’atelier, pas d’usine. Nos couturières travaillent par îlot, elles ont un véritable savoir-faire qui est essentiel ». Le directeur de la structure évoque des métiers « qui ont du sens ». « On l’a vu pendant la crise sanitaire. Toute la France était arrêtée pendant les confinements mais pas nous. Nous avons fabriqué des masques. Ça rappelle l’importance de nos métiers ». Essentiel, disait-on à cette période.