REPORTAGELes Dégonfleurs de SUV estiment mener une action « de désobéissance civile »

Paris : Les dégonfleurs de pneus de SUV estiment faire de « la désobéissance civile, pas de la dégradation »

REPORTAGE« 20 Minutes » a suivi un groupe de militants écologistes, spécialisés dans le dégonflage de pneus de SUV pour dénoncer la circulation de ces véhicules dans Paris
Un dégonfleur de pneus de SUV dans les rues de Paris.
Un dégonfleur de pneus de SUV dans les rues de Paris. - Laure Gamaury / 20 Minutes
Laure Gamaury

Laure Gamaury

L'essentiel

  • Se revendiquant du mouvement international Tyre Extinguishers, plusieurs groupes de dégonfleurs de pneus de SUV mènent des actions à Paris depuis quelques mois.
  • 20 Minutes a suivi l’un d’eux lors d’une expédition nocturne dans un quartier huppé de la capitale.
  • « Nos raisons sont principalement écologiques. Un SUV consomme 20 % de plus qu’une voiture de la même année et de taille normale », argumente l’une des trois militantes rencontrées.

Ils arpentent les rues de la capitale, dans les quartiers les plus huppés, pour dénicher les SUV, dégonfler un pneu et revendiquer grâce au collage de leur tract leur action de désobéissance civile. « Ils », ce sont de petits groupes de militants, qui se réclament du mouvement international Tyre Extinguishers, lancé au Royaume-Uni. Leur but ? Dénoncer le rôle prépondérant des plus riches dans le dérèglement climatique, et notamment leur propension à faire étalage de leurs richesses sans se préoccuper des répercussions sur l’environnement. Comment ? En dégonflant les pneus des SUV, avec des cailloux ou des lentilles, et des tracts expliquant leur geste.

20 Minutes a suivi un groupe de militants à Paris, un soir froid de week-end de décembre, et a pu échanger avec eux pour comprendre leur action, leurs revendications et leurs préoccupations. « Nos raisons sont principalement écologiques. Un SUV consomme 20 % de plus qu’une voiture de la même année et de taille normale. Et dans une ville comme Paris, où les transports en commun fonctionnent très bien et où les rues sont bien entretenues, il n’y a aucune raison d’avoir ce genre de véhicule, explique Lumette. C’est aussi un véhicule plus dangereux, plus large, qui, d’un point de vue sécuritaire avec les piétons ou les cyclistes, est plus à risque. » Ce soir-là, ils sont trois, habitués à se retrouver chaque semaine pour une opération de ce type. « On s’attaque clairement à un symbole de vanité. Acheter ce genre de véhicule, c’est dangereux pour la planète et dangereux pour les gens. »



Lumette, Léon et Lucie, emmitouflés dans des manteaux sombres, mais sans gants ni cagoule jonglent entre conciliabule et badinage pour ne pas éveiller les soupçons des éventuels passants alentour quand on les rejoint près d’une station de métro dans l’ouest de la capitale. Ce soir-là, ils ont une vingtaine de tracts autocollants, à apposer sur les vitres des SUV ciblés. « On prévient les propriétaires parce qu’ils ne voient pas forcément tout de suite qu’un de leurs pneus est dégonflé. C’est de la désobéissance civile, pas de la dégradation ou la volonté de blesser qui que ce soit », expose Lucie.

« On change de quartier à chaque fois par sécurité. Une fois qu’on y est passés, c’est bien de se faire oublier au moins pour un temps. On choisit les quartiers les plus riches car c’est là qu’on trouve les SUV les plus neufs, les plus beaux, les plus rutilants », sourit Léon, avant d’enchaîner. « Et donc le mariage de Roger, c’était comment ? Et ben, c’était super. Franchement, c’est quand même étrange de se marier en décembre non ? Oui, bon, moi j’ai trouvé qu’il y avait quand même beaucoup de mariages cette année. » Un badinage bien déconcertant de prime abord. Mais c’est un des trucs du trio quand des passants s’approchent trop près. « Une petite diversion à base d’impro, glisse Lucie. Pas toujours simple d’être originaux ou naturels. »

« Plusieurs groupes sont actifs sur Paris, mais on n’entre pas en contact »

Le groupe a été constitué il y a quelques mois. « On a parfois quelques personnes qui s’ajoutent mais dans l’idéal trois ou quatre personnes, c’est bien. » Le trio s’est rencontré sur d’autres actions militantes. « Difficile de faire confiance à des gens qu’on ne connaît pas, glisse Léon. Plusieurs groupes sont actifs sur Paris, mais on n’entre pas en contact. » Le site de Tyre Extinguishers leur permet d’être autonomes : ils y retrouvent quelques conseils, les tracts à imprimer, et puis le groupe Telegram est aussi un moyen de raconter leur action et de prendre connaissance de celle des autres. « On sait ce qu’il se passe à Londres, à New York, à Berlin, et ça fait du bien de savoir qu’on n’est pas seuls et ce qu’il se passe aussi dans les autres villes », confie Lumette, munie d’un sac de lentilles à glisser une fois le bouchon du pneu dévissé. « Normalement, on le fait avec des cailloux mais difficile de trouver la bonne taille parce que l’idée, c’est qu’ils appuient sur la valve et dégonflent le pneu en une heure ou deux ».


Le tract qui accompagne les dégonfleurs de pneus de SUV dans Paris.
Le tract qui accompagne les dégonfleurs de pneus de SUV dans Paris. - Laure Gamaury / 20 Minutes

Y a-t-il des règles particulières ? Des expériences qui ont laissé un goût amer ? Les trois militants n’ont pas de souvenirs vraiment marquants, hormis peut-être une « soirée chelou », dixit Lumette, qui à ce moment-là fait le guet. « Il y a eu un soir, une nuit où tout était bizarre. On a hésité à un moment, il y avait deux passants un peu plus loin qui nous regardaient, bref on a finalement renoncé et on a bien fait parce qu’en fait l’un des deux était le propriétaire du SUV qu’on avait visé. Puis, Lucie qui collait le tract, s’était à peine éloignée du SUV que deux personnes se sont mises à le lire parce qu’on n’avait pas été assez vigilants sur la surveillance. C’est pas mal de faire confiance à son instinct dans ce genre d’opération, même si c’est vrai que ça rend un peu parano parfois sur le coup. »

Lumette a à peine fini sa confession qu’une alarme de voiture retentit. Léon et Lucie perplexes la rejoignent, puis tous trois s’éloignent d’un pas hâtif, sans comprendre si c’est au moment de coller le tract sur la vitre que l’alarme s’est déclenchée ou si c’est une coïncidence. « A quoi ça sert une alarme ? Personne ne sait laquelle retentit et si quelqu’un trébuche et la touche, ça déclenche l’alarme. C’est seulement un moyen de dissuasion », conclut Lucie. Un moyen efficace car le trio serpente alors dans le quartier, traversant plusieurs rues sans oser s’arrêter.

« On n’est pas dans un objectif de sensibilisation »

Une fois cette frayeur passée, « l’alarme, c’est une première », constate le trio, la quête des SUV continue. « Autour des parcs et dans les contre-allées, c’est plus simple, il y a moins de monde et peut être un peu moins de lumière », partage Léon. « On n’est pas dans un objectif de sensibilisation, mais on veut apporter ce sujet dans le débat public et rendre le plus difficile possible la circulation de ces véhicules dans Paris », abonde Lumette.

Quid de la vidéosurveillance ? « On y fait attention mais ce n’est pas ce qui nous guide. Et puis, on ne porte pas les mêmes vêtements que dans la vraie vie. C’est comme un déguisement. » De là à se comparer à Batman et Fantômette, il n’y a qu’un pas, qu’ils ne franchiront pas. « Enfin, on ne sait pas à quel point on est fichés. Il paraît que la démarche, c’est unique et donc reconnaissable. » Mais pour l’heure, le trio craint plus de tomber sur un propriétaire de SUV que sur les autorités. « Tant qu’il n’y a pas mise en danger de la vie d’autrui, on ne risque pas de poursuite. En revanche, si un riche proprio nous confronte en pleine rue, on va passer un sale quart d’heure ! » D’ailleurs, le groupe de militants ne s’aventure pas trop longtemps. « Une mission, c’est moins d’une heure et entre 20 et 30 tracts collés sur des SUV dégonflés », note Lumette.

« On ne s’interdit pas d’aller visiter Boulogne ou Neuilly »

« C’est une action militante parmi d’autres, mais on en voit les effets concrets, partage encore Lumette. Un matin à Paris, j’ai déjà vu un propriétaire de SUV regonfler son pneu avec un petit compresseur manuel, et il avait un tract collé sur sa vitre. C’est une petite satisfaction personnelle, même si ce n’était pas notre groupe qui en était à l’origine. »

« L’idée c’est que ce ne soit qu’un désagrément le matin quand le propriétaire récupère sa voiture, pas plus », insiste Léon, tandis que des policiers municipaux dressent une contravention à l’encontre d’une voiture électrique branchée à une borne. Mais il est déjà l’heure de mettre fin à l’opération du soir. « On en a collés douze, décompte Lucie. Vu le froid, c’est pas mal. » Mais le trio pourrait bien s’accorder une trêve hivernale. Avant de continuer ses actions de désobéissance civile au printemps ? « Pour l’instant, on est toujours restés dans Paris intramuros, mais on ne s’interdit pas d’aller visiter Boulogne ou Neuilly », sourit Lumette, avant de s’évanouir au détour d’une station de métro. Ces justiciers de l’ombre portent décidément pas mal leur cape.