FOOTBALLAu Qatar, les courses de dromadaires plus populaires que les footballeurs

Coupe du monde 2022 : Au Qatar, les courses de dromadaires « beaucoup plus populaires » que le football

FOOTBALLSport millénaire dans le Golfe, le Qatar s’est professionnalisé dans les années 70. Il est plus populaire que le foot et a longtemps été dans le viseur de la communauté internationale pour non-respect des droits humains
Les dromadaires de courses et leurs robots-jockeys
Les dromadaires de courses et leurs robots-jockeys - JUAN IGNACIO RONCORONI/EF/SIPA / EFE
William Pereira

William Pereira

L'essentiel

  • Dans l'ombre de la Coupe du monde (ou pas) les courses de dromadaire sont le sport le plus populaire au Qatar
  • Professionnalisé depuis les années 70, il s'est modernisé à l'image de ses robots-jockeys
  • Mais il traîne derrière lui un sombre passé lié à la traite d'enfants, utilisés comme jockeys au péril de leurs vies jusqu'au milieu de la décennie 2000

De notre envoyé spécial à l’hippodrome de Longchamp

Une bande verte s’étale au milieu du désert pâle. La pelouse, tondue au millimètre et arrosée abondamment, rappelle les plus beaux hippodromes. Ici, ce ne sont pas des chevaux mais des dromadaires qui courent et le bout d’herbe, placé devant l’imposante tribune présidentielle désespérément vide en cet habituel jour de course, est purement décoratif. « Il n’y a pas de courses ce week-end à cause de la finale de la Coupe du monde », s’excuse un employé de la piste d’Al-Shahaniya en offrant dattes et verre d’eau en compensation.

Devant, des touristes argentins se prélassent sur les grands sièges où prennent habituellement place de riches Qataris, Saoudiens ou Emiratis, les yeux rivés sur les écrans géants ou sont projetés les courses – qui se déroulent quelques centaines de mètres plus loin. « Les jours de course, c’est plein de monde ici, poursuit l’employé. C’est un sport très, très populaire. » Plus que le football ? « Beaucoup plus ! » Le sport numéro un dans le Golfe, passé de tradition bédouine à discipline professionnelle dans les années 70, a même sa chaîne de télévision depuis plusieurs années. Et la rumeur dit que ses adeptes quittent moins facilement leur place que devant les matchs de la sélection du Qatar.

Dans le SUV d’un propriétaire de dromadaires de course

En quittant la tribune pour rejoindre la piste d’entraînement, où les dromadaires n’ont pas de jours off, un SUV blanc barre la route. A l’intérieur, un homme d’une trentaine d’années, Saeed, nous propose de monter. « No english, only arabic ». La conversation se fera péniblement via une appli de traduction. Saeed possède dix bêtes et se vante d’avoir déjà gagné des courses. « Mais pas encore les plus prestigieuses », celles qui peuvent rapporter jusqu’à plus d’un million d’euros, un nouveau 4x4 et même « L'épée de cheikh Tamim », prestigieuse course éponyme.


Ici, les dromadaires prennent même des selfies
Ici, les dromadaires prennent même des selfies - Nathan Denette/AP/SIPA

Comme tout sport à succès, l’économie des courses de dromadaires connaît un grand boom et rêve d’élargir son champ d’influence grâce à la Coupe du monde. « Beaucoup de touristes sont venus visiter Al-Shahniya ce mois-ci », se satisfait le propriétaire, tandis qu’il pointe fièrement du doigt deux de ses bêtes accompagnées de leur « mudammer » (dresseur). Pour une cinquantaine d’euros, comptez un tour complet de quatre heures avec visite des étables et course aux premières loges depuis une voiture, qui reste le meilleur endroit pour voir l’action au plus près. Si bien que les jours de course, les vrombissements de centaines de SUV accompagnent les dromadaires sur de larges routes de part et d’autre de la piste. En 2019, les joueurs du Paris Saint-Germain avaient pu s’y essayer à l’occasion d’une course privée, Thomas Tuchel et Neymar étant sortis vainqueurs de cette bataille entre Parisiens surexcités à bord.

Les robots ont succédé aux enfants jockeys maltraités

Ce vendredi matin, c’est un peu plus calme. En général, les entraînements ont lieu en début de soirée à cause des températures. « C’est l’hiver, il fait moins chaud, donc je préfère venir tôt, quand il n’y a personne. » Il fait bien 30 degrés au soleil, tout de même. Sur la piste, le mudammer prépare les montures. Impatient, Saeed l’exhorte à se lancer, alors il grimpe sur l’une d’entre elles. Sur l’autre se tient un robot jockey équipé d’un micro pour que le dromadaire puisse entendre les encouragements de son maître ainsi que d’un fouet commandé à distance. Dans sa Toyota lancée à 30 km/h, notre Qatari hurle dans son talkie-walkie en accompagnant les foulées toujours plus longues de l’animal à l’élégance insoupçonnée.


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Ces équipements sont devenus la norme depuis que l’Emir a formellement interdit le recours aux enfants jockeys, en 2005 – les Emirats Arabes unis avaient précédé le Qatar trois ans plus tôt. Le musée de l’esclavage de Doha consacre une partie de son exposition sur ces pratiques inhumaines que certains éleveurs peu scrupuleux perpétueraient hors course : « Au milieu de la décennie 2000, plus de 40.000 enfants, principalement en provenance du Pakistan, du Bangladesh, d’Inde et du Sri Lanka, ont servi de jockeys au Moyen-Orient. Nombre d’entre eux ont souffert de blessures pendant les courses. Depuis l’interdiction de jockeys mineurs, certains d’entre eux ne recevaient aucun traitement médical, prolongeant leurs souffrances. Certains en mouraient. »

Ces enfants ne devaient pas peser 20kg et par conséquent, certains d’entre eux n’avaient que 3 ans et d’autres étaient mal nourris. Ils étaient souvent achetés à des familles pauvres ou endettées. L’une d’entre elles, citées par un rapport de l’ONG Save The Children : « Nous les envoyons parce que nous sommes pauvres. Au lieu de voir mon enfant mourir de faim, il vaut mieux qu’il meure ailleurs où je ne peux pas le voir. » Outre les pressions internationales et les travaux d’ONG, les progrès robotiques ont d’une manière plus cynique contribué à l’abandon de la pratique, les machines humanoïdes étant de plus en plus légères.

Chameaux dopés au botox lors d’un concours de beauté

La question des maltraitances animales se pose également. Un système de décharges moins douloureuses que le fouet des robots serait ainsi à l’étude, tandis que le dopage, fléau également apparu avec la flambée des primes de victoire, a été endigué par l’apparition de contrôles sanguin et de traçage… par une puce reliée à iTunes. Dans l’autre discipline phare, les concours de beauté, le dopage existe aussi. En 2019, plusieurs éleveurs avaient été exclus d’un concours en Arabie saoudite pour avoir procédé à des injections de botox et d’hormones. Le recours à la triche n’est pas qu’affaire d’argent, le prestige y est pour beaucoup. « Les courses de chameaux, et le chameau en général, sont très importants pour le pays, surtout d’un point de vue culturel », explique Salem Al-Marri, un autre propriétaire. Bien plus que le football. A croire que s’il n’y a pas d’épreuve le jour de la finale de la Coupe du monde, c’est pour ne pas lui faire d’ombre.