INTERVIEWLes chartes de bon voisinage sur les pesticides, un mal plus qu’un bien ?

Pesticides : « Loin de protéger les riverains, les chartes de bon voisinage font, bien des fois, l’inverse »

INTERVIEWLes chartes de bon voisinage, instaurées fin 2019, visaient à mettre agriculteurs et riverains d’accord sur les conditions d’utilisation des pesticides. Trois ans plus tard, le compte n’y est pas, indique Nadine Lauverjat, de Générations Futures
Un agriculteur pulvérise un pesticide, à l'aide d'un pulvérisateur à rampe dans son champs le 9 avril 2020
Sarthe le 09/04/2020.//SICCOLIPATRICK_0304.2192/2004100852
Un agriculteur pulvérise un pesticide, à l'aide d'un pulvérisateur à rampe dans son champs le 9 avril 2020 Sarthe le 09/04/2020.//SICCOLIPATRICK_0304.2192/2004100852 - SICCOLI PATRICK/SIPA / SIPA
Fabrice Pouliquen

Propos recueillis par Fabrice Pouliquen

L'essentiel

  • Sept ONG, dont Générations Futures, annoncent cette semaine déposer 43 recours juridiques auprès des tribunaux administratifs contre autant de chartes d’engagements dites de bon voisinage où elles ont constaté de nombreux manquements.
  • Depuis le 1er janvier 2020, les agriculteurs sont en effet tenus de respecter des distances minimales de sécurité entre les zones d’épandages de produits phytosanitaires et les habitations. En parallèle, des chartes départementales dites de bon voisinage devaient faciliter la mise en application de cette nouvelle règle.
  • 62 départements sont aujourd’hui dotés d’une charte d’engagement approuvée par un arrêté préfectoral signé. « Ce qui ne veut pas dire qu’elles soient parfaites, loin de là », regrette Nadine Lauverjat, directrice générale déléguée de Générations Futures.

Trois, cinq, dix voire, très exceptionnellement, vingt mètres… Depuis le 1er janvier 2020, les agriculteurs doivent respecter une distance minimale dite de sécurité entre les zones d’épandage de produits phytosanitaires et les habitations.

Quelques mois plus tôt, Daniel Cueff, maire de Langouët (Ille-et-Villaine), avait jeté un pavé dans la mare en signant un arrêté, rapidement suspendu par la justice, interdisant l’épandage de pesticides de synthèse, utilisés en agriculture conventionnelle, dans un périmètre de 150 mètres autour des habitations. Une quarantaine de maires avaient suivi, obligeant le gouvernement à réagir. D’où cet arrêté du 27 décembre 2019 introduisant ces zones tampons dont les périmètres varient en fonction du type de culture et de la dangerosité des produits (lire encadré).

On restait très loin alors des zones tampon de 150 m qu’espéraient ces maires et plusieurs ONG… « Mais il y avait tout de même l’espoir que les chartes d’engagement, relèvent l’ambition », pointe Nadine Lauverjat, directrice générale déléguée de Générations Futures. Elle fait référence au décret publié ce même 27 décembre 2019 qui instaure l’élaboration de chartes d’engagement, dans chaque département, discutées entre agriculteurs, riverains et élus, de façon à mieux concilier l’évolution des pratiques agricoles et la présence d’habitations à proximité des champs.

Trois ans plus tard, avec six autres ONG, Générations Futures annonce déposer 43 recours juridiques contre autant de chartes qu’elles estiment entachées d’irrégularités. Nadine Lauverjat répond à 20 Minutes.

Où en est-on aujourd’hui dans l’application des zones de non-traitement ?

Depuis le 1er janvier 2020, les distances minimales à respecter pour l’épandage des produits phytosanitaires s’appliquent normalement partout sur le territoire. Mais les contrôles restent très insuffisants. L’Office français de la biodiversité (OFB) a ce pouvoir de police et un peu de moyens pour l’assurer. Mais pas assez, loin de là. Il faudrait beaucoup plus d’agents sur le terrain. A chaque saison d’épandage, nous recevons toujours un grand nombre d’alertes de riverains sur le non-respect des ZNT.

Et sur l’élaboration des chartes d’engagement ?

Certains départements n’en sont toujours pas pourvus. Au dernier comptage, nous en recensions vingt dans ce cas. A l’inverse, nous avons compté 62 chartes approuvées par un arrêté préfectoral signé, ce qui ne veut pas dire qu’elles soient parfaites. Initialement, cette idée d’avoir des chartes de bon voisinage s’inspirait du travail fait dans le Limousin, il y a déjà une dizaine d’années. Après un long travail de concertations, arboriculteurs, riverains et élus s’étaient entendus sur une charte comprenant, notamment, cet engagement à ne pas planter de verger à moins de cinquante mètres des habitations. Avec ce décret du 27 décembre 2019, on a voulu faire la même chose partout sur le territoire, mais en quelques mois seulement et sans consultations publiques, dans bien des cas. Résultat : on se retrouve avec des chartes de bon voisinage quasi identiques d’un département à l’autre et sur lesquelles la Fnsea [premier syndicat agricole, ndlr] a pris la main. Loin de renforcer la protection des riverains, comme on aurait pu l’espérer, elles font parfois l’inverse.

Est-ce que même la mise en application des zones tampons se retrouve parfois affaiblie dans des chartes d’engagement ?

Dans les 43 chartes que nous contestons, oui, il y a des dispositions qui tendent à inclure des dérogations au respect des distances minimales entre les zones d’épandage et les habitations. Ces chartes stipulent par exemple qu’« en cas de caractère irrégulier ou discontinu de l’occupation d’un bâtiment habité, les traitements peuvent être effectués en limite de propriété, dès lors que le bâtiment n’est pas occupé le jour du traitement et dans les deux jours suivant le traitement ». On trouve aussi cette disposition, selon laquelle « s’il s’agit d’une très grande propriété, seulement la zone d’agrément régulièrement fréquentée est à protéger par des distances de sécurité ». On imagine bien que l’idée, derrière, est de distinguer les habitations principales de celles secondaires, pas occupées tout au long de l’année. Mais comment détermine-t-on avec certitude l’inoccupation d’un bâtiment le jour du traitement ? Qu’est-ce exactement qu’une « très grande propriété » ? Comment s’assure-t-on, là encore, que ses occupants ne sont pas dans la partie du jardin à proximité du champ lorsqu’il est traité ? Ces dispositions introduisent des termes vagues et permissifs Surtout, elles sont illégales. Le 22 octobre 2021, le Conseil d’État avait confirmé l’impossibilité pour les chartes de moduler l’application des distances de sécurité.

Autre exemple : on a vu apparaître, dans les 43 chartes pour lesquelles nous déposons des recours en justice, une disposition très surprenante donnant la possibilité pour les utilisateurs d’herbicides possédant des pulvérisateurs à rampes de réduire de dix à cinq mètres la distance des ZNT pour les cultures hautes (vignes, arbres fruitiers…). Mais d’où ça sort ? Dans les textes réglementaires, il n’y a pourtant rien qui permet de telles dérogations. Et puis, la quasi-totalité des agriculteurs utilisent des pulvérisateurs à rampe et ce n’est pas cet équipement en soi qui leur permet d’être plus précis lorsqu’ils épandent.

Vous déplorez également que ces chartes pêchent aussi bien souvent sur l’information préalable du public ?

C’est un autre exemple de tentative de contournement de l’esprit du décret. Au départ, il prévoyait la diffusion d’une alerte suffisamment en amont des épandages afin de permettre aux riverains et autres personnes présentes de ne pas être sur site au moment des pulvérisations. Or, dans le dispositif principal proposé dans de nombreuses chartes, on voit bien qu’il n’y a pas cette volonté de répondre à cet enjeu de manière suffisante. L’idée est de coupler des dispositifs d’alerte collectif et individuel, reposant sur chaque agriculteur. Mais pour le premier, les chartes évoquent la solution du bulletin mis en ligne sur le site de la Chambre d’agriculture. Pour le second, la porte est laissée ouverte à différents types de dispositifs, de type visuel ou numérique. Mais l’exemple donné est celui de l’agriculteur qui allumerait le gyrophare de son équipement de pulvérisation lorsqu’il épand. C’est très insuffisant. Non seulement le riverain n’est pas prévenu en amont, mais cela suppose aussi, pour qu’il soit averti, qu’il ait le tracteur dans son champ de vision… On est très loin de l’envoi d’un SMS au minimum 24h avant l’épandage, un dispositif qui existe déjà dans le Médoc ou le Limousin, et qui n’est pas plus chronophage que d’allumer son gyrophare. Il y a manifestement cette volonté de certains agriculteurs de ne pas vouloir dire aux riverains quand ils épandent. Peut-être de crainte qu’ils se rendent compte de la fréquence à laquelle ils le font ?

Qu’espérez-vous alors avec ces 43 recours contentieux que vous venez de déposer ?

Ces 43 recours représentent un gros travail pour nos avocats. Ils n’ont pas été déposés d’un coup mais le seront petit à petit dans les jours et semaines à venir devant les différents tribunaux administratifs concernés. On verra les suites que donnera la justice et comment, aussi, le gouvernement reprendra la main sur ce dossier. A ce jour, il est resté essentiellement dans les mains du ministère de l’agriculture. Mais, depuis le début de ce deuxième quinquennat, nous avons eu des échanges plutôt positifs avec d’autres ministères, de la santé notamment, sur cette volonté de rendre l’arrêté sur les ZNT et les chartes de bon voisinage plus protecteurs qu’ils ne le sont aujourd’hui.

Quelles sont les distances minimales de non-épandage à respecter ?

L’arrêté instaure une distance « incompressible » de vingt mètres pour les produits phytosanitaires les plus dangereux, soit ceux classés dans la catégorie cancérogène, mutagène et reprotoxique (CMR) avérée pour l’homme. Un très faible pourcentage de porduits phytosanitaires consommés chaque année entre dans cette catégorie.

Pour les 99 % des pesticides restants, la distance retenue varie en fonction du type de culture : dix mètres pour les cultures hautes (vignes ou arbres fruitiers), cinq mètres pour les cultures dites « basses » comme les céréales et les salades, rappelait Le Monde, le 20 décembre 2019. Les chartes d’engagement peuvent réduire ces zones tampons. A cinq mètres pour l’arboriculture et trois mètres pour les vignes et les autres cultures à condition d’avoir recours aux matériels de pulvérisation les plus performants sur le plan environnemental.