INTERVIEWPour Stéphane Troussel, il faut des « quotas d’hébergements d’urgence »

Hébergement d’urgence : « Il faut que l’État impose un quota dans chaque territoire »

INTERVIEWLe président de la Seine-Saint-Denis Stéphane Troussel a envoyé un courrier au préfet de la région Ile-de-France pour demander un rééquilibrage de l’offre à l’échelle de la région, alors que la Seine-Saint-Denis et Paris assurent 65 % de l’offre
Stéphane Troussel, président du département de Seine-Saint-Denis, réagit aux annonces du gouvernement sur l'hébergement d'urgence. (Illustration)
Stéphane Troussel, président du département de Seine-Saint-Denis, réagit aux annonces du gouvernement sur l'hébergement d'urgence. (Illustration) -  NICOLAS MESSYASZ / SIPA
Aude Lorriaux

Propos recueillis par Aude Lorriaux

L'essentiel

  • Le président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis Stéphane Troussel a envoyé un courrier au préfet de la région Ile-de-France dans lequel il demande « la reconstitution rapide d’une offre d’hébergement d’urgence à l’échelle régionale ».
  • Alors que le plan Grand froid a été déclenché, qui prévoit l’ouverture de gymnases et locaux vides à disposition des sans-abri, l’élu estime que « cela ne règle pas le problème durablement ».
  • Stéphane Troussel propose l’adoption d’un « SRU de l’hébergement d’urgence », soit une loi qui imposerait des quotas d’hébergement d’urgence dans chaque territoire à la manière de la loi SRU sur le logement social.

Coups de fil en détresse, familles à la rue avec des températures glaciales, travailleurs sociaux stressés et qui craquent… Les scènes de désespoir se sont multipliées ces derniers jours à la plateforme d’écoute du 115, qui oriente les demandeurs et demandeuses vers des places d’hébergement d’urgence. La situation est particulièrement catastrophique en Seine-Saint-Denis où des centaines de femmes enceintes et de familles avec des enfants en bas âge ont été refoulées début décembre.

Le plan Grand froid a été activé, qui doit permettre de débloquer des lieux inoccupés. Pour autant, ce plan ne résout pas le problème de fond, selon le président du département de Seine-Saint-Denis, Stéphane Troussel, qui a écrit au préfet de la région Ile-de-France, Marc Guillaume, pour lui demander un « rééquilibrage territorial », selon un courrier que s’est procuré 20 Minutes, qui s’est également entretenu avec son auteur.

Aujourd’hui en Seine-Saint-Denis, il y a des familles avec enfants, des femmes enceintes et des bébés qui dorment dans la rue. Comment est-ce possible et acceptable ?

Les cris d’alerte se multiplient concernant la situation de l’hébergement d’urgence en Ile-de-France et en Seine-Saint-Denis. Le nombre de personnes qui tentent de joindre le 115 sans y parvenir ne cesse d’augmenter, entre 1.500 et 2.000 personnes par jour. Cela ne veut pas dire qu’elles ne finissent pas par être hébergées mais cela montre la saturation de l’hébergement d’urgence. Et ce, alors même qu’il y a un nombre considérable de sans-abri qui ne tentent même plus d’appeler le 115. Je refuse qu’on nous fasse croire que c’est une fatalité. La France est la 6e puissance mondiale.



Connaissez-vous le nombre de personnes dans la rue en Seine-Saint-Denis ?

Non, on ne sait pas, il n’y a pas d’évaluation précise, rigoureuse. Il faut rappeler que l’hébergement d’urgence est de la responsabilité de l’Etat. Des collectivités ont participé aux nuits de la solidarité [opération annuelle de décompte de nuit des personnes sans-abri], mais ça ne fait pas un recensement exhaustif.

Le plan Grand Froid a été déclenché, mais semble-t-il, ça n’est pas efficace, pourquoi ?

C’est l’ensemble de la chaîne de l’hébergement et du logement qui est grippé. L’offre est saturée et concentrée. A partir du moment où vous avez des logements qui ne correspondent pas à la situation d’un grand nombre de gens compte tenu de leur prix, de la rareté et de la cherté du foncier, vous avez un problème d’accès au logement. La part des demandeurs qui ont droit au logement social mais n’arrivent pas à en obtenir atteint des niveaux très élevés [seuls 10 % des demandes de logements sociaux sont satisfaites en Seine-Saint-Denis]. Il y a de plus en plus précaires, qui ne peuvent pas accéder à un logement abordable et vont dans l’habitat indigne, et de gens qui ne trouvent même pas dans l’habitat indigne.

Le ministre délégué au logement a demandé aux préfets de recenser d’ici ce vendredi les bâtiments à même d’offrir des places d’hébergement temporaires, dans le cadre du plan Grand froid. Est-ce que vous savez si des bâtiments publics vont être mis à disposition en Seine-Saint-Denis, et lesquels ?

Je n’ai pas le détail ville par ville, mais des gymnases et des locaux vides ont été proposés. Je sais que La Courneuve met chaque année un gymnase à disposition. Cela s’active. Mais cela ne règle pas le problème durablement. Ce n’est pas le plus difficile d’ouvrir des gymnases. Le problème, c’est tout au long de l’année. Et ce n’est pas facile d’aller dormir dans un gymnase. S’il faut déclencher le plan Grand froid, c’est parce que l’hébergement d’urgence est saturé.

Vous avez interpellé le préfet de la région Ile-de-France pour dénoncer des disparités territoriales, pouvez-vous nous expliquer ?

Les cris d’alerte se multiplient concernant la saturation de l’hébergement d’urgence en Seine-Saint-Denis. Il faut traiter cela à l’échelle de toute l’Ile-de-France. Cela ne peut pas être réglé seulement à l’échelle de la Seine-Saint-Denis. On ne peut pas continuer durablement à ce que la Seine-Saint-Denis et Paris concentrent 65 % de l’hébergement d’urgence du Grand Paris. Ce profond déséquilibre n’est viable ni pour les personnes sans abri ni pour la Seine-Saint-Denis, on ne peut pas faire face seuls à cette situation. Car ensuite une fois que les personnes sont à l’hôtel il y a des suivis sociaux, de l’accompagnement social, une insertion locale, une demande de logement social et c’est normal. Mais chacun doit prendre sa part de solidarité et l’équilibre ne se fera pas de lui-même. Je demande un suivi transparent et annuel de l’offre d’hébergement d’urgence en Ile-de-France et un plan précis et territorialisé de constructions de logements d’urgence et de logements abordables. Et troisièmement, l’adoption d’un « SRU de l’hébergement d’urgence » qui permettrait de sanctionner les territoires. La loi SRU oblige à avoir un pourcentage minimal de logements sociaux [25 %], il faudrait la même chose pour l’hébergement d’urgence. Il faut que chaque ville prenne sa part dans l’hébergement d’urgence et que l’État impose un quota d’hébergements d’urgence dans chaque territoire. Il est nécessaire de rééquilibrer l’offre.

Est-ce qu’on sait dire aujourd’hui combien il y a de places dans chaque département ?

L’Etat sait mais je n’ai pas moi les nuitées d’hébergement d’urgence et leur répartition à l’échelle de l’Ile-de-France. Ce n’est pas loin d’être un secret bien gardé. Il faut rappeler que l’hébergement d’urgence est dans notre pays de la responsabilité de l’Etat. Les départements interviennent au titre de la protection de l’enfance, parce qu’on met à l’abri des femmes isolées avec des enfants de moins de trois ans, ou des mineurs. On peut intervenir mais pas directement.

Vous pointez aussi les hôtels qui n’acceptent plus d’être des hébergements d’urgence à l’approche des JO.

Je ne les pointe pas, je ne veux pas qu’on les pointe. Oui il va y avoir des événements et tout le monde le savait : la Coupe du monde en 2023, les JO en 2024. Il y a des demandes de déconventionnement d’hôtels qui souhaitent disposer autrement de leur capacité hôtelière parce qu’il va y avoir des visiteurs français et étrangers. Quand on construit un hôtel, c’est d’abord pour accueillir des touristes. La réalité, c’est à force que le système d’hébergement d’urgence soit insuffisant et saturé, il y a eu cette redirection vers les nuitées d’hôtels. Il faut que l’Etat se saisisse de cette situation pour accroître et rééquilibrer l’offre à l’échelle de toute l’Ile-de-France. La Seine-Saint-Denis quant à elle prend déjà sa part de solidarité régionale et même nationale en matière de logements sociaux et d’hébergements d’urgence.