art & euroPour le marché de l’art, une année 2022 au top malgré la crise

Vente aux enchères : Pourquoi le marché de l’art pète la forme malgré la crise économique

art & euro2022 s’annonce comme une année historique pour le marché de l’art, avec de nombreux records battus
La collection Macklowe, contenant notamment ce superbe Picasso, a été mise aux enchères en 2022
La collection Macklowe, contenant notamment ce superbe Picasso, a été mise aux enchères en 2022 - AFP / TIMOTHY A. CLARY / AFP
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • La crise ? Quelle crise ? Le marché de l’art affiche une santé olympique, avec des chiffres records durant toute l’année 2022.
  • Loin de nos problèmes d’inflation, à vous comme à moi, les œuvres ne se sont jamais aussi bien vendues.
  • Mais cette excellente forme de façade n’est pas dénuée de nuances.

Certes, le propre de l’art est de bousculer les codes, de se jouer des paradoxes et d’afficher de solides contrepieds. Mais tout de même, il y a de quoi hausser un sourcil à voir le marché de l’art être en si bonne forme, en pleine crise économique et peur de récession mondiale. 2022 enchaîne les chiffres fous : deuxième plus grosse vente d’une oeuvre (un portrait de Marilyn Monroe par Andy Warhol), double record de la collection la plus chère jamais vendue, record du nombre d’oeuvres à plus de 100 millions… Comment expliquer un tel écart avec l’économie mondiale dans son ensemble ?

La tendance n’a en réalité rien de nouveau. Depuis 2010, les ventes aux enchères artistiques sont en hausse chaque année, renseigne Audrey Doyen, anthropologue et spécialiste du marché de l’art et des ventes. Seules deux exceptions : 2018, « une année faible », et 2020 avec le coronavirus. « Même là, les ventes s’étaient effondrées au premier semestre, mais il y avait eu un rattrapage en partie lors des autres mois ». Le rapport annuel The Art Market 2022, publié par Art Basel & UBS en mai, annonçait un chiffre d’affaires de 65,1 milliards de dollars, dépassant le niveau pré-pandémie. Et pas plus tard que ce lundi, Christie's et Sotheby's ont annoncé une année record (toutes ventes confondues). Bref, le marché pète la forme, « avec une bulle spéculative qui n’a toujours pas explosé, donc les chiffres montent encore », résume la spécialiste.

Divorce et décès dopent le marché

Mais alors, qu’a 2022 de spécial ? Le chiffre d’affaires est notamment boosté par quelques ventes records, trois des dix plus grosses enchères de tous les temps ayant eu lieu ces douze derniers mois. « Il y a eu une plus grande disponibilité d’œuvres en raison notamment de la mort de Paul Allen *, cofondateur de Microsoft, ce qui a entraîné la vente de sa collection privée. Pareil pour le divorce du couple Macklowe ** », appuie Léa Saint-Raymond, docteure en histoire de l’art. Les œuvres détenues par Paul Allen se sont vendues en novembre 2022 à 1,62 milliard de dollars, pulvérisant l’ancien record de la collection la plus chère aux enchères détenue par… celle des Macklowe, vendue pour 922 millions de dollars au printemps.

Une offre accrue, donc, et une demande plus conséquente. Léa Saint-Raymond développe : « Il y a de plus en plus de riches dans le monde, et de fortunes prêtes à dépenser beaucoup pour des œuvres d’art ». La récession ? Connais pas. « L’art est plutôt épargné lors des crises économiques. Au contraire, il est vu comme une valeur refuge », poursuit Audrey Doyen. « Les clients veulent diversifier leurs actifs pour profiter de l’art et parce qu’ils savent que la plupart des œuvres continuent de prendre de la valeur avec le temps », expliquait à l'AFP en novembre Adrien Meyer, coprésident du département Impressionnistes et Art moderne chez Christie’s. « Il y a plus de milliardaires que de chefs-d’œuvre » disponibles sur le marché, résumait-il.

Vers une trop grande hégémonie ?

Mais tout n’est pas rose. Comme on l’a dit, l’année est boostée par de grosses ventes. Dans le détail, 52 œuvres ont dépassé les 30 millions de dollars, alors que le précédent record s’élevait à 36 en 2015, selon l’AFP ; 24 œuvres ont dépassé les 50 millions, effaçant le record de 15 œuvres en 2014. Et la barre des 100 millions a été franchie six fois, alors qu’elle ne l’avait jamais été plus de trois fois la même année. « Le marché repose surtout sur les grands opérateurs et les grandes maisons, principalement avec de l’art contemporain et du fine-art », insiste Audrey Doyen.

Conséquence : la situation est moins glorieuse pour les « petites » maisons et d’autres courants moins cotés, précise l’experte. Les arts impressionniste, moderne et contemporain représentent 89 % des enchères à plus de 30 millions dans toute l’Histoire. En 2022, cette hégémonie a encore augmenté, à 94 %, toujours selon l’AFP. La mainmise est également géographique : près de 73 % des enchères à plus de 30 millions ont lieu à New York, essentiellement chez Christie’s et Sotheby’s. Comptez 80 % en 2022.

L’âge d’or avant la chute ?

Quelque part, la situation n’est pas sans rappeler celle du cinéma, qui s’appuie de plus en plus sur quelques blockbusters records pour masquer une santé économique bien plus nuancée qu’il n’y paraît.

L’art se vendra-t-il toujours aussi bien à l’avenir ? « Le marché profite d’un retour au présentiel, avec de nombreuses foires artistiques qui attirent des fortunes venues du monde entier », ajoute Léa Saint-Raymond. Voir les œuvres, se rendre sur place, participer à de grands évènements, tout cela incite forcément à plus d’achats qu’en distanciel grâce à l’émulation collective. Mais justement, ce modèle pourrait arriver à son terme en raison du bilan écologique cataclysmique de ce genre de déplacements privés à travers le monde, note la spécialiste. L’âge d’or est bel et bien là, mais le déclin est peut-être à l'horizon.

* Figurent notamment dans cette collection La Montagne Sainte-Victoire, de Paul Cézanne, Verger avec cyprès, de Vincent Van Gogh, Maternité II, de Paul Gauguin, ou Waterloo Bridge, temps couvert, de Claude Monet.

** Pour cette collection, vous aurez droit à Number 17, de Jackson Pollock, Le Nez, ou Self Portrait d’Andy Warhol.