Longue peine« On est déconnectés, comme dans une bulle »… Quand Noël se passe en prison

Noël : « On est déconnectés, comme dans une bulle »… En prison, l’isolement loin de la famille

Longue peineAlors que les familles se réunissent pour les fêtes de fin d’année, les personnes en détention restent à l’écart de ces retrouvailles annuelles
A la prison des femmes de Rennes, les détenues purgent de longues peines, subissant souvent un grand isolement.
A la prison des femmes de Rennes, les détenues purgent de longues peines, subissant souvent un grand isolement.  - C. Allain/20 Minutes / 20 Minutes
Camille Allain

Propos recueillis par Camille Allain

L'essentiel

  • À l’occasion d’un reportage en prison, 20 Minutes a fait la rencontre touchante de Capucine (le prénom a été modifié).
  • Détenue depuis dix ans, elle espère être libérée d’ici un an ou deux afin de poursuivre ses études qu’elle a entamées en détention.
  • Alors que la plupart des familles seront réunies pour Noël, la question de l’isolement des femmes en détention pose question.

Quand Noël approche, certaines détenues de la prison de Rennes reçoivent un petit colis de leur famille. La contrainte ? Trouver quelqu’un qui puisse l’amener en mains propres à l’occasion d’un parloir. Pas toujours simple. Ici, les femmes qui sont incarcérées sont toutes condamnées à de longues peines et viennent de toute la France, parfois de Guyane. Sans famille proche, bon nombre d’entre elles subissent un isolement extrême, privées de tout contact avec l’extérieur. « On ne pardonne pas le crime à une femme », résume parfois le personnel pénitentiaire. Parce que les faits qui leur sont reprochés ont souvent été commis sur leur compagnon ou sur les enfants, ces femmes perdent un lien familial que la détention ne peut renouer. Et vivent avec une étiquette de criminelles qu’on ne pourra jamais pardonner.

À l’occasion d’un reportage dans l’enceinte de la maison centrale de Rennes, 20 Minutes a fait la rencontre de Capucine (le prénom a été modifié). Incarcérée depuis dix ans, elle a accepté de nous parler de cette rupture du lien avec l’extérieur.

Capucine, recevez-vous de la visite régulièrement ?

Oui j’ai cette chance. Ici, certaines femmes ne voient jamais personne. Moi, je vois parfois mon fils au parloir. Il a dix ans et je l’ai vu grandir depuis la prison. Quand je suis arrivée ici il y a dix ans, j’étais enceinte de lui. C’est mon petit bonhomme. C’est le seul qui vient me voir. Au début, j’avais deux amies qui venaient me voir mais elles ont arrêté. Je peux comprendre, elles venaient de loin et le temps a passé. J’avais quelques échanges par courrier mais j’ai fini par arrêter, parce que je n’avais plus rien à raconter. J’étais très proche d’une visiteuse de prison aussi mais elle est tombée malade et elle ne peut plus venir. J’avais noué un lien d’amitié très fort, je n’ai pas voulu parler à quelqu’un d’autre.



Avez-vous des amies ici en détention ?

Oui, j’ai des amies. Je connais beaucoup de monde ici. Pas tout le monde mais beaucoup de monde. Je sais que mon parcours a fait parler aussi (Capucine a repris des études et obtenu deux licences d’histoire et d’histoire de l’art depuis son incarcération). Tout le monde se connaît ici parce qu’on est en milieu fermé. On est déconnectés du monde extérieur, comme dans une bulle. J’ai des amies qui sont sorties d’ici aussi. Au début, on se promet de garder contact et puis après, chacun reprend sa vie et elles oublient. Je ne leur en veux pas, elles ont beaucoup de choses à penser pour se réinsérer.

Savez-vous quand vous pourrez sortir ?

J’ai fait une demande d’aménagement de peine mais il me faut un dossier solide, m’assurer que je pourrai avoir un logement, un travail ou des études. J’ai envie de cette seconde chance, j’ai la sensation d’y avoir le droit, même si j’ai une dette vis-à-vis de la victime. J’espère pouvoir commencer à sortir fin 2023 ou début 2024. C’est à la fois court et loin à la fois. En prison, on perd la notion du temps.

Comment voyez-vous la sortie ?

J’aimerais avoir un régime de semi-liberté pour poursuivre mes études et peut-être travailler en même temps. Ce que j’aimerais, c’est travailler dans un musée. Normalement, je devrais avoir un stage l’année prochaine mais j’attends que ce soit officiel.

Comment vous imaginez la vie dehors après plus de dix ans en prison ?

J’ai une crainte de sortir, comme beaucoup de monde ici. Quand les filles sortent, la vie les bouscule. Moi, j’ai peur de la sortie parce qu’on passe par plein d’émotions. Est-ce qu’on a le droit d’être là ? Est-ce qu’on a fini de payer ? J’ai vu des filles sombrer dans la dépression. Il y en a même une qui s’est suicidée. Il nous faut un entourage, un encadrement, quelqu’un qui nous tient la main. J’ai envie de me reposer sur quelqu’un pendant un premier temps. Je ne sais même pas où j’irai car je ne suis pas de Rennes. Mais mon fils n’est pas loin et j’aimerais le retrouver, reprendre mon rôle de mère.

Trouver un travail, c’est important pour vous ?

Oui, parce que j’ai repris mes études pour ça. Mais je suis lucide. J’ai 50 ans. Qui va vouloir m’embaucher ? Et est-ce que je vais dire à mon employeur que j’ai un casier ? Je n’ai pas envie de le cacher mais je n’ai pas non plus envie que tout le monde le sache. Je n’ai pas envie d’être jugée.