HOTTE STUFFS (5/5)L’orange de Noël, d’un symbole de luxe à une tradition désuète

Noël : L’orange, la tradition oubliée à laquelle les jouets ont fait la peau

HOTTE STUFFS (5/5)« 20 Minutes » vous accompagne durant les fêtes de fin d’année avec sa série « Hotte Stuffs » pour vous donner des infos, certes, mais surtout vous faire passer un moment au chaud et rigolo
Série de Noël Orange oubliée
Série de Noël Orange oubliée - Illustration: Diane Regny / Diane Regny
Cécile De Sèze

Cécile De Sèze

L'essentiel

  • Comme chaque année, la rédaction de 20 Minutes vous accompagne durant les fêtes de décembre. Et comme chaque année on court après les incontournables de la table et de la déco. En 2022, on vous en révèle un peu plus sur les rois de la fiesta.
  • Du 23 au 25 décembre, retrouvez les dessous des « Hotte Stuffs », ces stars de Noël ou du Nouvel An. Autrement dit, le sapin, la boule de Noël, le papier cadeau, la bûche et, enfin, l’iconique orange. Le tout illustré par notre journaliste, reine des crayons, Diane Regny.
  • Dans ce cinquième et dernier épisode, l’orange prend la parole. Un cadeau si simple, mais tellement précieux qui a fait vibrer les narines et les papilles de nombreux enfants il y a quelques décennies.

Je suis ronde, j’ai un peu de cellulite et un teint hâlé… Pourtant, je ne passe pas mes journées au bord de la piscine à boire des spritz. Je suis réquisitionnée en fin d’année pour faire briller les yeux des enfants quand ils me découvrent dans leur chaussette laissée près de la cheminée au réveillon de Noël. Souvent, je passe la nuit aux côtés de mon amie la papillote en chocolat… Vous l’aurez sûrement deviné, je suis l’orange de Noël, celle qui était tant attendue, il y a quelques années, avant que la multitude de cadeaux ne vienne l’éclipser.

C’était aussi l’époque où l’on ne me trouvait pas sur n’importe quel étal de supermarché, à n’importe quelle époque de l’année. Quand j’étais tellement rare et goûtue que je faisais vibrer les papilles des gamins émerveillés. Dans la famille d’Yves, aujourd’hui âgé de 79 ans, j’étais, dans les années 1940-1950, « un événement ». Les gamins « se précipitaient pour [me] déguster ». Parfois, le plaisir était si grand qu’il était repoussé afin de me conserver le plus longtemps possible. Et même jusqu’à me laisser pourrir, comme le raconte Nicole, 70 ans : « Nous les faisions durer le plus longtemps possible. Quelquefois nous repoussions tellement le plaisir de goûter les tranches d’oranges, qu’elles pourrissaient avant d’avoir pu les déguster ! Et pourtant nous étions heureux. »



D’autres gardaient précieusement ma pelure amère pour conserver cette odeur d’agrume propre à la fin de l’année. « Une fois l’orange ingurgitée, les pelures étaient entourées d’un mouchoir qu’il conservait le plus longtemps possible pour en garder l’odeur », raconte une lectrice à propos de son grand-père « né en 1905 ». Un peu après les années 1960, on pouvait toujours me trouver à Noël. Sauf que je n’étais plus offerte dans les foyers, mais dans les salles de classe de certaines écoles qui faisaient perdurer la tradition. Aujourd’hui, on me retrouve un peu dans quelques décorations autour des tables de fêtes, plantée de clous de girofle. Je n’ai pourtant pas perdu ma forte symbolique, qui a glissé du luxe vers la modestie.

Un luxe réservé à sa majesté

Simple agrume aujourd’hui, j’étais autrefois un luxe réservé à l’aristocratie et même aux rois. Exotique par mon origine, ma couleur, mon odeur, je faisais l’objet d’une réelle compétition dans la haute société. J’avais même mon propre jardin au château de Versailles au XVIIe siècle. Puis j’ai aussi eu mes quartiers dans la capitale, pour abriter mes orangers du jardin des Tuileries. Je suis alors devenue un fruit de luxe, symbole qui va me coller à la peau d’orange pendant plusieurs siècles. Mais je n’étais pas encore un produit lié à Noël. D’ailleurs à cette époque, on n’offrait pas encore vraiment de cadeaux le 25 décembre. Il faudra attendre encore quelques décennies, aux alentours des XVIIIe et XIXe siècles pour que je devienne un objet de convoitise en fin d’année.

Avec la révolution industrielle de la fin du XIXe siècle, l’arrivée des rails et du train, mon voyage depuis l’Andalousie ou le Portugal jusqu’au territoire français devenait plus simple, plus efficace, plus rapide. J’ai commencé à devenir de plus en plus accessible à la population, tout en gardant cette image de rareté. « Autour de 1860, offrir une orange à Noël devient une évidence », selon l’historien Xavier Mauduit. « Il y a comme un fantasme autour de l’orange comme le cadeau précieux, on offre le symbole », explique-t-il. Démocratisée, j’ai tout de même conservé cette image luxueuse, deux siècles après l’époque de la cour de Versailles.

Démocratisation avec l’arrivée du train

Petit à petit, les familles les plus aisées m’ont néanmoins délaissée, préférant les poupées, petites voitures, trains électriques et autres jouets plutôt que l’agrume juteux et sucré qu’il faut dépiauter. C’est l’époque des grands magasins, du Bonheur des dames de Zola. Mon prix est en baisse, et les familles les plus modestes vont alors s’emparer de cette idée de cadeau toujours associée au luxe, mais plus par les mêmes classes sociales.

« Nous attendions Noël avec impatience. Et nous attendions surtout les friandises. Nos parents étaient cultivateurs-métayers en Bourgogne, des revenus pauvres et des enfants nombreux. Après avoir posé nos pantoufles au pied de la cheminée, nous allions nous coucher en espérant entendre le père Noël entrer à la maison. Terrassés par le sommeil, ce n’est que le lendemain matin que nous allions vérifier son passage. Et là, joie, nous avions tous un petit cadeau accompagné de quelques papillotes au sucre et de deux oranges (une dans chaque chaussure !) », se souvient une lectrice de 70 ans.

Puis Noël devint une « fête Coca-Cola »

Je suis finalement tombée en désuétude dans les années 1950-1960, quand l’américanisation de la société a eu raison de ma simplicité. La société de consommation a pris le dessus et les jouets m’ont de plus en plus remplacée. Mais aujourd’hui, je vis encore dans l’esprit de Noël à travers les souvenirs de ceux qui m’ont tant choyée. « Mon grand-père, né en 1905 dans une ferme du Jura, me racontait systématiquement lors des réveillons ce qu’il vivait à Noël quand il avait mon âge », souvient ainsi une lectrice de 59 ans.


Notre dossier sur noël

Ces histoires perdurent tel un conte de Noël dans les récits des personnes âgées se remémorant « le bon vieux temps ». Toutefois, il est vrai que comme le souligne Xavier Mauduit, « il y a certainement une construction du souvenir chez de nombreuses personnes » qui se souviennent de leur enfance avec un regard nostalgique. Même disparue de sous le sapin, je conserve grâce à ces histoires mon symbolisme très fort.