COUPEAvec l’inflation, les coiffeurs s’arrachent les cheveux

Noël : Après la crise sanitaire, l’inflation… Sale temps pour les salons de coiffure

COUPEEntre la hausse des prix de l’énergie et la crise du pouvoir d’achat, qui rendent les Français moins dépensiers dans l’esthétique et la beauté, le secteur de la coiffure vit une fin d’année difficile
Chez un coiffeur indépendant du quartier de l'avenue de la Gloire. 23/11/11 Toulouse
Chez un coiffeur indépendant du quartier de l'avenue de la Gloire. 23/11/11 Toulouse - FRED SCHEIBER / 20 MINUTES / FRED SCHEIBER / 20 MINUTES
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • A l’occasion de ce Noël 2022 ou du Nouvel An, les Français devraient être moins bien coiffés que d’habitude.
  • Car alors que décembre est d’habitude un mois très porteur pour les coiffeurs, ces derniers sont de plus en plus délaissés par des consommateurs soucieux de leur pouvoir d’achat en période d’inflation.
  • Un miracle aura cependant peut-être lieu sous le sapin, avec de nombreux cadeaux potentiellement tournés vers l’esthétique.

Les coups de ciseaux fusent, les cheveux tombent comme des mouches, les coupes se « rafraîchissent » et « s’aèrent », comme on dit dans ce salon de coiffure Hair Home, dans le 20e arrondissement de Paris. Tous comme les cadeaux de dernière minute, certains attendent le dernier moment pour se couper les tifs, avec l’objectif clair d’être les plus beaux pour Noël ou le Nouvel an. « On a passé des fêtes de fin d’année pourries avec le coronavirus en 2020 ou 2021, autant se faire plaisir cette année », estime Lucie, 53 ans, en pleine coloration et bien décidée à en jeter devant ces neveux.

Une mentalité qui convient particulièrement à Julie, la coiffeuse : « On se refait un peu durant ces dernières semaines, même si ça ne sera pas suffisant pour sauver l’année ». Le salon est bien rempli, normal en cette fin décembre, « une période toujours bien chargée ». Le lieu n’a pas retrouvé la fréquentation d’avant la pandémie, même si la forme affichée est meilleure qu’en 2021. Quatre personnes sont en train de se faire pouponner les cheveux, ce qui est déjà fort pour un jeudi matin. Mais « c’est loin de suffire ou d’être au niveau d’il y a dix ans. Quelqu’un appelle pour réserver, il y aura de place. Il y a dix ans, c’était complet », poursuit Julie.

Pouvoir d’achat au détriment de l’esthétique

L’inflation, galopante, cause un double problème insoluble pour les coiffeurs. Premièrement, l’explosion des coûts de l’énergie, le segment de dépenses à avoir le plus augmenté avec les produits alimentaires. Or, les salons de coiffures « sont très énergivores, utilisent beaucoup de matériels électriques, des sèche-cheveux, des tondeuses, de la lumière… », note Julie. Même constat chez Patrick, coiffeur à Tête-à-tête (Perpignan) : « On doit bien sécher les cheveux des gens après le shampoing ! Et on ne peut pas bosser qu’aux ciseaux pour faire des économies d’énergie, faut pas pousser. » Ses factures ont triplé en deux mois, et il se demande quand l’explosion des coûts va s’arrêter.

Conséquence, près d’un salon de coiffure sur deux répercute l’inflation sur ses tarifs, note Stéphanie Prat-Eymeric, secrétaire fédérale coiffure et esthétique pour le syndicat Force ouvrière. Ce qui nous amène au deuxième problème de l’équation : la crise du pouvoir d’achat touche l’ensemble des Français. ALors, au moment de choisir entre remplir le frigo, chauffer la maison ou se couper les cheveux, le choix est vite fait pour la plupart d’entre eux. « Avec la crise, l’esthétique peut être reléguée dans les choix des consommateurs », confirme Pascale Hébel, consultante en marketing stratégique et spécialiste consommation.

Des défaillances d’entreprises records

Une étude, réalisée par Ipsos pour l’Observatoire E.Leclerc des Nouvelles Consommations* au printemps dernier, montrait déjà que près d’un tiers des Français (32 %) renonce souvent ou très souvent à des dépenses en lien avec la beauté en raison d’un budget limité. C’est notamment le cas de Lucie, qui a arrêté les mèches blondes en 2022 (à part pour Noël, donc) : « A un moment, quand les prix augmentent et pas le salaire, il faut bien faire des économies quelque part. Et disons qu’entre ne pas manger à ma faim ou garder mes cheveux bruns, c’était assez facile de départager. »

Près de 9.000 défaillances d’entreprises avaient été comptabilisées en France cet été, selon le décompte recueilli par France Info auprès du cabinet Altares, un taux jamais observé depuis vingt-cinq ans. Les trois secteurs les plus touchés étaient la restauration (150 % de plus à l’été 2022 par rapport à l’été 2021, contre 69 % de plus en moyenne toutes entreprises confondues), les supérettes (100 %) et… les salons de coiffure et de beauté (94 %). Pascale Hébel : « Il y avait déjà une baisse du secteur avant le Covid-19. Les femmes se colorent moins, les gens se coupent davantage les cheveux eux-mêmes. Les crises sanitaire puis économique n’ont fait qu’empirer les choses ».

Il faut sauver Noël

Certes, en 2020 et 2021, le virus avait limité les grandes réunions de famille. Mais cette année, malgré une reprise épidémique, la crise sanitaire n’est plus vraiment vécue comme un frein : à peine 4 % des personnes interrogées comptent faire attention aux règles sanitaires pendant les fêtes, selon une étude NielsenIQ. La peur de se contaminer a donc presque disparu, mais elle a considérablement changé les habitudes : les Français se soucient notamment moins de leur apparence depuis l’avènement du télétravail et de la vie chez soi **. Une situation que vit François, 32 ans, bien décidé à garder ses cheveux longs pour économiser 30 euros : « On ne se voit qu’en famille pendant les fêtes, on ne va pas se prendre le chou à se faire un beau dégradé pour la madre ou le frère qu’on voit tous les mois. »



Patrick, de Tête à tête, a l’impression d’être enfermé dans un cercle infernal : « Avec l’inflation, les gens vont moins loin et se voient en moins grand comité, on retombe dans la problématique de 2020 et 2021 ». Reste alors l’espoir d’un miracle de Noël. « Ce sera le premier "vrai" 25 décembre depuis trois ans, il peut y avoir une volonté de sortir le grand jeu, quelle que soit la situation économique », estime Pascale Hébel.

Pour Stéphanie Prat-Eymeric, les cadeaux sous le sapin pourraient aussi être une bouffée d’air pour la beauté : « Par ces temps difficiles, les proches vont s’offrir beaucoup de cadeaux bien-être, comme des massages ou des séances chez le coiffeur, pour que l’autre se sente mieux. On le voit notamment avec les spas, dont les achats via des bons cadeaux ont augmenté. » Une nouvelle qui serait bienvenue pour les coiffeurs, souffle Lucie. « Des clients, on n’attend que ça », dit-elle en regardant nos mèches. Il est vrai un peu longues, et qui ne demandent qu’à être coupées.

* L’étude a été réalisée en ligne par Ipsos pour L’Observatoire des Nouvelles Consommations E.Leclerc, entre les 24 et 25 mars 2022, auprès d’un échantillon de 1.059 personnes représentatif de la population française âgée de 16 à 75 ans.

** D’après une étude menée en 2021 par IWG, cabinet spécialisé dans les espaces de travail flexibles, 59 % des sondés déclarent que l’époque des tenues formelles était révolue, 55 % affirment mieux travailler lorsqu’ils s’habillent comme ils le souhaitent, et 64 % des salariés souhaitent opter pour des vêtements confortables au bureau.

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