InterviewPourquoi les femmes sont-elles les premières victimes des talibans ?

Afghanistan : « Pour les talibans, la position des femmes dans la société représente ce qu’il y a de pire »

InterviewVictoria Fontan, rectrice de l’université Américaine d’Afghanistan, répond aux questions de « 20 Minutes » sur les restrictions des droits des femmes par les talibans
Un combattant taliban monte la garde alors qu'une femme passe devant lui à Kaboul, en Afghanistan, lundi 26 décembre 2022.
Un combattant taliban monte la garde alors qu'une femme passe devant lui à Kaboul, en Afghanistan, lundi 26 décembre 2022.  - Ebrahim Noroozi/AP/SIPA / SIPA
Cécile De Sèze

Propos recueillis par Cécile De Sèze

L'essentiel

  • Depuis leur prise de pouvoir en Afghanistan, les talibans ont drastiquement réduit les droits des femmes.
  • C’est principalement l’éducation et le droit à travailler des femmes qui ont été la cible de cette politique extrémiste.
  • Mais pourquoi les femmes sont-elles les premières victimes de ce régime ? Réponses avec Victoria Fontan, rectrice de l’université américaine d’Afghanistan, interrogée par 20 Minutes.

«L’histoire de la résistance des hommes à l’émancipation des femmes est encore plus instructive que l’histoire de l’émancipation des femmes », écrivait Virginia Woolf. En Afghanistan, le recul des droits des femmes depuis l’arrivée des talibans au pouvoir en août 2021 est spectaculaire. En seize mois, des jeunes filles ont été empêchées d’aller à l’école, le chef suprême des talibans a ordonné aux femmes de se couvrir entièrement en public, y compris le visage, et de rester principalement à la maison, et plus récemment, l’Afghanistan a interdit aux femmes de travailler pour les ONG. Selon le G7, l’abolition des droits des femmes peut constituer « un crime contre l’humanité ».

Mais pourquoi les talibans s’en prennent-ils principalement aux femmes et à leur éducation ? Selon Victoria Fontan, rectrice de l’université américaine d’Afghanistan, cela relève davantage d’une stratégie politique que d’une problématique religieuse.

Pourquoi les droits des femmes sont-ils les premières cibles du régime des talibans ?

Ce qu’il se passe en Afghanistan est politique. Les talibans ratissent sur la droite de l’échiquier politique, ce qui, dans ce pays, est l’Etat islamique (EI) car il y a énormément de mouvances de combattants entre l’EI et les talibans. Après leur accession à la tête du pays, ces derniers n’ont pas réussi à asseoir le pouvoir sur les services publics. La population est mécontente et comme n’importe quel parti politique en échec et difficulté, ils ratissent d’un côté, en l’occurrence la droite.



Dans une société où les talibans n’arrivent pas à livrer les services de base, ces lois contre les droits des femmes assoient alors leur pouvoir au niveau politique, social et religieux. D’autant que ça ne coûte rien et cela leur permet de montrer qu’ils sont en charge. En France, quand un parti politique au pouvoir est en difficulté, ce sont souvent les minorités qui payent le prix, et en Afghanistan, la minorité ce sont les femmes. Ce n’est pas tellement l’aspect rigoriste de la religion qui entre en compte, sachant que dans les familles des talibans au pouvoir, les femmes sont principalement éduquées.

Pourquoi l’éducation est-elle particulièrement visée ?

Il n’y a plus grand-chose d’autre à attaquer concernant les droits des femmes. L’étau s’est refermé petit à petit avec les mesures prises concernant l’éducation secondaire, puis les matières enseignées, ou encore la ségrégation entre les femmes et les hommes sur les campus, les codes vestimentaires, l’interdiction pour les femmes de se rendre dans les parcs, les salles de gym, les bains publics, etc. Il ne reste plus que l’éducation supérieure avec les restrictions sur les ONG où les femmes n’ont plus le droit de travailler. C’était pourtant leur planche de salut, beaucoup y travaillaient.

Les femmes représentent-elles une menace pour les talibans ?

Non, ce n’est pas une menace. Avant 2021, l’Afghanistan était déjà très patriarcale. Les femmes qui travaillaient dans l’administration étaient très souvent victimes de harcèlement sexuel et ne pouvaient pas gravir les échelons. Même avant les talibans, c’était une place très chère payée.

Les femmes représentent-elles une cible facile ?

C’est bien sûr une cible facile, faible sur fond de patriarcat bien ancré. Et pour ce groupe politique extrémiste que sont les talibans, la position des femmes dans la société représente ce qu’il y a de pire. Pourtant, la société afghane n’a pas toujours été aussi sévère envers les femmes. Elle est basée sur le soufisme, un courant de l’islam bien différent de la vision saoudienne par exemple de la religion.

Existe-t-il une contestation contre ces violations des droits des femmes en Afghanistan ?

Les jeunes et particulièrement les étudiants regardent beaucoup les réseaux sociaux et notamment ce qu’il se passe en ce moment en Iran. Ils voient que c’est possible de se lever en tant que jeunesse contre un état totalitaire. Et surtout, ils se rendent compte que s’ils ratent le coche, ils pourront être dans la même situation dans 40 ans. C’est une opportunité à saisir.


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Toutefois, il n’y a pas de contestation massive mais quelques comportements comme ce professeur de Kaboul qui a déchiré son diplôme à la télévision. Certains étudiants refusent, par ailleurs, de passer leurs examens en cette fin d’année. Il y a également certaines écoles dans plusieurs communautés locales qui ont continué d’ouvrir leurs portes aux jeunes filles. On peut donc parler d’une certaine résistance mais ce n’est pas coordonné ou massif.

Que peut faire la communauté internationale pour tendre la main aux femmes afghanes ?

Il faut continuer de parler des choses qui fâchent, notamment lorsqu’on rencontre les talibans. Il faut continuer à faire pression et soutenir les personnes en Afghanistan. Il faut que la communauté internationale continue d’exploiter les failles du système des talibans, en utilisant notre privilège économique, social et politique. Et surtout, il ne faut pas lâcher, continuer quoi qu’il arrive.