CourrierOn a demandé à des séniors ce qu’ils pensaient de la fin du timbre rouge

La Poste : On a demandé à des séniors ce qu’ils pensaient de la fin du timbre rouge

CourrierLe timbre rouge, permettant une livraison en un jour, ne passera pas la nouvelle année, et sera remplacé par un service numérique. Pour les séniors, principaux concernés par la fracture numérique, la nouvelle ne passe pas toujours bien
La e-poste, ce n'est peut-être pas encore pour demain pour nos séniors
La e-poste, ce n'est peut-être pas encore pour demain pour nos séniors - ImagFlip / ImagFlip
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Le timbre rouge, qui permettait d’envoyer sa lettre en 24 heures, disparaît le 1er janvier 2023.
  • Il sera remplacé par une e-lettre rouge : un envoi numérique qui sera imprimé par le bureau de poste le plus proche du destinataire. Un service six centimes plus cher que le précédent.
  • 20 Minutes a interrogé des séniors, principales victimes de la fracture numérique, autour de ce changement, pas toujours bien accueilli.

Comme notre résolution de faire plus de sport et d’enfin manger sain, le timbre rouge ne survivra pas à 2022. A partir du 1er janvier 2023, cet outil express – qui garantissait à votre lettre d’arriver sous 24 heures – est remplacé avec effet immédiat par une e-lettre. Si vous voulez livrer un papier en moins d’un jour, il vous faudra le scanner ou l’envoyer par PDF sur le site de La Poste. La « lettre » sera ensuite transmise à la poste la plus proche du destinataire où un facteur imprimera le courrier et le distribuera le lendemain.

Pour les personnes peu à l’aise avec le numérique ou privé d’informatique chez eux – soit 8 millions de Français selon une étude de l’Insee fin 2019, particulièrement des personnes âgées –, il est possible d’envoyer la fameuse lettre rouge depuis son bureau de poste, via un automate ou avec l’aide d’un conseiller, qui aidera à scanner le courrier prioritaire. Que vous ayez besoin d’aide ou non, comptez 1,49 euro l’opération, six centimes de plus que notre défunt timbre rouge.

Courrier, enveloppe, facture numérique, tout cela sent bon le troisième âge. Profitant d’avoir des locaux à Levallois-Perret, pas vraiment la ville la plus jeune de France, 20 Minutes a fait un tour dans les bureaux de poste locaux pour interroger les + de 65 ans sur cette suppression pure et simple de l’envoi papier express. Une idée en forme d’usine à gaz au goût de Marie, 67 années au compteur et pas vraiment ravie. L’ancienne professeure n’a ni ordinateur ni téléphone portable chez elle mais un sac cabas et une langue bien pendue au moment de critiquer les mutations du XXIe siècle : « Une lettre manuscrite, c’est quand même mieux. Pourquoi nous impose-t-on Internet ? » Ultime courroux pour elle, l’idée que deux postiers (celui qui aide à scanner, et celui qui imprime) puissent potentiellement lire et dévoiler son courrier. « Où est l’intimité, la confidence ? On n’a plus de vie privée », s’insurge-t-elle.

Être pressé, pour quoi faire ?

Sur ce point, l’avocat du numérique Alexandre Archambault se montre rassurant : « Les opérateurs de télécommunications et prestataires de services numériques sont tenus au respect du secret des correspondances, dont la violation engage leur responsabilité au niveau pénal ». Porter atteinte à ce secret reste puni aussi lourdement que ce soit pour de l’écrit matériel ou en ligne, et comme le rappelle l’avocat, les télégrammes hier ou les cartes postales aujourd’hui étaient et sont déjà lisibles par les employés postaux. « Ils savent que s’ils le font, ils s’exposent à de très lourdes sanctions. Attention à ne pas confondre probabilité et possibilité », nuance l’expert ;

Pour François, 71 ans, la nouvelle est un non-évènement. « Qui utilisait encore le timbre rouge ?, demande-t-il à un autre bureau de poste de la ville. Même pour ceux qui n’ont pas Internet, il y a la possibilité de passer des appels téléphoniques, ne me dites pas que les gens ne savent pas se servir du fixe. » Et pour l’envoi de courrier écrit si cher à Marie, les lettres vertes sont maintenues – avec un jour de plus qu’en 2022, étant désormais livrées en 72 heures plutôt qu’en 48. « Certes, elles prennent quelques jours pour arriver, mais mes proches ne me demandent des nouvelles que tous les deux mois, alors, quelle importance à ce qu’une lettre entre nous n’arrive pas dans la journée ? »

Une grosse perte pour certains

L’utilisation des lettres rouges a été divisée par neuf entre 2010 et 2021, se justifiait la Poste au journal Midi Libre. Grosse tendance à la baisse aussi sur France Info, où Philippe Dorge, directeur général adjoint du groupe postal, estimait ainsi que le timbre rouge représentait 200 millions d’objets par an et diminuait de 15 à 20 % tous les 12 mois, contre 1,2 milliard d’objets acheminés chaque jour par le timbre vert. « Le timbre rouge ne représente que 4 % des courriers envoyés, contre 80 % pour le vert », résume Alexandre Archambault.



Pas vraiment une grosse perte donc, sauf pour certains réfractaires. Dont Marie, qui résiste encore et toujours à l’envahisseur numérique, « c’était quand même pratique pour vite faire parvenir un chèque quand un membre de la famille en avait besoin. Idem, lorsque mes petits-enfants voyaient que je ne l’allais pas bien au téléphone, ils m’envoyaient une carte postale express. »

Une mignonne histoire de Noël qui sera encore reproductible en 2023, mais en prenant plus de temps. La Poste vient de créer la lettre… turquoise, qui livre un courrier bel et bien en chair et en os sous deux jours. Comptez 2,95 euros contre 1,43 pour le timbre rouge défunt. « En gros, il faut payer deux fois plus cher pour un service deux fois plus lent », déplore Marie.

La casse du service public

Constat amer partagé par Prune Helfter Noah, porte-parole du Collectif Nos Services Publics : « Il y a une double dégradation des services et des tarifs en même temps, ce qui est assez choquant. La Poste est passée d’un envoi efficace et à prix abordable à des courriers au temps de passage plus long et plus cher. Ce n’est pas normal. »

La e-lettre rouge peine également à convaincre : « Qui va vraiment utiliser ça ?, s’interroge la porte-parole. Si vous êtes habiles avec Internet, quel intérêt de payer 1,49 euro pour ce qui n’est qu’un mail. Et si vous n’êtes pas à l’aise avec le numérique, c’est quand même très difficile – et très cher – à comprendre. » Prune Helfter Noah le prédit : « Au 1er janvier 2024, vous ferez un papier sur la disparition de la e-lettre rouge. C’est une idée creuse et vouée à l’échec, pour cacher la réalité : la Poste ne fait plus de courrier en un jour. Cette e-lettre ne sert qu’à faire passer la pilule. »

En ce vendredi 30 décembre, Nicole et Sylvie, sexagénaires aguerris, envoient leurs cartes de bonne année. Elles devraient arriver autour du 2 ou 3 janvier. Les deux femmes déplorent elles aussi la perte du timbre rouge, nouveau symbole d’une époque qui semble leur rappeler sans cesse qu’elles sont dépassées, mais aussi d’un temps où les services publics semblent de plus en plus détériorés : « Ca n’a l’air qu’un détail, bien sûr, une non-annonce. Mais ça, plus les hôpitaux, plus les petites lignes de train supprimées, plus les pénuries de professeurs… On se demande dans quel monde on vit désormais, lorsqu’on opte sans cesse pour l’affaiblissement et les économies. Avant, les services fonctionnaient par praticité, non par rentabilité. » Un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, comme on chantait à leur époque.