interview« Enseigner au collège est l’une des plus belles choses dans ma vie »

Education : « Enseigner au collège est l’une des plus belles choses qui me soient arrivées », s’enflamme Mara Goyet

interviewLa prof d’histoire-géo raconte pourquoi son métier la passionne toujours, 25 ans après ses débuts
Mara Goyet, enseignante d'histoire-géo au collège à Paris.
Mara Goyet, enseignante d'histoire-géo au collège à Paris. - Arnaud Février © Flammarion / Flammarion
Delphine Bancaud

Propos recueillis par Delphine Bancaud

L'essentiel

  • Dans Finir prof, peut-on se réconcilier avec le collège ?, qui parait ce jeudi, Mara Goyet, enseignante d’histoire-géo décrit son amour pour son métier, pourtant si souvent l’objet de caricatures.
  • Pour 20 Minutes, elle revient sur ses relations avec les élèves, tout en évoquant les maux qui touchent le collège.

Elle est prof d’histoire-géo depuis un quart de siècle et ne se lasse pas de son métier. Dans Finir prof, peut-on se réconcilier avec le collège ? qui paraît ce jeudi, Mara Goyet décrit avec enthousiasme les différentes facettes de son métier. Sans gommer pour autant les difficultés traversées par les enseignants : le manque de moyens dont souffrent les établissements, la gestion complexe de la continuité pédagogique lors de la crise du Covid, le traumatisme de la mort de Samuel Paty… « "Finir prof" sonne comme une menace ; c’est pour moi une chance », écrit-elle. Un ouvrage qui arrive à point nommé alors que le ministre de l’Education, Pap Ndiaye, vient d’annoncer de nouvelles mesures pour le collège.

En pleine crise du recrutement des enseignants, votre livre sonne comme un appel aux vocations. Après 25 ans d’exercice, comment expliquer que votre métier vous passionne toujours autant ?

Enseigner au collège est l’une des plus belles choses qui me soient arrivées. Et mon métier me passionne encore davantage aujourd’hui. Au début de ma carrière, j’appréciais surtout la transmission, la perpétuation de la culture… Et j’exerçais mon métier avec beaucoup de sérieux. Mais peu à peu, je me suis libérée d’une quantité d’injonctions. Et dans cette profession, on a toujours la possibilité de progresser, ce qui est très stimulant.

Vous déclarez être « au plus près des codes, des réseaux sociaux, des mots inédits ». Est-ce qu’enseigner auprès des ados permet de vieillir moins vite ?

Cela permet même de rester infantile ! Les adolescents sont en ébullition permanente, ils se transforment sans cesse et sont d’une vitalité inépuisable.

Vous n’hésitez pas à raconter des anecdotes en classe, à utiliser l’humour dans vos cours. Est-ce votre secret pour capter l’attention de vos élèves ?

C’est ma technique pour que la transmission des savoirs soit la plus efficace. Lorsque l’on enseigne, il faut être prêt à improviser et à faire preuve de créativité. L’humour est un excellent moyen de faire passer des informations. Comme les programmes changent peu, j’essaye chaque année de procéder différemment, en fonction de l’âge que j’ai et en m’adaptant à mes élèves. Sinon, je serai morte d’ennui ! Il faut se donner du mal pour ne pas tomber dans la routine.

Vous écrivez : « Plus je vieillis, plus je suis gentille avec les élèves ». On aurait pu croire, au contraire, que les enseignants devenaient moins patients avec l’expérience…

Non, car après 25 ans d’enseignement, je n’ai plus peur de mes élèves. Je n’ai pas besoin de faire ma ronchon pour éviter les débordements. J’ai aussi l’impression de mieux comprendre les collégiens, leurs ennuis, leur désarroi…

« Etre prof de collège garantit de ne susciter que peu d’admiration », écrivez-vous. Comment expliquer le manque de reconnaissance sociale dont souffrent les enseignants ?

D’abord, par leurs salaires peu élevés. Ensuite, parce que la mythologie autour du prof de collège est souvent négative. On le décrit souvent comme glandeur, dépassé… Et beaucoup d’adultes ont gardé un mauvais souvenir de leurs années collège.

Pourquoi définissez-vous le collège comme « le mal aimé de l’institution » ?

Je défends l’idée du collège unique. Le problème réside dans le fait qu’il est considéré comme « un petit lycée ». Or, certains élèves sont déjà en graves difficultés scolaires lorsqu’ils y entrent. Et nous n’avons pas les moyens humains pour suffisamment les aider. Par ailleurs, la manière dont est conçue la scolarité lors de ces années-là ne tient pas compte du fait que le collège est un corridor entre l’enfance et l’adolescence. Les exigences scolaires sont parfois trop élevées pour ceux qui traversent difficilement cet âge.

Selon vous, le nombre d’élèves en voie de décrochage a beaucoup augmenté ces dernières années. Pour quelles raisons ?

Je constate qu’il y a de plus en plus d’élèves sans vitalité, qui travaillent peu, qui ne parlent pas beaucoup. C’est dû à leur mode de vie, leur dépendance au portable, au manque de communication avec les adultes, au climat anxiogène dans lequel ils ont grandi avec les attentats et la crise climatique… Et alors qu’ils allaient déjà mal, le Covid les a terrassés. Leurs parents sont désemparés et demandent notre aide, mais nous avons bien du mal à aller les chercher.

Pensez-vous que l’annonce de Pap Ndiaye ce mercredi, de mettre en place une heure de cours en plus par semaine en français ou en maths pour les élèves de 6e dans le but de renforcer leurs compétences, va dans le bon sens ?

Une heure de soutien, cela ne suffira pas à changer la donne. C’est une solution paresseuse.

Vous évoquez le décès de Samuel Paty comme un traumatisme collectif. Qu’a-t-il changé dans votre manière d’enseigner et dans celle de vos collègues ?

Certains s’autocensurent pour faire preuve de tact envers les élèves ou par trouille. Ils ont compris que ce qu’ils disent en classe peut leur échapper complètement et être mal compris ou déformé. Et que cela peut avoir des conséquences sur leur sécurité. De mon côté, je ne m’autocensure pas, mais je me demande souvent en rentrant chez moi si mon cours a été bien reçu.

Selon vous, la « laïcité a été dévaluée et instrumentalisée ». Comment faire en sorte qu’elle soit mieux comprise par les élèves ?

La laïcité est mal aimée. Il faut en discuter dès le plus jeune âge avec les élèves pour leur montrer l’intérêt pour eux d’évoluer dans un cadre laïc.

Vous évoquez des relations en « chiens de faïence » entre les enseignants et les parents d’élèves, c’est-à-dire ?

Les groupes WhatsApp de parents d’élèves fleurissent. Un petit incident en classe peut très vite prendre des proportions importantes. Il faut que les enseignants comme les parents fassent un effort pour rétablir une confiance réciproque.

*Finir prof, peut-on se réconcilier avec le collège ?, Mara Goyet, Robert Laffont, 19,90 euros.