SeniorsLe départ à la retraite à 64 ans nuit-il au marché du travail des jeunes ?

Réforme des retraites : Prolonger l’âge de départ nuit-il au marché du travail pour les jeunes ?

SeniorsVa-t-il y avoir une guerre de générations sur le marché de l’emploi entre les jeunes et les seniors ?
Une personne âgée en plein travail, illustration. Une menace pour les jeunes ?
Une personne âgée en plein travail, illustration. Une menace pour les jeunes ?  - Photo by Adek BERRY / AFP
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • La réforme des retraites a été présentée ce mardi par Elisabeth Borne. La Première ministre a officialisé le désir du gouvernement de reporter l’âge légal de départ à 64 ans, au lieu de 62 actuellement.
  • L’exécutif a également lourdement insisté sur sa volonté d’améliorer le taux d’emploi des séniors, actuellement loin d’être majoritaire.
  • Mais si on arrive à faire travailler plus les seniors, et plus longtemps, ne risque-t-on pas de boucher le marché du travail aux jeunes générations ?

En 2010, l’âge minimum légal pour prendre sa retraite est passé de 60 à 62 ans. La nouvelle réforme, présentée ce mardi par Elisabeth Borne, souhaite encore décaler cet âge à 64 ans. Et encore, pour avoir le taux plein, la moyenne devrait plutôt se situer vers 65 ou 66 ans. En effet, cela nécessite 43 années de cotisation et l’âge moyen d’entrée sur le marché du travail est de 22 ans en France selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

A ces années supplémentaires s’ajoute la volonté affichée par l’exécutif de revaloriser le travail des personnes âgées. « Le taux d’emploi des seniors en France est révoltant », a déclaré le ministre de l’Economie Bruno Le Maire lors de la présentation. Un mantra martelé par chaque ministre présent à ce point : cette réforme devra aider à rehausser l’embauche des seniors, actuellement bien basse.

Une concurrence plus fantasmée que réelle

Seulement 56 % des 55-64 ans sont encore en activité, a indiqué le ministre de l’Economie. Mais à supposer que la réforme passe et fonctionne, ne risque-t-on pas de boucher l’accès du marché de l’emploi aux plus jeunes en embauchant trop de seniors ? « Cela a longtemps été cru, c’était même le principe de la retraite anticipée : laisser de la place pour les autres travailleurs. Ce fut un échec : le taux de chômage a même augmenté », rappelle Stéphanie Villers, macro-économiste et conseillère à PwC France.

Et en effet, « les jeunes et les personnes âgées ne sont pas en concurrence. Les métiers occupés par les entrants sur le marché ne sont pas les mêmes que ceux où travaillent les seniors, qui nécessitent de l’expérience et du vécu », appuie Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail. Conclusion, « quand les seniors partent à la retraite, ça ne donne pas du travail aux jeunes. »

Entre le jeune et le senior, avantage au jeune

Et en cas de possible rivalité sur un poste, par exemple en cas de changement de profession pour une personne âgée, « il ne faut pas se leurrer sur la réalité économique : le jeune, moins cher, à l’image plus dynamique et technophile, sera systématiquement ou presque sélectionné face à un senior », explique Stéphanie Villers. Ainsi, si le taux d’emploi des 55-64 ans s’établit à 56 %, ce chiffre cache en réalité une immense disparité : il est de 75,1 % pour les 55-59 ans et de seulement 35,5 % pour les 60-64 ans, selon les chiffres de la Dares en avril 2022.

Certes, la plupart des postes ne sont pas les mêmes, mais toute la chaîne de recrutement ne risque-t-elle pas d’être décalée de cinq ans, impactant in fine l’emploi des jeunes ? Imaginons une entreprise : le directeur part à la retraite à 65 ans plutôt que 60 ans, le vice-directeur n’accédera donc au poste de directeur qu’à 50 ans plutôt qu’à 45, le titulaire ne devient vice-directeur qu’à 30 plutôt qu’à 25, décalant l’embauche d’un nouveau titulaire de cinq ans.

Le principe de réalité

Mais là encore, Stéphanie Villers nous ramène à la réalité brute : « Une entreprise cherchera à remplacer un directeur de 60 ans par le vice-directeur de 45 ans, que cette réforme passe ou non. La chaîne ne sera donc pas perturbée » Selon une étude Apec/Pôle emploi, parue en janvier 2022, l’entrée au chômage est, pour 81 % des cadres seniors, la conséquence d’une rupture de contrat à l’initiative de l’employeur. Etude qui insistait longuement sur la difficulté pour un senior de retrouver un emploi derrière.

« Cette réforme des retraites ne devrait pas avoir d’impact sur l’emploi des jeunes, prédit Bernard Vivier. Le problème qu’elle soulève, c’est plutôt l’emploi des personnes âgées, assez mal considéré sur le marché du travail. » Si Bruno Le Maire peut se plaindre du taux d’emploi des seniors en France, il ne faut pas oublier qu’il n’est « que » de 8 % inférieur à celui de la moyenne de l’OCDE – 42 % des 60-64 ans sont en emploi. Or, la plupart des pays de l’organisation ont déjà passé la retraite à 65 ans – la France ayant l’un des âges légaux de départ le plus bas pour le moment –, ce qui montre que l’effet est loin d’être magique sur l’emploi des plus âgées.

En conclusion, « le marché de travail restera le même, poursuit Bernard Vivier. Parfois difficile d’accès pour les jeunes, et devenant de plus en plus précaires pour les seniors, avec un âge entre 30 et 50 ans de quasi-plein emploi. » Stéphanie Villers insiste : « Ce à quoi la France va devoir se pencher, c’est comment maintenir du travail chez les personnes âgées. Vouloir des seniors à temps plein jusqu’à 65 ans ressemble actuellement à une équation insoluble. On pourrait imaginer une démocratisation des temps partiels à partir d’un certain âge. C’est plus un défi qu’une menace pour les jeunes générations.  »