Football« Pour nous, c’est une religion »… Plongée au cœur du renouveau lensois

Lens-Auxerre : « Pour nous, le Racing est une religion »… Plongée au cœur du renouveau lensois

FootballLe Racing Club de Lens, vainqueur d’Auxerre samedi soir, est de retour au sommet de la Ligue 1, dont il occupe actuellement la 2e place
Des supporters lensois lors du match entre le RCL et Lyon, au stade Bollaert-Delelis, le 2 octobre 2022.
Des supporters lensois lors du match entre le RCL et Lyon, au stade Bollaert-Delelis, le 2 octobre 2022.  - AFP / AFP
Nicolas Camus

Nicolas Camus

L'essentiel

  • Le RC Lens a battu Auxerre (1-0) samedi soir lors de la 19e journée de Ligue 1, alignant un dixième succès d’affilée à domicile.
  • Les Lensois, actuellement deuxièmes du championnat, sont la belle surprise de cette saison.
  • Après 15 dernières années difficiles, marquées par neuf saisons en Ligue 2, les supporters sont ravis de constater ce retour au premier plan, qui rejaillit sur l’humeur de toute la ville.

De notre envoyé spécial à Lens,

Il paraît que c’est là qu’il faut aller pour humer l’atmosphère lensoise avant les matchs. « La Loco », rue Jean-Letienne, voit ses premiers clients arriver vers 11 heures les jours de match. Echarpes du Racing autour du cou, bien sûr. On commence parfois par un petit café, histoire de, et puis rapidement les premières pintes se mettent à couler. Avec une petite fricadelle ou un américain, ça passe tout seul. « C’est notre rituel, explique Rémi, 26 ans, attablé avec Sophie et Grégory, en attendant le reste du groupe de potes. On vient quatre, cinq heures avant le match. On boit un coup, on mange, ensuite on va en boire une dernière devant le stade. »

Le bar est situé face de la gare, à dix minutes à pieds de Bollaert. Son emplacement en fait, depuis longtemps, le point de ralliement des sections locales et régionales. Pour le match contre Auxerre, ce samedi, certains sont même venus de l’Aveyron. L’adresse est connue, même par les supporters adverses. Une dizaine d’Auxerrois sont là, pour goûter les fameuses frites du Nord autant que se chauffer la voix. « Lens, c’était un passage obligé pour nous, raconte Séverin, venu pour la première fois avec son frère Cyril. C’est le Liverpool de France, une telle ferveur on ne la retrouve pas ailleurs. »



A peine le temps de finir sa phrase, Les Corons retentissent à l’autre bout de la salle. Les visages s’illuminent. « Si on les chantera à la mi-temps avec les Lensois ? Bien sûr, s’exclame notre Auxerrois. Ça donne des frissons, et ça fait partie de ce pour quoi t’as envie de venir ici. » La chanson de Pierre Bachelet, hommage au bassin minier, est entonnée par le public à chaque match quand les joueurs reviennent sur la pelouse pour la seconde période. Elle fait partie du patrimoine local, et de l’identité du Racing Club de Lens, comme les couleurs sang et or et le kop de la tribune Marek placé au niveau de la ligne médiane.

« Les jours de match, c’est une autre ville »

« Ce club, c’est le peuple, la mine, rappelle l’ancien président Gervais Martel. Il appartenait aux Houillères, ensuite la ville de Lens l’a repris mais le public est toujours venu des mines. » La fermeture progressive des houillères du bassin du Pas-de-Calais, jusqu’en 1990, a laissé la région dans un état de délabrement économique, avec le Racing comme dernier étendard à chérir. C’est pour cette raison, et aussi parce qu’il était un vrai mordu de foot, qu’André Delelis, maire de 1966 à 1998, s’est toujours battu pour le sauver. En 2012, le stade a été renommé Bollaert-Delelis en hommage à tout ce qu’il a fait pour le RCL.

Aujourd’hui, la ville et le club sont plus que jamais intimement liés. « Je ne peux pas compter le nombre de fois par jour où on me parle du Racing, en sourit le maire actuel, Sylvain Robert. C’est un sujet fédérateur, et quels que soient les résultats d’ailleurs. On en parle tout le temps car c’est un élément structurant de notre territoire. » Un petit tour au bar Chez Muriel, à quelques pas du stade, suffit à s’en convaincre. Muriel Beaurepaire, bien qu’à peine sexagénaire, en est la gérante depuis 44 ans. Fille et petite-fille de mineur, elle va voir le Racing depuis qu’elle est en âge de marcher. « Pour nous, le Racing est une religion. Et Bollaert, notre temple, dit-elle. Tout tourne autour de l’équipe. Quand notre club va, tout va bien ici. Les jours de match, c’est une autre ville. On n’a que ça. »


Muriel Beaurepaire dans son café, à deux pas du stade Bollaert, où est affiché (entre autres) une photo de la victoire en Coupe de la Ligue, en 1999.
Muriel Beaurepaire dans son café, à deux pas du stade Bollaert, où est affiché (entre autres) une photo de la victoire en Coupe de la Ligue, en 1999.  - N.CAMUS / 20 Minutes

Forcément, après quinze dernières années assez sombres, marquées par neuf saisons en Ligue 2, le renouveau actuel du champion de France 1998 donne le sourire à tout le monde. « On revit les belles années. J’ai pleuré souvent, mais là ils nous font vraiment vibrer, poursuit Muriel. On a une équipe qui nous ressemble, ce sont des bons gars, et des gagneurs. » Ce samedi encore, même au bout d’une rencontre à mille lieues du feu d’artifice allumé contre le PSG le 1er janvier (3-1), les Lensois ont enchaîné face à Auxerre (1-0) un dixième succès d’affilée à Bollaert depuis le début de saison. Deuxièmes du championnat à mi-parcours avec un total de points historique à ce stade (44), les hommes de Franck Haise sont en train de replacer Lens sur la carte.

Le nom de l’entraîneur lensois est sur toutes les bouches chez les supporters. Arrivé sur le banc de l’équipe première juste avant la remontée, actée avec l’arrêt des championnats pour cause de Covid en avril 2020, il a depuis bâti avec son staff un vrai rouleau compresseur, piloté par le capitaine tout-terrain Seko Fofana. « L’équipe de cette année, rien à dire, elle est parfaite, estime Rémi depuis sa table à La Loco. Elle nous représente bien, et on se régale à chaque match. »

« Bollaert, une fois que tu y mets les pieds… »

Comme ses deux amis, ce professeur des écoles avait surtout connu la Ligue 2 pour l’instant. Ils venaient quand même, comme 30.000 autres passionnés parfois, « mais pas pour l’équipe, seulement pour le club, le blason ». Il espère aujourd’hui qu’il aura droit à ses années de bonheur, comme les générations précédentes. « On commence à imaginer l’Europe depuis la saison dernière, avoue-t-il. C’est le rêve de tout le monde. Si on veut être ambitieux, on peut viser les trois premières places. En tout cas, au moins la Ligue Europa. C’est largement jouable. » Le Racing n’a plus connu l’Europe depuis 2007, la C1 depuis 2002.

A l’intérieur du bar, Joan trépigne à cette idée. « J’y crois à la Champions League, on va le faire », s’anime ce petit gars de 10 ans, qui connaît les noms de tous les joueurs par cœur jusqu’à la réserve. Cela fait déjà cinq ans qu’il vient régulièrement avec son père, Alex, lui-même jeté dans la marmite très jeune par son paternel. « C’est très familial ici, ça se passe vraiment par la transmission de génération en génération, observe-t-il. Je ne me suis pas dit que mon fils devait être supporter de Lens, mais il me voyait, il a voulu venir. Et Bollaert, une fois que tu y mets les pieds… » Pas besoin de terminer, on voit bien l’idée.


La présentation des équipes devant le kop de la tribune Marek, le seul en France qui soit situé au niveau de la ligne médiane.
La présentation des équipes devant le kop de la tribune Marek, le seul en France qui soit situé au niveau de la ligne médiane.  - N.CAMUS / 20 Minutes

Joan se rappelle comme si c’était hier de ce Lens-Reims, match fondateur de ses émotions pour le Racing, alors que la famille habite Lille. « C’était incroyable, j’ai adoré tout de suite », s’enflamme-t-il. Son père est heureux qu’il découvre les joies du haut de tableau de Ligue 1, « même si on aime le club pour ce qu’il est, et pas parce qu’il marche bien ». Eux ne sont pas abonnés, mais peuvent se permettre de venir une dizaine de fois par an, grâce à des tarifs abordables (entre 9 et 13 euros pour les premiers prix). Les abonnements restent également raisonnables, de l’ordre de 200-300 euros pour les tribunes derrière les buts. Vestige de l’époque Martel.

« Quand je suis arrivé [en 1988], il n’y avait pas grand monde au stade, et seulement 2.000 abonnés. On a fait un gros travail pour faire revenir les gens, avec des prix pour les familles, les sections de supporters, les comités d’entreprise. Les gens ont été réceptifs, et à partir du moment où on est monté en première division en 1991-1992, c’était parti », retrace celui qui ne rate jamais un match à domicile, même depuis qu’il a définitivement passé la main en 2017. Pour cette saison, le RCL frôle les 30.000 encartés, pour un stade de 38.000 places. Il pourrait aller plus haut tellement les sésames sont convoités, mais il faut bien garder des places ouvertes.

Ville « sinistrée » vs « souffle nouveau »

En ce samedi pluvieux et venteux, on a tout de même trouvé une personne qui n’en a rien à faire du foot. Ziad est employé à la cordonnerie Basly, sur le boulevard du même nom, une des artères commerçantes du centre. Il avoue ne pas comprendre l’engouement autour du Racing. « Il y a des choses plus importantes dans la vie, surtout en ce moment avec la crise qu’on traverse », estime le quinquagénaire. Habitant de Lens dans les années 1980, il en est parti, pour revenir en 2020. Il ne reconnaît plus la ville, qu’il juge « sinistrée ». Les week-ends sont bien calmes, regrette-t-il, même si ça s’anime un peu quand il y a match.

« Les résultats apportent de la visibilité et un souffle nouveau à la ville, défend pour sa part le maire Sylvain Robert, à la tête d’un territoire qui affichait un taux de chômage de 28 % chez les 15-64 ans en 2019. On sent bien cet engouement. » Le milieu de terrain Adrien Thomasson, arrivé au club cette semaine en provenance de Strasbourg, était impatient à l’idée d’y goûter. Entré en jeu en fin de rencontre, il a pu prendre la mesure de son nouvel environnement. « Voir Bollaert plein, en plus avec le maillot de Lens, c’est très impressionnant, a-t-il raconté après le match. Je suis sorti un peu plus tôt à la mi-temps pour écouter Les Corons. J’ai déjà hâte d’être au prochain match à la maison. »

Ce sera Nice, tout début février. Avec l’objectif de continuer à chicoter tous ceux qui passent par là. L’humeur de la ville en dépend. « Si ce n’était que celle de la ville, souffle Gervais Martel. Moi, où que je sois on me parle de l’équipe, des résultats, de la coupe d’Europe. C’est toute une région qui vit avec le club. » Et à qui ce frisson du haut de tableau avait bien manqué.