PROCESAu procès des Barjols, des prévenus dépassés par les « enjeux judiciaires »

Ultradroite : « On n’est pas au salon de coiffure »... Au procès des Barjols, des prévenus dépassés par les « enjeux »

PROCESAu premier jour du procès de militants d’ultradroite, plusieurs prévenus ont indiqué qu’ils ne comptaient pas assister à toutes les audiences
Treize membres de l'ultradroite sont soupçonnés d'avoir envisagé de tuer Emmanuel Macron.
Treize membres de l'ultradroite sont soupçonnés d'avoir envisagé de tuer Emmanuel Macron. - PHILIPPE WOJAZER / AFP
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • Onze hommes et deux femmes, tous proches du groupuscule d’ultradroite « Les Barjols » comparaissent jusqu’au 3 février pour le délit d’association de malfaiteurs.
  • Ils sont notamment soupçonnés d’avoir fomenté une attaque contre Emmanuel Macron en 2018.
  • Ils encourent jusqu’à dix ans de prison.

Au tribunal correctionnel à Paris,

Avant même d’entrer dans le vif du sujet, le président de la 16e chambre du tribunal correctionnel à Paris, Thomas Jouck, a tenu à faire une mise au point : « Ici, nous ne faisons pas de religion, de politique ou de morale. Ici, nous faisons simplement du droit. Je le dis parce que, parfois, il est évoqué des fantasmes de justice politique qui n’ont pas lieu d’être. » Il faut dire que le dossier est sensible : depuis ce mardi et pour trois semaines sont jugés treize militants d’ultradroite pour association de malfaiteurs. Ils sont soupçonnés d’avoir, à divers degrés, fomenté, en novembre 2018, une attaque contre Emmanuel Macron, mais également d’avoir envisagé de s’en prendre à des migrants, de brûler des mosquées ou même d’enlever « des riches » pour obtenir une rançon.

Sur les bancs, la plupart des prévenus ont entre 50 et 66 ans. Tous ou presque sont vêtus de noir ou de gris anthracite, écoutent le magistrat – particulièrement pédagogue – les bras croisés, le regard fixe. Neuf d’entre eux n’avaient, auparavant, jamais eu affaire à la justice. A commencer par le seul mis en cause qui comparaît détenu : Mickaël Iber, 43 ans, mais l’air d’en avoir dix de plus tant ses traits sont marqués. La justice craint qu’il ne se présente pas aux audiences s’il est libéré. Mais finalement ce mardi, ce n’est pas tant l’aspect politique que la coloration sociale de ce dossier qui saute aux yeux.

« C’est un chat de race »

Bien qu’ils encourent jusqu’à dix ans de prison, beaucoup donnent l’impression de ne pas saisir les enjeux du procès. A l’image de ce prévenu Julien C., qui demande, par la voix de son avocate à être dispensé d’assister au procès – à l’exception de son audition – en raison de l’état de santé de son… chat. « C’est un chat de race, personne d’autre ne peut l’approcher », insiste son avocate, brandissant le carnet de santé de l’animal devant le regard quelque peu ébahi du président. « Entre la dose d’insuline de votre chat et les enjeux judiciaires pour vous et les autres prévenus… Ça me semble plus important quand même », soupire le magistrat. Même l’homme à l’épaisse barbe noire, soupçonné d’avoir fourni des recettes pour confectionner des explosifs, ne reviendra pas sur sa décision : il ne fera l’aller-retour depuis la Bretagne que pour son interrogatoire.

Ses co-prévenus, eux, mettent pour beaucoup en avant le coût d’un tel procès : trop loin, trop cher, trop chronophage. Tous vivent en province, beaucoup sont au chômage ou titulaires d’un emploi précaire. Pour le plus jeune, le tribunal comme le ministère public ne s’y opposent pas. Cet homme de 26 ans que le leader du groupe, Jean-Pierre Bouyer, présentait comme son « bras droit » est atteint d’un handicap mental. Il confie comprendre « vaguement » le président lorsque celui-ci lui rappelle les infractions qui lui sont reprochées. Au moment de décliner son identité, il ne peut réprimer des sanglots, enfonce ses mains dans ses poches pour tenter de maîtriser ses tremblements. « Soufflez, soufflez », lui glisse, bienveillant, le président.

« On n’est pas au salon de coiffure »

Pour les autres, en revanche, le magistrat se montre plus ferme. S’il comprend les contraintes, il explique l’importance d’assister aux débats, de pouvoir répondre si on est mis en cause par d’autres prévenus. La nécessité du « contradictoire », en somme. Mais à la barre, Nathalie C., la cinquantaine, cheveux poivre et sel, pull rose, ne veut rien entendre.

Elle fulmine contre les prix « hallucinants » des Airbnb dans la capitale, explique ne pas avoir les moyens de faire quotidiennement des allers-retours entre Paris et la Moselle. « De toute façon, je déteste Paris, ça m’angoisse », lâche-t-elle sans vraiment tenir compte de ce que lui dit le président. « On n’est pas au salon de coiffure », lui rétorque ce dernier. Et d’insister : « Si vous n’êtes pas là, ça vous met en difficulté. »

« Une pensée politique n’est pas une infraction »

Rien n’y fait : la prévenue fera l’impasse sur le procès, sauf pour son audition. Plus que la peine encourue, elle craint par-dessus tout de perdre les deux clients chez qui elle fait des ménages. « Je travaille chez un médecin généraliste, s’il apprend, je suis virée. » Ça lui est déjà arrivé lorsque l’affaire a éclaté : l’un de ses clients la traitait quotidiennement de « terroriste », elle a fini par démissionner. « C’est mon travail ou une affaire qui dure depuis quatre ans. Bah, moi, je choisis mon travail », explique-t-elle avec une certaine désinvolture. Et qu’importe si elle est « pénalisée ».

Combien de prévenus seront encore présents, mercredi, quand le tribunal entrera dans le cœur du dossier ? Mystère. C’est peut-être ce qui ressort de cette première journée : les mis en cause – dont l’enquête a montré que beaucoup avaient des penchants complotistes – seront-ils suffisamment présents pour comprendre les ressorts de la justice, constater son indépendance à « 200 % » selon les mots du président, et appréhender la raison pour laquelle ils ont été renvoyés ? « Une pensée politique n’est pas une infraction », a insisté le magistrat.