PROCESAprès 24 ans d’enquête, le procès d’une école infiltrée par la Scientologie

Scientologie : Après vingt-quatre ans d’enquête, le procès d’une école sous emprise

PROCESL’institut Aubert, une ancienne école privée de Vincennes (Val-de-Marne), est accusée d’avoir appliqué des préceptes de l’Eglise de scientologie à l’insu de parents d’élèves
Le siège de l'Eglise de scientologie, à Paris, en 2010
Le siège de l'Eglise de scientologie, à Paris, en 2010 - LOIC VENANCE  / AFP
Thibaut Chevillard

Thibaut Chevillard

L'essentiel

  • L’institut Aubert est une ancienne école privée de Vincennes accusée d’avoir appliqué des préceptes de l’Eglise de scientologie à l’insu de parents d’élèves.
  • Instruite à Créteil depuis 1999, cette affaire, passée entre les mains de dix juges d’instruction, avait conduit en 2012 au renvoi devant un tribunal de trois personnes. Puis, sept ans plus tard, de deux autres personnes et d’une association scientologue. Il a fallu attendre encore trois ans pour que son procès soit audiencé.
  • Me Olivier Morice, qui représente plusieurs parties civiles, a demandé lundi au garde des Sceaux d’ordonner une enquête de l’Inspection générale de la justice (IGJ) sur les « dysfonctionnements » de cette affaire.

L’affaire remonte au siècle dernier. À l’époque, Jacques Chirac entamait son premier septennat, les Bleus venaient d’être sacrés champions du monde pour la première fois, et Manau faisait un carton avec son tube La tribu de Dana. Vingt-quatre ans après le début de l’instruction, le tribunal correctionnel de Créteil va enfin se pencher à compter de mercredi, durant trois jours, sur le cas de l’institut Aubert, une école privée de Vincennes (Val-de-Marne). Six prévenus, membres de l’équipe pédagogique, sont jugés pour avoir appliqué à l’insu de parents d’élèves des préceptes de l’Eglise de scientologie, classée en France parmi les sectes par plusieurs rapports parlementaires.

Face à eux, une seule famille, dont les deux filles étaient inscrites dans cet établissement. « Dans ce dossier, d’autres ont abandonné parce que vingt-cinq ans, c’est épuisant, c’est trop long », dénonce leur avocat, Me Olivier Morice, auprès de 20 Minutes.

La pâte à modeler pour le stress

Tout commence en octobre 1998. S’inquiétant de la situation des enfants mineurs inscrits à l’institut Aubert, le maire de Vincennes envoie trois courriers au parquet de Créteil. Il joint à ses lettres un article de VSD intitulé A Vincennes, la scientologie rachète une école en perte de vitesse. La brochure de présentation de l’institut, reproduite par le magazine, promettait « l’absence de devoirs à la maison et d’interrogation écrite, tout en introduisant le recours à la pâte à modeler pour en finir avec le stress, le tout pour 33.300 francs par an (environ 6.400 euros). »

Une enquête est alors ouverte, confiée aux policiers de la sûreté départementale du Val-de-Marne. Rapidement, les enquêteurs découvrent des « irrégularités dans la situation administrative de l’établissement ». Ils mettent aussi la main sur plusieurs éléments concernant « l’appartenance » de cette école « à l’Eglise de scientologie », fondée en 1954 aux Etats-Unis par Ron Hubbard, un auteur de science-fiction.

Des « soins par contacts »

Une information judiciaire est ouverte en avril 1999 des chefs de « fraudes aux prestations de service », « publicité mensongère », « travail dissimulé », « escroquerie » et « abus de faiblesse ». L’affaire passera ensuite entre les mains de dix juges d’instruction.

Les investigations ont révélé que la direction de l’établissement tentait de dissimuler les connexions avec la scientologie. Une professeure a affirmé aux policiers qu’elle « n’était pas au courant du fondement scientologue de l’enseignement qu’elle devait fournir ». Le père d’un enfant scolarisé, qui était lui-même adepte de cette église et qui possédait des parts dans l’établissement, a pour sa part reconnu « que l’on aurait dû informer les parents sur l’existence de soins par contacts ». Une méthode qui consiste à « faire passer une douleur en faisant un contact avec sa cause ». « Cette technique n’a été validée par aucune étude expérimentale et peut conduire à un défaut de soins non négligeables », ont souligné des experts au cours de l’instruction.



« Carences éducatives, didactiques et pédagogiques graves »

Une seconde expertise a conclu que l’enseignement dispensé au sein de l’école « ne répondait à aucun des critères de qualité définis par la loi » et provoquait « des carences éducatives, didactiques et pédagogiques graves ». Elle pointe en particulier la « qualification insuffisante des personnels d’enseignement et d’encadrement ».

Une soixantaine d’élèves étaient scolarisés dans l’établissement à l’époque. Plusieurs parents ont déclaré qu’ils ignoraient « les liens des enseignants et de l’école avec l’Église de Scientologie ». Certains ont par la suite constaté des « troubles du comportement » chez leurs enfants. Une mère de famille a notamment assuré qu’elle n’y aurait pas inscrit son fils si elle avait connu les relations avec ce mouvement.

Si l’affaire ne comporte aucune complexité particulière, il a fallu pourtant attendre 2012 pour que trois personnes soient renvoyées devant le tribunal. Sept ans plus tard, deux autres personnes et une association scientologue l’ont été également. Et le procès n’a été audiencé qu’en 2022.

« Maltraitance judiciaire envers les justiciables »

« Ce qui rend mes clients particulièrement en colère, c’est qu’ils ont dû saisir les juridictions françaises dès 2013 pour faire condamner l’agent judiciaire de l’État pour faute lourde [pour le retard pris]. Et les juridictions françaises se sont comportées avec un corporatisme invraisemblable », déplore Me Olivier Morice. En mars dernier, le gouvernement français a finalement « reconnu » que l’instruction de cette affaire avait « méconnu les dispositions » de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) sur la durée raisonnable d’une procédure pénale. Il s’est engagé à verser près de 40.000 euros aux quatre requérants qui avaient saisi la CEDH.

« La véritable question qui demeure c’est : "Comment la justice explique-t-elle aujourd’hui une telle déshérence ?" » poursuit Me Morice. Dans un courrier adressé au garde des Sceaux, consulté par 20 Minutes, l’avocat dénonce une véritable « maltraitance judiciaire envers les justiciables ». Il demande à Eric Dupond-Moretti d’ordonner une enquête de l’Inspection générale de la justice sur les « dysfonctionnements » de cette affaire.