CANICULEPourquoi « renaturer » les cours d’eau en ville ?

« Renaturer » les cours d’eau, une solution d’avenir face au changement climatique

CANICULECanalisés, bétonnés, des centaines de cours d’eau s’écoulent sous nos pieds. De plus en plus de villes les remettent à l’air libre pour ramener la fraîcheur, la biodiversité et limiter les risques d’inondations
Depuis 2022, la Bièvre s'écoule à l'air libre à Gentilly et à Arcueil, ici, sous le pont de l'avenue Paul Doumer.
Depuis 2022, la Bièvre s'écoule à l'air libre à Gentilly et à Arcueil, ici, sous le pont de l'avenue Paul Doumer. - Gabrielle Trottmann / 20 Minutes
Gabrielle Trottmann

Gabrielle Trottmann

L'essentiel

  • Des cours d’eau ont été remis à l’air libre, ou vont l’être prochainement, dans plusieurs villes de France : en Seine-Saint-Denis, dans le Val-de-Marne, en Bretagne, à Marseille…
  • Ces opérations présentent de nombreux avantages : réduire les risques d’inondation et d’îlot de chaleur urbain, ramener de la biodiversité, renouer une relation entre la nature et les habitants… et améliorer la qualité des milieux aquatiques
  • En 2018, seuls 43,4 % des cours d’eau français étaient en bon état écologique, selon l’Observatoire national de la biodiversité.

«La Vieille-Mer ? Jamais entendu parler ! » Dans le parc Georges Valbon, entre Dugny et Saint-Denis, personne ne semble connaître le nom de la rivière canalisée sous terre. Et encore moins être au courant que le cours d’eau va être remis à l’air libre, d’ici à la fin de l’année prochaine. Mais, une fois le projet expliqué, l’idée plaît, en cette journée où le mercure a atteint les 30 degrés : « Ce sera beau, d’avoir un point d’eau, et puis ça fera un peu de fraîcheur ! » s’enthousiasme Donia. Depuis le début de la semaine, cette habitante de Dugny profite chaque soir du coucher de soleil, avec son fils, dans les vastes étendues de pelouse verdoyante. « Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi on a enterré la rivière… »

Canalisée, enfouie sous terre, à partir de 1957, la Vieille-Mer a connu un destin similaire à de nombreux cours d’eau. « A partir du XIXe siècle, on a voulu gagner de l’espace pour densifier les villes. L’hygiénisme joue aussi un rôle : les cours d’eau se transformaient en égouts à ciel ouvert, du fait des activités industrielles comme la blanchisserie ou la tannerie », explique Laurent Lespez, directeur adjoint du laboratoire en géographie physique au CNRS et spécialiste des rivières en milieu urbain.



« Il ne s’agit pas de revenir à l’état naturel »…

Combien de cours d’eau ont été enterrés, parmi les quelque 253.320 recensés en France ? Ce chiffre n’est pas connu. Ce qui est sûr, c’est que la tendance a changé. Depuis une vingtaine d’années, on découvre les avantages de les remettre à l’air libre, pour lutter contre les îlots de chaleur, le risque d’inondations, la sécheresse et ramener de la biodiversité dans des zones urbanisées.

On parle de « renaturation ». Un mot qui a plusieurs significations : redécouvrir les cours d’eau, les « reméandrer » (leur redonner une forme sinueuse, pour ralentir leur écoulement et permettre une meilleure infiltration des nappes phréatiques), débitumer les berges, démanteler des barrages, pour permettre aux espèces aquatiques de circuler…

En quête d’inspiration, les ingénieurs se font historiens : « On se plonge dans les archives pour retrouver la forme du cours d’eau, les essences qui poussaient dans le temps », explique Nicolas Debiais, du bureau d’études Biotec, spécialiste de ce type d’opérations. Laurent Lespez tient cependant à clarifier : « Il ne s’agit pas de revenir à l’état naturel ! L’objectif est de retrouver une fonctionnalité écologique ».

Des projets à Morlaix et à Marseille

Le Vice-président du Département de la Seine-Saint-Denis en charge de l’écologie urbaine, Belaid Beddredine, s’enthousiasme. D’ici 2025, la Vieille-Mer s’écoulera à l’air libre sur 4 kilomètres, essentiellement dans le parc de la Courneuve : « Plusieurs zones inondables seront créées, ainsi qu’une promenade et des herbes sauvages visibles en Île-de-France seront plantées. » Le projet prévoit de laisser un filet d’eau enterré, pour ne pas se retrouver « avec un volume trop important à gérer en surface ». Une opération chiffrée à 21 millions d’euros, financée par le Département, avec le soutien de l’agence de l’eau, de la Métropole et de la Région.

D’autres projets voient le jour dans toute la France. D’ici la fin de l’année, des travaux démarreront pour déterrer les Aygalades sur environ 150 mètres, à Marseille, en lieu et place d’une fourrière. En Bretagne, Morlaix envisage de lancer des travaux d’ici 2026, pour faire face au risque inondation.

Dans le Val-d’Oise, le retour d’expérience est largement positif. La redécouverte du Croult était dans les tuyaux depuis l’inondation spectaculaire de 1992. « La rivière est sortie de son canal souterrain, il y a eu 1,5 mètre d’eau dans le centre de Sarcelles, pendant trois semaines », raconte Eric Chanal, directeur général du syndicat pour l’Aménagement Hydraulique des vallées du Croult et du Petit Rosne.

En 2019, la rivière a enfin retrouvé son lit sur 800 mètres, à Gonesse, ce qui permet à l’eau de s’écouler sans submerger les villes, en cas de fortes pluies. Et des poissons sont revenus, à Sarcelles, ainsi que des chauves-souris et des libellules, dans une zone humide de 12 hectares, créée en parallèle à Gonesse.

Environ un degré de moins tous les 50 mètres

En 2022, la Bièvre a été redécouverte sur 600 mètres à Arcueil et à Gentilly, dans le Val-de-Marne, après plusieurs décennies de mobilisation des habitants. Elle refera aussi prochainement surface à Antony et L’Haÿ-les-Roses. L’Institut Paris Région a recensé les lieux où l’on pourrait la redécouvrir… en plein cœur de la capitale. Et notamment dans le parc Kellermann (13e arrondissement), où des études ont été lancées. La présidente de France Nature Environnement, Christine Nedelec, déplore cependant une « occasion manquée » concernant le réaménagement de la gare d’Austerlitz », qui aurait pu donner lieu à la redécouverte de la rivière - à la place, des magasins et des immeubles seront construits.

Redécouvrir les cours d’eau permet de s’adapter à la hausse température, souligne Amandine Richaud-Crambes, ingénieure en environnement à l’Ademe. Durant l’été 2022, les vagues de chaleur ont provoqué un excès de mortalité estimé à 11.000 morts, selon l’Insee. Or « l’eau est essentielle pour rafraîchir la ville, associée au végétal. Chaque fois qu’on désimperméabilise cinquante mètres, on gagne environ 1 degré de fraîcheur… »

Restaurer 100 % des espaces naturels européens

Autre enjeu : restaurer la qualité des milieux aquatiques. En 2018, seuls 43,4 % des cours d’eau français étaient en bon état écologique, selon l’Observatoire national de la biodiversité. La renaturation nous aider à atteindre un objectif fixé par la directive-cadre sur l’eau de l’Union européenne : avoir « un bon état des rivières, lacs et eaux souterraines », d’ici à 2027. Deux autres leviers pourraient nous pousser à accélérer le mouvement : l’objectif « zéro artificialisation nette », examiné à l’Assemblée nationale, et le projet de règlement qui vise à restaurer 100 % des espaces naturels européens, d’ici 2050.

Pour Amandine Richaud-Crambes, ces opérations « doivent nous encourager à dépolluer les cours d’eau, et à retisser un lien avec cet élément que l’on a cru, à tort, pouvoir dompter. » Découvrir les milieux aquatiques, observer le niveau de la rivière en fonction des crues et de la sécheresse… De retour au parc Georges Valbon, en Seine-Saint-Denis, l’idée séduit Donia : « J’ai hâte de transmettre cela à mon fils ! »