ENVIRONNEMENTLes jardins potagers de Vincennes en danger après leur expulsion

Vincennes : Les jardins potagers du Centre Pompidou en danger après leur expulsion

ENVIRONNEMENTLes « Jardins suspendus » ont été obligés de déménager des jardins-toiture en raison de la réfection complète du centre culturel et sportif
Les Jardins suspendus comprennent 80 parcelles de jardins potagers urbains entretenus par 200 familles adhérentes.
Les Jardins suspendus comprennent 80 parcelles de jardins potagers urbains entretenus par 200 familles adhérentes. - Sandy Constant / Les Jardins suspendus de Vincennes
Romarik Le Dourneuf

Romarik Le Dourneuf

L'essentiel

  • Les Jardins suspendus, créés en 2013 à Vincennes, sont contraints de déménager en raison de la rénovation complète du Centre culturel et sportif Pompidou.
  • L’association, en plus d’entretenir 80 parcelles sur 2.000 m2, proposait des ateliers pédagogiques, des centres de compostage et l’accompagnement d’écoles.
  • Les membres de l’association dénoncent une expulsion injustifiée à leurs yeux qui détruit une grande partie de leur travail. La Maire de Vincennes rétorque que le nouveau projet du centre était nécessaire et que l’association s’est vue proposée des alternatives.

L’aventure aura duré dix ans… Le 10 juin dernier, les Jardins suspendus de Vincennes célébraient leur dixième anniversaire sur la toiture-jardin du centre Pompidou. Une célébration au goût amer à n’en pas douter puisque celui-ci pourrait être leur dernier.

Créée en 2013 par le Vincennois, Franck-Olivier Torro, cette association a investi la dalle que constitue le toit du centre culturel et sportif de la ville du Val-de-Marne avec pour objectif d’en faire un potager urbain. Pari tenu puisque dix ans après, 2.000 m2 d’agriculture urbaine forment un espace de verdure et de fraîcheur en plein centre-ville. Mais le projet de reconstruction du centre Pompidou a provoqué l’expulsion par la Mairie de l’association et la destruction d’une partie de son œuvre.

Un ancien « point de deal »

« Pendant longtemps, cet espace coincé entre trois pans d’immeubles en U, était ouvert à tous les vents. Au point d’avoir été investi par des bandes qui provoquaient des nuisances toute la nuit et qui l’ont transformé en ''point de deal'', explique un porte-parole du Collectif Pompidou, l’arrivée de cette association a apaisé les choses et amélioré la vue et le cadre de vie. »

« Le fondateur des Jardins suspendus avait signé une convention avec le maire de l’époque, Laurent Lafon, pour transformer ce lieu en parcelles potagères sur les principes de la permaculture », explique Sandy Constant, coprésidente de l’association depuis 2022. Un concept qui a germé pendant des années, au point de devenir un véritable centre de culture agricole avec un peu plus de 80 parcelles et près de 200 familles adhérentes. « Il y en a deux par parcelle pour que celles-ci soient correctement entretenues tout au long de l’année. », ajoute Sonia Mare-Houssier, la seconde coprésidente.


Une vue "Avant/Après" l'apparition des Jardins suspendus sur le toit du centre Pompidou
Une vue "Avant/Après" l'apparition des Jardins suspendus sur le toit du centre Pompidou - Sandy Constant

Un succès qui a donné des ailes aux bénévoles au point de se développer de multiples façons : l’association dispose de cinq sites de compostage qui valorisent plus de 40 tonnes de déchets par an, de poulaillers, propose des formations validées par le Syctom, des ateliers pédagogiques et accompagne des écoles, collèges et lycées dans l’élaboration de potagers ou cours végétales. « Nous avons même des chats que des gens viennent abandonner sur place… Nous sommes donc aussi, par la force des choses, un site de nourrissage. »

Les jardins contraints au déménagement par la rénovation du centre sportif et culturel

Mais cet exemple de lien social disparaîtra à la fin du mois. « La Mairie nous a demandé de partir », se désole Sandy Constant. Une surprise pour les coprésidentes selon qui le projet de rénovation à l’origine ne devait pas concerner la dalle Pompidou : « Nous savions qu’il y avait un projet de réfection du toit. Mais à l’origine, il ne devait concerner que des infiltrations et les jardins n’étaient pas remis en cause. »

Puis au fur et à mesure des discussions avec la mairie, cette dernière aurait progressivement dévoilé un projet bien plus ambitieux : Rénover entièrement le Centre culturel et sportif pour en faire l’un des plus importants de la région. Le toit devrait être rehaussé d’une vingtaine de mètres et sera réaménagé « sous la forme d’un vaste jardin public descendant en pente douce » et équipé de panneaux solaires. Exit les Jardins suspendus.

Un terrible choc derrière la tête des membres de l’association, mais aussi pour les riverains, comme l’explique le porte-parole du Collectif des riverains de Pompidou : « Un endroit avec du vert, du calme, alors qu’on est dans le centre-ville de Vincennes, une ville dense et bruyante… Le centre va être relevé de presque 4 étages, c’est un désastre en termes de luminosité et de chaleur pour les habitants des barres d’immeubles. »

La Maire de Vincennes plaide l’absolue nécessité

Jointe par 20 Minutes, la Maire de Vincennes, Charlotte Libert-Albanel, n’en démord par et confirme son projet : « Nous avions une réelle nécessité de rénover profondément le centre. Côté sportif, sous les jardins, les infiltrations nous obligent à reprendre la totalité de la toiture, sinon cette salle, la plus grande de Vincennes, qui accueille les associations et des activités scolaires, était condamnée. » Même chose du côté de la salle de spectacle qui date de 1975 et qui montre « des signes de faiblesse ».

Des arguments qui ne convainquent pas l’association et le collectif de riverains qui se plaignent d’avoir été menés en bateau comme l’explique Sonia Mare-Houssier : « Aux premières réunions, les Jardins n’étaient pas remis en cause, puis petit à petit, nous avons compris que nous dérangions. Jusqu’à la réunion publique du 6 juillet 2022, ou la Mairie nous a présentés comme ayant accaparé un espace public… Alors que c’est un lieu ouvert à tous et qu’une convention était signée. »

Pour appuyer leur position, les présidentes de l’association assurent avoir découvert, documents à l’appui, que la Mairie a fait une demande de dispense d’évaluation environnementale pour son projet : « Cela leur évite de mener des opérations de sauvegarde des espèces présentes sur les lieux comme les oiseaux ou les chauves-souris. »

La Mairie propose plusieurs petites parcelles en compensation

Des affirmations, en partie démenties par Charlotte Libert-Albanel : « Les présidentes de l’association étaient parfaitement au courant que cela pouvait s’arrêter. Et ce jour est arrivé. C’est l’occasion de sortir de cette privatisation. Je les invite également à venir voir les conditions de pratique de nos sportifs, et pourquoi ils perdent des matchs sur tapis vert parce que le sol est trempé et qu’on doit mettre des bassines un peu partout par terre. »

Mais la Maire de Vincennes réfute également la manipulation dont elle est accusée : « Elles omettent de dire qu’on a travaillé de concert avec elles, en organisant une quinzaine de réunions sur le déménagement et la manière dont les choses allaient se passer. » Pour prouver sa bonne foi, la Maire avance également avoir proposé 200 m2 à dessein pédagogique dans le futur jardin de remplacement et quelques autres lieux dans la ville : « Nous avons racheté cinq parcelles pour six millions d’euros pour que quelques adhérents puissent reprendre du foncier. L’effort est conséquent. Des terres pleines, plus agréables alors qu’actuellement, elles font de l’agriculture en pots. »

« On nous a proposé 100 m2, répond Sonia Mare-Houssier, façon confettis. Un peu ici, un peu là, de quoi annihiler toute gestion globale et l’esprit des Jardins. De plus, ils se trouvent dans des espaces publics ouverts qu’on ne peut sanctuariser. Le moindre promeneur va se servir dans les plans ! »

« Une grande partie de notre travail est perdue »

Si l’avenir des Jardins suspendus reste incertain, leur délocalisation est déjà actée puisque de nombreux plants ont été déracinés dans l’espoir d’être sauvés, et pour être relogés chez des membres, amis et autres volontaires en attendant de trouver un nouveau havre pour pousser : « Mais une grande partie de notre travail est perdue », regrette Sandy Constant.



Le Collectif Pompidou Vincennes a lancé une pétition pour demander à rouvrir les discussions sur le projet et la préservation de Jardins suspendus. Parmi les 326 signataires (au 16 juin), Nathalie*, institutrice d’une école ayant bénéficié des ateliers des Jardins suspendus regrette déjà ces projets disparus : « Nous avions travaillé la saisonnalité et les plantations avec les élèves, comment entretenir, désherber, s’occuper d’un jardin. Notre cour a été transformée sur le principe des jardins ouvriers. Ce n’est pas pareil de le faire sur place ou de le faire en classe. Les intervenantes tenaient leur rôle pédagogique. C’est vraiment dommage, surtout en cette période de réchauffement climatique de ne pas pouvoir poursuivre. »