interviewL’IA au service de la bienveillance sur le réseau social Nextdoor

Nextdoor : « L’IA nous aide à construire un réseau social local et bienveillant », explique la CEO de la plateforme

interviewCEO du réseau social Nextdoor, Sarah Friar explique à « 20 Minutes » comment elle veille, notamment avec l’intelligence artificielle, à construire une plateforme bienveillante
Sarah Friar, CEO du réseau social Nextdoor.
Sarah Friar, CEO du réseau social Nextdoor. - Nextdoor / 20 Minutes
Christophe Séfrin

Christophe Séfrin

L'essentiel

  • À la tête de Nextdoor qui agrège 81 millions d’utilisateurs dans le monde, Sarah Friar milite pour construire un réseau social de proximité et de services, loin de Facebook ou de Twitter.
  • La CEO veille également à privilégier, notamment grâce à l’intelligence artificielle générative, des échanges courtois et bienveillants.
  • Personnage d’influence dans la Silicon Valley, elle déplore que la place des femmes dans la tech soit encore « ridicule ».

C’est l’un des grands noms de la tech : Sarah Friar. A la tête du réseau social de voisinage Nextdoor (81 millions d’utilisateurs dans le monde), la CEO prône le développement d’une plateforme alternative à Facebook et Twitter, et veille, notamment grâce à l’intelligence artificielle générative, à la civilité bienveillante des messages de ses utilisateurs. 20 Minutes a pu la rencontrer.

Nextdoor existe en France depuis 2018. Quel bilan dressez-vous de ces cinq années d’activité ?

La France est un de nos plus jeunes marchés et Nextdoor aura besoin de temps pour s’implanter, mais le bilan est positif, notamment dans les grosses agglomérations. À Paris et en Ile-de-France, par exemple, nous touchons un foyer sur six. C’est un peu comme dans une ville à l’image de Toronto, au Canada. Et il y a un point de basculement. Dès lors, cela devient rapide d’atteindre un foyer sur quatre, comme au Royaume-Uni et à Londres. Il y a un effet « réseau ».





Comment les gens utilisent-ils Nextdoor, à quoi leur sert cette application ?

50 % nos utilisateurs viennent sur Nextdoor chaque semaine. Et ces 50 % sont très actifs, puisqu’ils reviennent au moins quatre fois par semaine. C’est davantage que sur Pinterest, YouTube et même Twitter. Trois raisons principales motivent nos utilisateurs.

D’abord, obtenir des informations fiables. Les personnes cherchent à partager des infos sur du local, comme les horaires d’ouverture de la mairie, par exemple. La seconde raison est la recherche d’aide pour quelque chose de précis : trouver un plombier, une baby-sitter. Enfin, la quête d’expériences dans la vie réelle est un moteur d’engagement. Contrairement à d’autres plateformes, la probabilité est très élevée sur Nextdoor de rencontrer une personne de proximité, avec laquelle vous partagez des affinités.

On dit de Nextdoor qu’il s’agit de l’anti-Facebook. C’est justifié ?

Ce que Nextdoor apporte de plus, c’est de l’hyperlocal. Lorsque vous communiquez sur notre réseau, vous entrez en contact avec des voisins autour de vous, ce que l’on ne retrouve pas sur Facebook qui est un réseau plutôt amical et familial, ni sur Twitter qui agit comme un réseau broadcast mondial. L’autre aspect est l’accent mis sur la communauté et l’utilité. On préfère parler des choses qui se font, plutôt que de celles que l’on montre. Nous ne sommes pas dans le divertissement.

Comment éviter les excès, les dérives, voire le harcèlement, que l’on constate sur les autres réseaux ?

Nextdoor est fondé sur une idée de confiance. Nous vous demandons de vous présenter avec votre vrai nom. Il y a donc une forte probabilité pour que quelqu’un vous connaisse sur la plateforme. Ce que je n’aime pas avec les environnements virtuels c’est que l’on peut y être anonyme. Nextdoor implique davantage de responsabilité. Difficile de mal s’y comporter, alors que nous pourrions boire un café ensemble ou que l’on se retrouve sur le terrain de foot le week-end avec nos enfants !


Nextdoor veut créer du tissu social entre voisins de quartier.
Nextdoor veut créer du tissu social entre voisins de quartier. - Nexdoor

Ensuite, nous modérons différemment. Tout le monde peut signaler des abus qui vont être traités par nos 220.000 modérateurs locaux très actifs et très rapides (en moins de 5 heures, en moyenne). Je suis vraiment fière de cet aspect ! Dans notre rapport de transparence, il n’y a que 2 % d’avis négatifs sur ce point. Je pense, honnêtement, que l’on est beaucoup plus en avance que d’autres à ce niveau.

Et puis, nous avons développé de l’IA générative qui, en fonction de ses modèles, peut aussi détecter en temps réel des messages contraires à nos directives, avant qu’ils soient postés. Dès lors, une fenêtre pop-up s’ouvrira dans l’application et vous invitera à reconsidérer vos propos. Les gens n’aiment pas qu’on leur donne des leçons.

Cette problématique remonte-t-elle régulièrement ?

Cela n’arrive pas souvent, parce qu’au final, il n’y a pas tellement de contenus négatifs. Mais un tiers des gens revoient leurs posts avec cette invitation à plus de « gentillesse ». Ce n’est donc pas parfait, il faut convaincre les deux tiers restants. Et si vous ne souhaitez pas modifier votre message, notre IA générative vous propose néanmoins une façon plus constructive de dire les choses.


Sarah Friar, CEO de Nexdoor, tient à privilégier un réseau social de proximité et bienveillant.
Sarah Friar, CEO de Nexdoor, tient à privilégier un réseau social de proximité et bienveillant. - Nextdoor

Vous mode de financement est la publicité, en dehors de ça, quel usage Nextdoor fait de nos datas ?

Nous voulons vraiment essayer d’utiliser les datas pour que nos utilisateurs puissent en tirer avantage, et non pour notre avantage. Mais nous faisons en sorte de leur donner un maximum de contrôle. Ainsi, par exemple, vous pouvez indiquer votre vrai nom, ou, si vous ne le souhaitez pas, simplement mettre votre prénom avec une initiale. Vous pouvez aussi donner votre adresse complète, ou seulement celle de votre quartier, afin que nous ayons différentes façons de vous identifier.

Evidemment nous utilisons ces données pour optimiser votre fil d’actualité. Nous voulons donc nous assurer que si vous êtes un amoureux des animaux de compagnie ou que si vous êtes vraiment intéressé par les entreprises locales, nous mettrons probablement ces messages en avant par rapport à d’autres. Nous privilégions ainsi la diversité d’un quartier, avec différents groupes d’âge, différentes classes socio-économiques. L’idée, avec Nextdoor, c’est qu’outre les personnalités et affinités de chacun, il est aussi possible de se retrouver des terrains d’entente.

Vous êtes une femme d’influence, une des principales actrices du monde de la tech. Trouvez-vous que la place des femmes y évolue aussi vite que vous le souhaitez ?

Non. Et j’en ai d’autant plus pris conscience à la suite d’un événement organisé chez McKinsey, avec des femmes d’un certain âge et beaucoup de dirigeants, un bon moyen pour moi de promouvoir Nextdoor ! Reste que les statistiques évoquées ce jour-là étaient sans appel : dans la tech, il y aurait seulement 15 % de femmes ! Personnellement, je trouve que le bon chiffre devrait être au moins 50 %… Là, c’est ridicule et un peu triste. Il y a beaucoup de femmes cadres, mais si nous ne montrons pas que nous réussissons, nous aurons du mal à inspirer la nouvelle génération.

Selon vous, avec combien de réseaux sociaux pouvons-nous vivre ?

Excellente question ! En tant que mère d’adolescents, je suis particulièrement vigilante sur le temps passé par mes enfants devant leurs petits écrans de verre. Il faut surveiller ces choses, le temps passé sur les applications.

Bien sûr, je suis technophile, s’il y a une nouvelle appli à essayer, je l’essaye, mais il y a un équilibre à trouver. Le Covid nous a montré à quel point nous avions aussi besoin de connexions physiques.