ProcèsSoupçonné « d’élaborer » des attentats, le groupuscule « Waffenkraft » jugé

Terrorisme : Soupçonné « d’élaborer » des attentats, le groupuscule d’ultradroite « Waffenkraft » aux assises

ProcèsQuatre hommes, parmi lesquels un ancien gendarme volontaire, comparaissent devant la cour d’assises spécialement composée pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle ». Une première
Le fronton d'un palais de justice. (illustration)
Le fronton d'un palais de justice. (illustration) - Sébastien BOZON/AFP / AFP
Caroline Politi

Caroline Politi

L'essentiel

  • A partir de ce lundi et pour quinze jours, quatre militants d’ultradroite sont jugés aux assises pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle ». L’un d’entre eux étant mineur au moment des faits, les débats se tiendront à huis clos.
  • Alexandre Gilet, ancien gendarme volontaire, est présenté par les juges d’instruction comme « le plus radical et le plus motivé ». Il est le seul à comparaître détenu.
  • Ils encourent jusqu’à trente ans de réclusion criminelle.

«Ça aurait pu être moi. » Face aux magistrats qui l’interrogent, Alexandre Gilet le reconnaît sans détour : ce fut sa première réaction en découvrant depuis sa cellule la tuerie perpétrée en 2019 contre la mosquée de Christchurch, en Nouvelle-Zélande. Cinquante et un morts en quelques minutes. Ce gendarme adjoint volontaire, alors âgé de 23 ans, ajoute immédiatement que cette pensée lui a fait peur, précise que « ça ne [sert] à rien ce genre d’action ». Quelques mois auparavant, les enquêteurs ont pourtant exhumé de son ordinateur plusieurs écrits s’apparentant à des manifestes, « rédigés à la manière des tueurs de masse ». Dans l’un d’eux, il explique qu’à ses yeux, « une attaque réussie, c’est 50 morts » et détaille les modes opératoires qu’il estime les plus efficaces : fusillades, explosions, attaque à l’aide d’un véhicule…

Ces écrits étaient-ils le prélude d’un passage à l’acte violent ? C’est ce que devra déterminer à partir de ce lundi et au cours de ces deux semaines la cour d’assises spécialement composée des mineurs. Pour la première fois, quatre militants d’ultradroite sont jugés pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle », soupçonnés d’avoir préparé entre 2017 et 2018 des attaques. L’un d’entre eux étant âgé de 17 ans au moment des faits, les débats se tiendront vraisemblablement à huis clos. Un cinquième protagoniste, un collégien alors âgé de 14 ans, a été jugé en décembre par le tribunal pour enfants et condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis.

« Projet Waffenkraft »

Tout commence au début de l’année 2018, lorsque le jeune militaire, alors affecté dans la région grenobloise, rejoint sur le réseau social Discord le groupe « Projet Waffenkraft », puissance de feu en allemand. Celui-ci a été créé quelques semaines auparavant par un adolescent tout juste âgé de 17 ans, Julien*, scolarisé dans un établissement qui accueille des jeunes présentant des troubles du comportement. Le choix de ce nom ne doit rien au hasard : il est directement inspiré d’un groupuscule néonazi, principalement actif aux Etats-Unis, qui promeut la théorie accélérationniste, selon laquelle il conviendrait de provoquer une guerre civile et raciale en passant par des actions violentes. « Le but, c’est pas trop la discussion posée », écrit à l’un des membres le jeune fondateur, mais plutôt « l’action ».

Dans leur ordonnance de mise en accusation, révélée par Politis et dont 20 Minutes a eu connaissance, les magistrats estiment que c’est sous l’impulsion d’Alexandre Gilet, qu’ils décrivent comme le « plus radical et le plus motivé », que le groupe dérive vers « l’élaboration de projets terroristes ». Une lecture du dossier que rejette son avocate, Me Fanny Vial. « Il n’a jamais été le leader de ce groupe : il ne l’a pas créé, il n’a pas recruté ses membres, il n’en a pas choisi le nom, n’en était pas le théoricien. Il n’était à l’initiative de rien. »

Entraînement au tir en forêt

En juillet 2018, les échanges virtuels deviennent réels : cinq membres du groupe se retrouvent pour un week-end dans une forêt près de Tours. Au côté d’Alexandre Gilet et de Julien figurent Gauthier Faucon, fils d’un colonel de l’armée, étudiant en ingénierie surnommé Panzer – les chars d’assaut de l’armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale –, Evandre Aubert, ouvrier agricole de 23 ans, le seul à être connu de la justice mais pour des faits de toute autre nature, et le collégien déjà jugé. De nombreuses photos et vidéos de ce qui ressemble à des séances d’entraînement avec des explosifs artisanaux et des armes ont été exhumées lors de l’analyse des fichiers informatiques. Alexandre Gilet détient, en effet, légalement deux kalachnikovs, un fusil à pompe et un pistolet semi-automatique. Sur les clichés, on les voit poser fièrement les armes à la main, cagoulés, faisant le salut nazi. « Du folklore », estime Julien devant les magistrats.

Mais moins de six semaines après ce week-end, une entreprise fait un signalement à la gendarmerie : un certain Alexandre Gilet a acheté plusieurs produits entrant dans la composition du TATP, un puissant explosif. Le parquet de Grenoble ouvre une information judiciaire et quelques jours plus tard, lors de la perquisition, les enquêteurs découvrent ce qui s’apparente à un laboratoire d’explosifs et saisissent armes, chargeurs et munitions. En septembre 2018, l’homme est mis en examen pour des infractions liées à la législation des armes mais laissé libre sous contrôle judiciaire. En parallèle, son contrat à la gendarmerie n’est pas reconduit.

« Projets d’attaques »

Fin décembre, le parquet national antiterroriste se saisit finalement des faits après la découverte de plusieurs éléments troublants. Les enquêteurs ont notamment la conviction qu’Alexandre Gilet continue à chercher des armes et ce, malgré son contrôle judiciaire. Plus inquiétant encore : lui qui, dans un de ses écrits, vante l’efficacité d’une attaque au camion-bélier – à l’image de celle du 14-Juillet à Nice – entame une formation de conducteur de transport en commun. « Je vous conseille d’avoir le permis poids lourd, vous évitez toute suspicion », écrivait-il. Il sera finalement placé en détention provisoire.

Plusieurs cibles ont été évoqués au sein du petit groupe : le rappeur Médine, des dîners du conseil représentatif des institutions juives (Crif) ou Jean-Luc Mélenchon. Alexandre Gilet s’est également renseigné sur les adresses de trois mosquées et des bâtiments officiels à l’instar des ministères de la Justice et de l’Intérieur. « Pour qu’il y ait une cible, il faut qu’il y ait un commencement de repérage, un mode opératoire, là il n’y a rien. Mon client a toujours répété qu’il ne serait jamais passé à l’acte, qu’il y avait une forme de surenchère liée à l’anonymat sur Internet », insiste son avocate. Contactés, les avocats des autres prévenus n’ont pas donné suite à nos sollicitations. Les trois majeurs risquent 30 ans de réclusion, le mineur 20 ans.


*Le prénom a été modifié en raison de l’âge de l’accusé, mineur au moment des faits.