PROTECTION DE L’ENFANCESelon une étude, deux mineurs sur trois a déjà subi un préjudice sexuel

Les préjudices sexuels en ligne, un phénomène inquiétant qui touche près de deux enfants sur trois

PROTECTION DE L’ENFANCEFace à ce constat alarmant, les acteurs du secteur demandent une réglementation plus stricte pour que les plateformes contrôlent davantage les contenus explicites à destination des enfants
Parmi les jeunes de 18 ans interrogés, 2 enfants sur 3 déclarent avoir déjà subi un préjudice sexuel.
Parmi les jeunes de 18 ans interrogés, 2 enfants sur 3 déclarent avoir déjà subi un préjudice sexuel. - Canva / Canva
Lina Fourneau

Lina Fourneau

L'essentiel

  • Selon une étude publiée lundi 12 juin par « WeProtect Global Alliance », deux jeunes de 18 ans sur trois auraient déjà connu un préjudice sexuel en ligne.
  • Celui-ci peut prendre la forme d’envoi non consenti de photos ou vidéos, d’abus sexuels ou bien de « grooming ».
  • Pour l’instant, la réglementation demande aux plateformes d’agir sur la base du volontariat. Mais ce n’est pas suffisant, alerte les acteurs de la protection de l’enfance.

C’est sûrement une des plus grandes craintes des parents au moment où leur enfant commence à découvrir le numérique avec leur premier téléphone portable ou sur un ordinateur. A la machine à café comme dans les dîners, tous se questionnent sur cette problématique commune : « Comment éviter qu’un enfant tombe sur un contenu constituant une agression pour lui ? ».

C’est dans d’autres termes ce qu’on appelle un préjudice sexuel en ligne. Parmi ces actes, on retrouve l’envoi de contenus ou d’images sexuellement explicites - la plupart du temps sans leur consentement - ou la demande d’actes sexuels. Ces préjudices se font la plupart du temps d’un adulte vers un enfant, et dans une minorité des cas entre enfants.

Une intrusion dans la vie de l’enfant

Si les préjudices sexuels ont toujours existé, il se pourrait bien que le constat devienne de plus en plus alarmant. C’est du moins ce que montrent les résultats d’une étude publiée ce lundi par l’organisation WeProtect Global Alliance qui lutte depuis 2014 contre la maltraitance et l’exploitation des enfants en ligne. « Près de deux Français sur trois âgés de 18 ans ont subi au moins un type de préjudice en ligne pendant leur enfance ».

Réalisée dans plusieurs pays européens (Allemagne, France, Pays-Bas et Pologne), l’étude menée sur 2.000 jeunes de 18 ans montre que 49 % d’entre eux, en France, ont été confrontés « à des tentatives de discussion ou d’envoi de contenus sexuels explicites de la part d’adultes qu’ils ne connaissaient pas ou de leur entourage ». En Europe, le chiffre grimpe à 58 %.

Comme souvent, les préjudices sexuels semblent également choisir leurs victimes. L’étude montre que les filles seraient plus susceptibles « de voir un inconnu ou un adulte qu’elles connaissent essayer de leur parler de sujets ou de leur faire quelque chose de sexuellement explicite en ligne qui les a mises mal à l’aise ». Alors que 57 % des garçons affirment avoir déjà connu un préjudice sexuel en ligne pendant l’enfance, le chiffre pour les filles monte à 79 %.

Des préjudices de plus en plus présents

Un constat d’autant plus grave que les préjudices sexuels surviennent souvent « au stade avant les crimes sexuels », observe Mié Kohiyama, présidente du Brave Movement en France - association qu’on retrouve au sein de WeProtect Global Alliance et dont l’objectif est de mettre fin aux violences sexuelles contre les enfants en donnant de l’importance à leurs voix.

Mais pourquoi les préjudices sexuels sont d’autant plus importants au fil du temps ? Dans les années 2010, la surreprésentation de contenus sexuels à la vue des enfants existait bel et bien notamment sur la plateforme Chatroulette, ou plus tard sur Omegle. Mais l’étude récente de WeProtect Global Alliance montre également que la prédominance des téléphones chez les plus jeunes a augmenté ce constat. « 85 % des personnes interrogées en France qui ont été confrontées à une tentative de discussion l’ont reçue via leur téléphone portable, et 65 % l’ont vécue via des services privés de partage ou de vidéos ».

Des enfants pas assez protégés

« Dès 11 ans, on reçoit un portable et dès 13 ans, on subit déjà des préjudices sexuels », résume Mié Kohiyama. Or, à cet âge, les enfants ne savent pas forcément bien se protéger en ligne. Par exemple, lorsqu’ils reçoivent une image ou une vidéo explicite, la grande majorité des jeunes (87 %) bloque la personne, plutôt que de la signaler ou d’en parler à un adulte, souligne l’étude. Or, si aucun signalement n’est fait, le prédateur pourra recommencer autre part, sans jamais être poursuivi. « Pour protéger les victimes, nous devons demander le retrait des images sans consentement des enfants et qui peuvent constituer une agression sexuelle », soulève Mié Kohiyama.

Un travail sur la base du volontariat

Pourtant, la réglementation est encore en retard par rapport à l’ampleur du phénomène. Pour Mié Kohiyama, il y aurait certes un travail de prévention à fournir auprès des parents et des professeurs, mais ça ne suffit pas. « Nous en revenons à la nécessité de réglementer Internet pour protéger les enfants en favorisant la détection, le signalement et le retrait des contenus à caractère sexuel », souligne l’activiste.

Actuellement, la loi en Europe demande aux fournisseurs de retirer le contenu pédocriminel, mais uniquement sur la base du volontariat. Sur ce plan, c’est sûrement Meta - qui possède Facebook, WhatsApp et Instagram - qui s’en sort le mieux. Auprès de 20 Minutes, l’entreprise assure avoir des politiques strictes contre la nudité des enfants et l’exploitation sexuelle des enfants. En tout, ce serait près de 34 millions de contenus d’exploitation d’enfants supprimés entre octobre et décembre 2022, la grande majorité détectée avant leur signalement.

Couac supplémentaire, cette législation intérimaire sur la base du volontariat prendra fin en août 2024. D’où la nécessité d’agir au plus vite. Une réglementation - sur laquelle Mié Kohiyama travaille - est ainsi en cours au niveau européen pour éviter de faire d’Internet une jungle encore plus dangereuse pour les enfants. Pour cela, les auteurs de la réglementation demandent que la détection, le retrait et le signalement passent sous l’objet de la contrainte, plutôt que sur la base du volontariat.

Aucune technologie n’est à exclure

Mais une dernière problématique intervient alors. Si les plateformes arrivent à intervenir sur un réseau social public, comment faire quand la conversation passe en privé comme dans la grande majorité des cas ? Du côté de Meta, Facebook Messenger met en place par exemple des avis de sécurité pour aider les mineurs à éviter les interactions indésirables avec les adultes. Des technologies d’apprentissage automatique sont également à l’œuvre pour détecter les mauvaises photos ou vidéos.

Et dans le futur proche ? « Au fur et à mesure que nous déploierons le cryptage de bout en bout, nous utiliserons une combinaison de données non cryptées dans nos applications, les informations de compte et les rapports des utilisateurs pour assurer leur sécurité dans le respect de la vie privée tout en contribuant aux efforts de sécurité publique », a insisté la responsable de la sécurité mondiale chez Meta Antigone Davis dans un billet de blog paru en novembre 2021. Selon Mié Kohiyama, le contrôle pourrait également se faire via un système d’empreinte digitale par exemple. « Sans aller lire le contenu total du message, en préservant la liberté fondamentale et la vie privée, on peut quand même repérer un contenu pédocriminel », avance-t-elle.

Mais surtout, selon la présidente du Brave Movement France, aucune technologie ne devrait être exclue des radars. Par exemple, le « grooming » qui consiste en un acte malveillant d’un adulte se faisant passer pour un enfant en ligne pour solliciter une demande sexuelle devrait largement faire partie de cette réglementation. « La technologie évolue de manière majeure et très rapidement. Les prédateurs évoluent aussi avec, malheureusement. L’idée de ce règlement est surtout de faire en sorte que le cadre européen soit adapté au futur », conclut Mié Kohiyama.