REVOLUTIONCitoyens et collectivités testent une Sécurité sociale… de l’alimentation

L’idée d’une « Sécurité sociale de l’alimentation » fait son chemin en France

REVOLUTIONA Paris, Toulouse, Lyon, en Gironde, en Alsace, etc. élus ou habitants testent ou s’intéressent à un système de cotisations ouvrant droit à des produits sains, espérant à terme généraliser l’expérience et transformer le système alimentaire
Madeleine achète une baguette de pain dans le 12e arrondissement à Paris, dans le cadre de l'opération « Les Baguettes magiques ». Une centaine de personnes ont cotisé entre 2 et 20 euros pour dix baguettes, un façon d'aider les plus démunis mais aussi de reprendre la main sur le système alimentaire, en fléchant les produits.
Madeleine achète une baguette de pain dans le 12e arrondissement à Paris, dans le cadre de l'opération « Les Baguettes magiques ». Une centaine de personnes ont cotisé entre 2 et 20 euros pour dix baguettes, un façon d'aider les plus démunis mais aussi de reprendre la main sur le système alimentaire, en fléchant les produits.  - A.L. / 20 Minutes
A.L. avec J.D. et E.P.

A.L. avec J.D. et E.P.

L'essentiel

  • La Mairie de Paris s’est engagée le 5 juin dernier à lancer en 2024 « l’expérimentation d’une politique de Sécurité sociale de l’alimentation ».
  • Déjà bien avancée à Montpellier ou dans d’autres territoires comme la Gironde, l’expérience intéresse de plus en plus de territoires, comme récemment le département de Seine-Saint-Denis.
  • A côté de ces collectivités, des citoyens et citoyennes ont monté leurs propres caisses alimentaires autofinancées, comme l’initiative des Baguettes magiques à Paris, portée par l’association La Marmite rouge.

Faisant la queue devant les pains au chocolat, quiches et autres sandwichs, Madeleine, 26 ans, attend patiemment sa baguette. En face, Chaima, 18 ans, qui donne de temps en temps un coup de main à son père dans cette boulangerie du 12e arrondissement à Paris, tend le symbole de la nation, et récupère un moyen de paiement fort inhabituel : un ticket. Car Les Délices de Christian participent à une expérience d’un nouveau genre. Une centaine de personnes cotisent selon leurs moyens pour acheter dix baguettes, qu’elles paieront un prix différent pour assurer à chacun le pouvoir de se nourrir correctement (0,20, 0,80, 1,20, 1,70 ou 2 euros, alors qu’ici la baguette est à 1,10 euro). Un embryon de « Sécurité sociale de l’alimentation », une utopie en passe de devenir réalité dans de nombreux territoires de France.

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L’idée de la Sécurité sociale de l’alimentation s’inspire de cette idée folle que fut celle de la « Sécu ». Soit assurer pour tous et toutes des soins de qualité, abordables, en demandant à chacune et chacun de cotiser. C’était l’esprit des « jours heureux », le programme ambitieux du Conseil National de la Résistance au sortir de la Seconde Guerre mondiale, alors que l’économie était pourtant à terre.

« Démocratie alimentaire »

« Et si aujourd’hui nous faisions la même chose pour l’alimentation, pour sauver la planète et permettre à tout un chacun de se nourrir correctement ? » se sont dits en substance quelques optimistes, réunis dans un collectif, qui peut-être un jour seront vus comme des pionniers. L’idée serait d’ouvrir une nouvelle branche de la Sécurité sociale pour couvrir les frais d’alimentation de toutes les personnes qui résident en France, en fournissant à chacun des bons d’alimentation à hauteur de 150 euros par mois, soit le panier de dépenses moyen d’une personne en France pour se nourrir.

Ces bons pourraient être dépensés dans des magasins ou sur des produits agréés, de façon à encourager prioritairement les produits sains et qui ne détruisent pas l’environnement. « On crée des mécanismes de solidarité par le fait que tout le monde cotise et reçoit et ça permet de transformer le système alimentaire », explique Marion, de La Marmite Rouge, l’association membre du collectif qui a lancé le 1er juin dernier dans une dizaine de boulangeries l’initiative des « baguettes magiques » , dont elle estime qu’il est « une porte d’entrée vers la démocratie alimentaire ».

La Mairie de Paris va financer une expérimentation

« C’est une super bonne idée pour les personnes qui n’ont pas les moyens », s’enthousiasme Chaima. « C’est une expérience géniale mais 100 personnes ce n’est pas suffisant, il faudrait le faire à l’échelle du pays », complète Madeleine, qui accepte de payer sa baguette 10 centimes de plus. Justement, un projet de Sécurité sociale alimentaire de plus grande ampleur est dans les cartons de la Mairie de Paris, qui a voté un vœu en ce sens le 5 juin dernier au Conseil de Paris, sur proposition du groupe Les Ecologistes. Il stipule que la mairie planifie pour 2024 l’expérimentation d’une politique de Sécurité sociale de l’alimentation, « en priorité dans les quartiers prioritaires de la ville ».

« Nous ne partons pas de nulle part », précise de son côté Audrey Pulvar, l’adjointe en charge de l’alimentation durable, en rappelant les dispositifs avec la Fondation Armée du Salut, Vif Circuits courts et les agriculteurs biologiques du bassin parisien, « pour un approvisionnement des Parisiennes et Parisiens les plus précaires en denrées alimentaires bio, durables et locales ». « On souhaite poser notre vision d’un nouveau droit qui est le droit à l’alimentation saine », ajoute l’élue écologiste Antoinette Guhl, à l’initiative du vœu.

Montpellier, la plus avancée

Et cette demande pour un nouveau droit ne cesse de s’étendre. A Toulouse, Lyon, Bordeaux, en Gironde, en Alsace, à Grenoble et Saint-Etienne des initiatives fleurissent. Régulièrement, de nouveaux élus montrent leur intérêt, comme le président du département de la Seine-Saint-Denis récemment. Les pionniers vivent dans le village de Cadenet, 4.000 habitants (Vaucluse), mais l’expérimentation la plus aboutie est à Montpellier, où 400 personnes ont été embarquées en février à participer à une caisse alimentaire, portée par vingt-cinq structures au sein du collectif Territoires à Vivres. Chacun cotise entre 1,5 et 150 euros par mois et perçoit en retour une allocation mensuelle de 100 euros, sous la forme d’une monnaie locale et dédiée, la MonA, à dépenser dans les structures participantes.

Dans la métropole de la septième ville de France, 90.000 personnes vivent sous le seuil de pauvreté. « Une innovation sociale incroyable est en train de se dessiner, résume le maire (PS) Michaël Delafosse. Elle préfigure un nouveau modèle sur l’aide alimentaire qui doit garantir à chacun un repas de qualité. » A l’issue de cette expérimentation, en janvier 2024, le retour sur expérience sera effectué par les chercheurs partenaires. Si elle s’avère positive, cette caisse alimentaire commune pourrait être généralisée à l’ensemble des Montpelliérains.

Des produits conventionnés

Toujours au Sud mais cette fois-ci plus à l’Ouest, une « carte Vitale de l’alimentation » doit être mise en place dès mars 2024 dans quatre territoires de la Gironde, à Bordeaux, Bègles, le Sud Gironde et le pays Foyen, pour une durée d’un an. Le département de la Gironde et la ville de Bordeaux travaillent depuis début 2023 sur ce projet avec l’aide du collectif Acclimat’action qui gère un panel de 40 habitants citoyens associés à la réflexion préalable au lancement.

« On a aussi élargi à tous les acteurs de la solidarité et aux agriculteurs locaux, explique Corinne Martinez, conseillère départementale, chargée du dossier de la Sécurité sociale de l’alimentation en Gironde. Cette carte Vitale permettra d’accéder à des produits locaux identifiés, comme la carte Vitale ouvre droit à des médicaments conventionnés. L’idée ce n’est pas d’inciter à aller acheter des pizzas surgelées chez Aldi. »

A ce stade, on ne sait pas encore quel sera le montant alloué, mais le collectif national estime qu’il pourrait avoisiner les 150 euros. 400 foyers répartis sur les quatre territoires girondins sont visés, essentiellement un public vulnérable bénéficiaire des minima sociaux. En Alsace, l’association « Pour une Sécurité sociale de l’alimentation - Alsace » espère réunir 3.000 assurés pour sa mutuelle.

Encourager le bio et le durable

Pour tous les citoyens et citoyennes engagées dans cette démarche, l’enjeu est double, à la fois sociale et écologique. Selon une enquête du Crédoc publiée en mai, un Français sur six ne mange pas à sa faim. Les prix de l’alimentation ont par ailleurs enflé de 15,9 % en mars 2023 par rapport à l’an dernier, selon l’Insee. Or selon Anne-Claire Boux, « ce sont les marques distributeurs qui augmentent le plus, l’inflation est inégalement répartie et touche en premier les personnes des quartiers populaires. Il y a des tas de gens qui n’arrivent plus à faire les courses et se privent de repas ». « On est dans une période de crise où on a besoin de solidarité globale » abonde Corinne Martinez.

De l’autre côté, la planète souffre. Les pesticides ont un impact majeur sur les populations d’oiseaux et d’insectes, mais les ventes de bio - qui représente une alternative moins polluante - sont en baisse, et restent de toute façon très minoritaires en France (6 %) compte tenu du coût des produits biologiques. La Sécurité sociale de l’alimentation, en fléchant les produits conventionnés, permettrait d’encourager la filière bio et les enseignes qui promeuvent une agriculture durable. « Tout le monde doit pouvoir manger sain », estime Antoinette Guhl.

Citoyens tirés au sort

En somme, il s’agirait ni plus ni moins de transformer complètement le système alimentaire, en permettant aux citoyens et citoyennes de reprendre la main, alors qu’aujourd’hui, il y a une illusion de choix. « De nombreux ménages font des choix qui ne sont pas dictés d’abord par leurs besoins ou envie de ce qu'ils voient en rayon, mais par leurs moyens. C’est une fausse démocratie par le portefeuille », estime Benjamin Seze, auteur de Quand bien manger devient un luxe. La Sécurité sociale alimentaire permettrait selon lui « d’inverser la tendance » et d’influer sur l’offre, grâce à un système de citoyens tirés au sort, qui pourraient décider des produits conventionnés.

Tout l’enjeu est désormais de savoir si ces différentes expérimentations parviendront à réunir suffisamment largement, pour que le système soit porté au niveau national. Bien qu’enthousiaste sur le principe, Madeleine convient qu’en habitant à Paris, elle ne pourrait pas mettre demain 200 € pour 150 € de tickets. Faut-il faire cotiser tout le monde ? Ou cibler les aides sur les plus défavorisés, via l’impôt ? « C’est la grande question », reconnaît Antoinette Guhl. Malgré ces obstacles Madeleine veut « croire » à une Sécurité sociale de l’alimentation. Elle voudrait au moins « essayer », dit-elle, « d’avoir un monde un peu meilleur que celui qu’on a trouvé en arrivant ».

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