égalité femmes-hommesEn Belgique, la colocation de « La Libellune » accueille des mamans solos

En Belgique, la colocation de « La Libellune » accueille des mamans solos

égalité femmes-hommesParticulièrement touchées par la précarité, les familles monoparentales peinent souvent à trouver un logement
Nina, Maëlle et Géraldine devant la maison qu'elles partagent, la « Libellune ».
Nina, Maëlle et Géraldine devant la maison qu'elles partagent, la « Libellune ».  - © Mathilde Desgranges / 20 Minutes / 20 Minutes
Mathilde Desgranges

Mathilde Desgranges

L'essentiel

  • Premières victimes de la précarité, les familles monoparentales peinent à accéder au logement.
  • Pour alléger la charge mentale et réduire le coût des factures, Nina, Maëlle, Katrin et Géraldine ont décidé de monter une colocation. Ces quadragénaires partagent désormais une grande maison dans la banlieue bruxelloise où l’entraide et les préoccupations écologiques règnent.
  • Un mode de vie hors-norme, encore plus rare en France qu’en Belgique. De notre côté de la frontière, « la colocation monoparentale demeure un épiphénomène », insiste Nathalie Guellier, fondatrice du site Parent-solo.fr.

Tu seras un homme -féministe- mon fils ! Le titre du livre de l’autrice Aurélia Blanc pourrait bien être la devise de Nina. Cette mère célibataire élève son fils dans une maison exclusivement féminine, à l’exception du jeune garçon de 10 ans. Elle partage une grande maison à briques rouges avec une autre mère célibataire, Maëlle, accompagnée de sa fille Anoucha, et deux femmes solos, Katrin et Géraldine, victimes de burn-out. Toutes ont rejoint la maison avec le besoin de se reconstruire et de rompre la solitude.

« J’ai quitté le père de mon enfant, avec lequel j’étais très soumise, le jour où j’ai réalisé que mon fils commençait à se comporter avec moi de la même manière », confie Nina, qui souligne une domination mutuelle. Depuis près de trois ans, inquiète de voir son fils Léon s’emplir « d’égoïsme », elle a donc rejoint cette colocation monoparentale en banlieue de Bruxelles… même si ce dernier ne vit pas toujours bien le fait de n’être entouré que de quatre femmes et d’une fillette.

Surnommé « La Libellune », le projet de cohabitation naît en 2018 au détour d’une conversation entre deux femmes, dont aucune n’habite la maison aujourd’hui. « Une amie m’a fait part de son intention de se séparer du père de ses enfants, et de son inquiétude de ne pas trouver de logement abordable dans le quartier », raconte Muriel, qui venait d’acquérir cette propriété située à l’extrémité du jardin de sa propre maison. Comme un signe du destin. En plein burn-out, son amie n’avait pas le cœur à élever ses enfants sans aide, ni à se retrouver seule pendant la semaine de garde de leur père. « Son histoire a beaucoup résonné en moi », confie Muriel, qui a rapidement proposé de faire de son nouveau bien un habitat pour femmes en difficulté.

Un cocon propice à l’épanouissement

Au fil des départs des premières habitantes, quatre nouvelles « Libs » ont investi les lieux. Malgré leurs faibles revenus, elles vivent dans une grande maison de 270 mètres carrés avec six chambres, jardin, serre et potager. Loyer estimé : 2.500 euros. « La propriétaire fait un geste, précise Nina. On ne paie que 1.700 euros par mois. » Consciente de la précarité des mères célibataires et de leurs difficultés pour accéder au logement, face à la crainte de leur insolvabilité, Muriel n’a pas imposé de loyer. « Je leur ai dit de mettre ce qu’elles peuvent, tout en tenant compte de l’habitat dont elles disposent, précise-t-elle. Je reçois bien plus avec un excellent voisinage qu’avec de grosses rentrées d’argent. »


Nina, Maëlle et Géraldine partagent un moment de complicité dans leur cuisine.
Nina, Maëlle et Géraldine partagent un moment de complicité dans leur cuisine.  - ©Mathilde Desgranges / 20 Minutes

Très investie, cette dernière a réalisé des travaux pour rendre la maison propice à la colocation, en ajoutant des chambres et des salles de bains. Elle cherche aussi à créer du lien avec ses locataires, en leur proposant régulièrement des sessions jardinage.

Au cœur de son grand jardin, se trouve une mare pleine de larves qui se transforment en un nuage de libellules bleutées, à l’arrivée des beaux jours. « Leur métamorphose de petites larves à de beaux insectes traduit plutôt bien l’état d’esprit de la colocation », résume Géraldine. La propriétaire tient à ce que la maison reste un cocon propice à l’épanouissement pour « qu’on s’envole de nos propres ailes », au maximum au bout de trois ans en théorie.

« Devenir plus qu’une mère »

Lorsqu’elles sont arrivées, « Maëlle et sa fille Anoucha ne faisaient qu’un », décrivent ses colocataires. Mère célibataire épuisée, Maëlle avait tendance à céder à tous les caprices de sa fille. Lui transmettre les règles de vie en société, telles que le partage, la patience ou le respect de la vie privée, n’était plus une priorité. Habiter en communauté lui a permis de rétablir une autorité et de prendre du temps pour elle. En quelques mots, de « devenir plus qu’une mère ».

Sa fille et Léon, tous deux enfants uniques en garde alternée, se retrouvent à partager des journées en famille. « Ils sont devenus une fratrie, un peu comme dans une famille recomposée », décrit Maëlle. Entre les deux mères de la colocation s’est aussi développée « une forme de coparentalité, comme dans un couple ». Chacune s’occupe des enfants, quand l’autre mère est occupée. Une « véritable charge mentale en moins », estime cette dernière.

Dans les colocations monoparentales, le foyer « s’est ouvert et redéfini à travers de nouvelles manières de vivre en commun, où la famille se décompose et se recompose en de multiples modèles […] jusqu’à la définition même de “ménages non familiaux”, analyse la sociologue de l’Institut Paris Région Isabelle Barazza, à l’origine d’un dossier d’études sur la colocation. La Belgique fait partie de ces pays qui ont une culture de la colocation bien plus ancrée que la nôtre. »

« La colocation monoparentale demeure un épiphénomène en France »

Un mode de vie hors-norme, encore plus rare en France qu’en Belgique. De notre côté de la frontière, « la colocation monoparentale demeure un épiphénomène, insiste la fondatrice du site Parent-solo.fr, Nathalie Guellier. […] Les choses ont peut-être évolué ces dernières années où la précarisation s’aggrave mais il reste tout de même un effet mirage dans les médias, qui parlent beaucoup d’un phénomène qui existe peu. » Pourtant la demande existe. Sur le seul site Parent-solo.fr, trois à quatre personnes en recherche d’une colocation monoparentale postent une annonce chaque semaine. Peu d’entre elles verront leur désir se concrétiser.

D’ailleurs, beaucoup de projets de mise en place de colocations pour familles monoparentales tels que le projet « Fami Solo » de l’entreprise Fra Veillance, celui de l’association Le cocon solidaire » ou encore celui de l’association Parent’aise, sont tombés à l’eau ces dernières années. Chaque fois, faute de moyens financiers.

En retard sur la législation en faveur de l’égalité femmes-hommes

La différence entre les deux pays voisins s’explique notamment par le retard de la France en matière d’égalité femmes-hommes. Dès 2016, la Fédération Wallonie-Bruxelles applique par exemple une législation sur le gendermainstreaming, l’intégration de la dimension de genre dans les politiques publiques, pour l’ensemble de sa région.

La Cellule égalité des chances de la Commission communautaire française (Cocof), dépendante de son service public, s’attache depuis à la conception et la création d’habitations genrées ainsi qu’à une budgétisation sensible au genre pour limiter les inégalités. « Des mesures qui ont permis de faire avancer les choses », confirme Apolline Vranken, fondatrice de la plateforme L’architecture qui dégenre.

D’autant qu’à la Région de Bruxelles, « on a la chance que le secrétariat à l’égalité des chances et le secrétariat au logement soient gérés par la même personne, ce qui facilite la discrimination positive envers les femmes pour le logement », précise la présidente de l’association féministe Angela D., qui propose des solutions de logement sensibles aux genres. Début 2022, son association a pu aider une mère célibataire à voir « son rêve de construire un habitat réservé aux femmes dans sa situation » se concrétiser, avec la naissance du projet FEM’s, grâce aux subventions publiques.

De premières pistes de réflexion

À l’instar de leurs homologues belges, certains élus français commencent à envisager la budgétisation sensible au genre (BSG), « mais on ne peut pas dire que ce soit appliqué en France, précise Isabelle Gueguen, experte spécialiste de la BSG. On n’en est qu’à quelques expérimentations, et la Commission égalité du Parlement commence à se pencher sur la question. » En Île-de-France, la révision du schéma régional de l’habitat et de l’hébergement (SRHH), « comporte de nombreux points sur le logement adapté, mais rien n’est envisagé concernant le genre », complète la sociologue Isabelle Bazzara. Ce document encadre les politiques publiques de la région en la matière pour l’année 2023 et les cinq années à venir.


Quelques initiatives commencent timidement à émerger, insufflées par l’associatif ou des start-up. Basée à Montreuil, dans le département de Seine-Saint-Denis, l’association Collective des mères isolées a entamé des discussions avec la mairie pour créer des logements partagés, destinés aux familles monoparentales. « Mais tout cela reste encore à l’état de projet, précise la cheffe de projet du service étude et développement urbain de la ville, Margaux Ducas-Binda. On n’est même pas sûrs que cela se fera. »