Privés de DésertEn Moselle, des médecins retraités ont relancé un hôpital

« On prend tout le monde »... En Moselle, des médecins retraités ont relancé un hôpital

Privés de DésertQuatre médecins ont lancé en 2019 un service de consultations externes au sein de l’hôpital de Hayange (Moselle). Ils sont neuf aujourd’hui, et les malades affluent
Gilles Arous, Bernard Renauld et Serge Scarpa (de gauche à droite), trois des neuf médecins qui composent ce service pas comme les autres.
Gilles Arous, Bernard Renauld et Serge Scarpa (de gauche à droite), trois des neuf médecins qui composent ce service pas comme les autres. - T. Gagnepain / 20 Minutes
Thibaut Gagnepain

Thibaut Gagnepain

L'essentiel

  • A Hayange, en Moselle, des médecins retraités ont lancé en 2019 un service de consultations où ils se relaient.
  • Ils étaient quatre au début et sont désormais neuf. Résultat, il est très facile d’obtenir un rendez-vous.
  • La population apprécie, dans un secteur qui vire doucement au désert médical.

A Hayange (Moselle),

C’est un service pas comme les autres. Déjà, il faut le trouver au sein du petit hôpital d’Hayange, en Moselle. Après l’accueil, prière de monter l’escalier (glissant), de prendre tout de suite à gauche puis de traverser la cour. L’arrivée est proche. Voilà la porte 3, celle des « consultations externes ».

Bienvenue « chez les médecins retraités », comme qualifie affectueusement l’endroit le docteur Gilles Arous. Il peut se le permettre en tant que membre fondateur de ce service « unique en France ». « On a démarré en juillet 2019, on va bientôt fêter les quatre ans », sourit l’ancien généraliste installé dans la commune voisine de Knutange « pendant trente-neuf ans et demi ».



« On avait eu quelque temps avant une réunion avec l’Agence régionale de santé (ARS) où on nous avait prévenus de la catastrophe à venir. Il allait manquer plein de médecins dans le coin », poursuit le presque septuagénaire (69 ans). « Alors on a eu cette idée avec mon confrère Bernard Renauld et le docteur Khalifé a proposé cet hôpital. » Soit un lieu alors en pleine perte de vitesse, « qui devait devenir un Ehpad ».

L’idée en question ? Dans des locaux existants, monter un service où des médecins à la retraite peuvent continuer à exercer, selon leur bon vouloir en termes d’horaires. « A l’origine, on était quatre et il a été convenu qu’on travaille une semaine chacun. C’est-à-dire cinq jours d’affilée de 8h30 à 12 heures puis de 13h15 à 17 heures, même si on dépasse souvent le soir », détaille Gilles Arous. « Aujourd’hui, notre système fonctionne toujours et nous sommes maintenant neuf à consulter, certains ayant choisi de travailler le matin ou l’après-midi. Il y a toujours deux médecins du lundi au vendredi »,

« Ils ont un sacré mérite »

Résultat, il n’est jamais difficile d’obtenir un rendez-vous. Les patients croisés en salle d’attente le confirment. Pourquoi être venu ici aujourd’hui ? « Mon médecin traitant était en vacances. Je suis allé sur Doctolib et on m’a proposé ici », répond Joey, satisfait de son passage auprès du Dr Serge Scarpa. Comme la plupart des malades, il ne savait pas que son interlocuteur était retraité ni que le service était particulier. « Mais je trouve ça positif, de voir que certains ont encore envie de soigner des gens alors qu’ils pourraient arrêter. »

« Ils ont un sacré mérite de venir. Ce sont de bonnes personnes », complète Salma, venue pour la première fois avec sa fille de 6 ans, fiévreuse. « Personne ne pouvait la prendre avant ce soir mais elle n’est pas bien… » Aux consultations externes de l’hôpital d’Hayange, il y a presque toujours un créneau disponible. « Ça fait deux à trois que c’est impossible d’avoir rendez-vous chez mon médecin traitant. Là, dès que j’ai appelé, c’était bon », confirme Marianne. « C’est appréciable, d’autant plus que tout est très bien ici. En plus, les secrétaires sont très sympas. »

Et visiblement motivées car elles doivent aussi jongler entre les langues tant la patientèle est diverse. « On prend tout le monde », résume Gilles Arous. « Ce n’est pas toujours le cas ailleurs car beaucoup de médecins dans la vallée ne prennent pas le temps d’appeler un traducteur. Mais nous si et franchement, qui aurait cru il y a quelques années que je soignerais des Afghans pachtounes ? C’est formidable ! »


L'entrée du service de consultations externes de l'hôpital d'Hayange. Neuf médecins retraités y officient actuellement.
L'entrée du service de consultations externes de l'hôpital d'Hayange. Neuf médecins retraités y officient actuellement. - T. Gagnepain

« Nous avons deux types de patients, beaucoup d’étrangers donc, mais aussi ceux avec de grosses pathologies car ils prennent du temps à être reçus. Nous sommes une solution de secours », synthétise Bernard Renauld, sans cacher sa fierté. « On a recréé un système qui devient pérenne en rendant service à la population et en redynamisant un hôpital. En plus, on est maintenant bien vu par nos confrères, ce qui n’était pas le cas au début quand ils nous accusaient de les concurrencer. »

Le tout en, Gilles Arous l’avoue, continuant à exercer un métier qui les passionne. « Bien sûr qu’on a aussi fait pour nous et flatter notre ego ! Moi je ne me voyais pas arrêter brutalement après tant d’années. C’est jouissif d’avoir créé quelque chose et d’avoir, en quelque sorte, redonné espoir aux gens. Le challenge était passionnant et le reste, car on a encore de nombreux projets. »

Comme celui, outre la téléconsultation, d’attirer des… médecins actifs. Un doux rêve pour le moment. « Chaque année j’envoie une lettre à l’ordre de Moselle pour dire qu’on recrute. On est même prêt à proposer n’importe quel planning, même un quart-temps ! Mais je n’ai eu qu’un appel pour le moment et le salaire ne lui suffisait pas… C’est sûr que pour ceux qui veulent faire du pognon, ce n’est pas le bon endroit. Mais il y a tout pour bien travailler et c’est passionnant car ça change tout le temps. »

Retraite « complètement épanouie »

Lui ne se voit pas arrêter de sitôt dans une retraite qu’il juge « complètement épanouie ». Bernard Renauld est moins catégorique. Dans quelques semaines, à ses 69 ans, il a prévu de raccrocher doucement. « Il est temps que je me repose… mais si on me propose une petite mission de temps en temps, pourquoi pas ! », s’amuse-t-il en se disant néanmoins inquiet pour son territoire et ceux où les médecins manquent déjà ou manqueront bientôt.

Et si la lutte contre les déserts médicaux se réglait justement grâce à ce type de structure comme à Hayange ? « Des retraités ne peuvent pas être l’avenir », coupe Gilles Arous avant de regagner sa voiture. Imparable.