Fake et causesLa désinformation ciblant les LGBTQ+, «une des plus présentes en Europe »

La désinformation ciblant les LGBTQ+ est « une des plus présentes et constantes dans l’Union européenne »

Fake et causesL’Observatoire européen des médias numériques a publié sa première enquête sur les fausses informations qui visent les personnes LGBTQ+
Le 17 juin 2023, des gens manifestent pour les droits des personnes trans, lors de la 17e marche pour l'égalité à Varsovie, en Pologne.
Le 17 juin 2023, des gens manifestent pour les droits des personnes trans, lors de la 17e marche pour l'égalité à Varsovie, en Pologne. - SOPA Images/SIPA / Volha Shukaila/SOPA Images/SIPA
Emilie Jehanno

Propos recueillis par Emilie Jehanno

L'essentiel

  • Dans « Fake et causes », 20 Minutes vient éclairer les thématiques autour du complotisme, du fact-checking et des enjeux pour la démocratie.
  • Quatorze médias de fact-checking européens ont contribué à une enquête inédite s’intéressant aux fausses informations ciblant la communauté LGBTQ+.
  • Tommaso Canetta, directeur adjoint de Pagella Politica/Facta News et coordinateur fact-checking de l’Observatoire européen des médias numériques, nous détaille les résultats de cette enquête à l’occasion du mois des fiertés.

C’est une première. L’Observatoire européen des médias numériques (Edmo), une plateforme européenne réunissant universitaires et médias de fact-checking, s’est intéressé dans une enquête, publiée fin mai, à la désinformation ciblant spécifiquement les personnes LGBTQ+. Quatorze médias de fact-checking européens ont contribué à ce travail, comme l’AFP en France, Lakmusz en Hongrie, Correctiv en Allemagne, Maldita en Espagne, etc.

Premier constat : la désinformation ciblant la communauté LGBTQ+ est « une des plus présentes et constantes dans l’Union européenne », écrivent Enzo Panizio et Tommaso Canetta, les auteurs de l’enquête, chapeautée par Pagella Politica/Facta news, un média italien de fact-checking. « Il semble que les fausses informations sur ce sujet deviennent de plus en plus insidieuses, soulignent-ils, avec des allégations infondées qui incitent souvent à la haine contre les minorités, les lois et les institutions. » À l’occasion du mois des fiertés, et alors que la marche des fiertés parisienne a lieu ce samedi 24 juin, 20 Minutes a interrogé un des auteurs de l’enquête, le directeur adjoint de Pagella Politica/Facta News, Tommaso Canetta, aussi coordinateur fact-checking au sein du réseau Edmo.

Qu’est-ce qui vous a motivé à lancer cette enquête ?

En avril, nous avons observé un pic dans la désinformation contre les personnes LGBTQ+. Ce pic a été influencé par de fausses informations en provenance des États-Unis, liées à la fusillade dans une école primaire de Nashville. Ce n’est pas le premier pic que nous observons. Chaque mois [depuis juillet 2021], nous publions une note des sujets fact-checking qui ont été les plus viraux au niveau européen. Depuis un certain temps, nous avons remarqué que la désinformation contre les personnes LGBTQ+ est un des sujets les plus importants dans l’Union européenne. C’est pourquoi nous avons décidé de nous y intéresser, en repartant du début de l’année 2023, avec quelques exemples tirés aussi des mois précédents, comme de fausses informations diffusées au sujet de la variole du singe, et qui ont été utilisées pour attaquer les communautés LGBTQ+.

Quels sont les principaux récits de désinformation ?

Nous en avons relevé cinq, qui sont très fréquents. Le premier concerne les homosexuels et transgenres qui seraient “malades”. Ce n’est pas nouveau, bien sûr, puisque même avant les réseaux sociaux, l’homosexualité a été considérée comme une pathologie par l’OMS jusqu’en 1992 [et le trouble de l’identité de genre a été supprimé du manuel officiel de diagnostics seulement en 2019]. Cette désinformation prend une tournure légèrement différente au sujet des transidentités, puisque ce serait la transition qui mènerait aux maladies mentales.



Le second narratif, c’est que les personnes LGBTQ+ seraient pédophiles. Nous avons détecté beaucoup de fausses informations, de thèses infondées, qui, en résumé, affirment que les personnes LGBTQ+ feraient pression sur les institutions politiques pour légaliser les relations sexuelles avec des enfants, ce genre de messages odieux. Puis un troisième récit, qui soutient que les personnes LGBTQ+ sont violentes et dangereuses et commettraient des fusillades. Même avant la tuerie de Nashville en mars 2023 [où un homme transgenre a tué 6 personnes], des affirmations infondées circulaient déjà selon lesquelles l’auteur de la fusillade d’Uvalde au Texas, par exemple, était une personne trans. Ce n’était pas vrai et cela s’est aggravé au point que d’autres personnes ont été accusées du crime juste parce qu’elles étaient trans [alors que les hommes cis sont auteurs de 97 % des tueries de masse aux Etats-Unis selon les chiffres de The Violence Project, souligne Le Guardian dans une enquête].

Un autre récit concerne les personnes trans qui recevraient un traitement préférentiel dans le sport [avec de fausses histoires, des vidéos manipulées, de fausses affirmations, etc.]. Enfin, le dernier récit concerne les théories du complot autour de la soi-disant dictature des LGBTQ+ et de l’endoctrinement LBGTQ+. Le narratif, c’est que les élites européennes et les gouvernements nationaux tenteraient de subvertir les identités nationales et la culture des pays en injectant cette propagande LGBTQ+.

Ces récits sont diffusés au niveau européen, pas seulement national. Ils sont donc très similaires. Je pense qu’il existe une communauté transnationale de personnes, avec une sensibilité proche, qui est gênée par des informations vérifiées ou inexistantes dans le cas de la de désinformation, d’événements, de lois, liées aux communautés LGBTQ+. Et donc, bien sûr, l’information, puis la désinformation qui en découle, circulent dans ces communautés de manière similaire.

Dans votre enquête, vous écrivez que la désinformation est de plus en plus insidieuse. Qu’entendez-vous par là ?

Nous assistons, d’après moi, à une polarisation croissante autour de cette question. On le voit aux États-Unis. On le voit en Espagne par exemple, où une loi sur les personnes trans a été votée. On le voit en Hongrie ou en Pologne où les communautés LGBTQ+ sont attaquées par le gouvernement.

La désinformation devient de plus en plus insidieuse dans le sens où nous la voyons d’abord dans les bulles sociales, c’est dangereux, mais pas aussi dangereux que lorsque les médias traditionnels et les politiciens commencent à propager ce même genre de désinformation. En ce moment, je pense que c’est dangereux parce qu’on voit la polarisation de la société autour du sujet. C’est une question très pertinente qui concerne une minorité et qui est maintenant utilisée par les politiciens et les médias comme un sujet de polarisation. Je pense donc que la situation actuelle est sur une pente glissante.

Vous évoquez le cas de la loi adoptée en février 2023 qui a facilité le changement de genre en Espagne, et qui a donné lieu à une vague de désinformation en Europe et, en particulier, en Hongrie…

Oui. Nos collègues espagnols sont probablement ceux qui nous ont envoyé le plus de matériel. Cette législation a créé beaucoup de débats et, par la suite, beaucoup de désinformation en Espagne. Nous avons également reçu des informations intéressantes de Hongrie, où nos confrères nous ont indiqué que des bribes d’informations étaient exploitées pour désinformer. Un article de Lakmusz raconte qu’un institut proche de Fidesz, le parti au gouvernement, affirmait faussement que la nouvelle loi ouvrait l’accès aux chirurgies de changement de sexe pour les adolescents, alors que cela n’avait rien à voir [la loi d’égalité des personnes trans autorise, à partir de 16 ans, le changement de genre sur les papiers d’identité sur déclaration du demandeur]. Donc, fondamentalement, cette loi espagnole a été exploitée pour envoyer un message trompeur, un message de désinformation en Hongrie.

Comment ces narratifs ciblant les LGBTQ + sont-ils liés à la désinformation russe ?

Nous avons vu, par exemple, des images fabriquées de Zelensky allant à une marche des fiertés. Et c’est absolument cohérent avec les récits venant de Russie, de Poutine lui-même et de l’Église orthodoxe, ces récits où il affirme combattre l’Occident moralement corrompu, la fin des traditions, l’impiété et le satanisme. Tous ces types de récits de désinformation se chevauchent d’une manière ou d’une autre. Et même avant la guerre en Ukraine, pendant des années, Poutine est présenté comme le champion des valeurs traditionnelles chrétiennes contre la culture progressiste. La guerre n’a rien changé à cela.

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