JOURS DE FERMETURECes restaurants obligés d’adapter leur planning faute de recrutement

« Ils ne veulent plus travailler… » Ces restaurants obligés d’adapter leur planning faute de recrutement

JOURS DE FERMETUREA Nice, le Babel Babel ferme le mardi et le mercredi, les patrons estimant qu’il est devenu « trop compliqué » d’embaucher. De nombreux établissements sont obligés de revoir leurs créneaux d’ouverture face aux difficultés de recrutement
Sur le quai des Etats-Unis, dans le prolongement de la promenade des Anglais, le restaurant Babel Babel (à droite), reste fermé tous les mardis et mercredis, y compris l'été
Sur le quai des Etats-Unis, dans le prolongement de la promenade des Anglais, le restaurant Babel Babel (à droite), reste fermé tous les mardis et mercredis, y compris l'été - Fabien Binacchi / ANP / 20 Minutes
Fabien Binacchi

Fabien Binacchi

L'essentiel

  • Le planning d’ouverture s’est adapté dans certains restaurants à cause du manque de personnel et notamment de saisonniers.
  • A Nice, les patrons du Babel Babel, fermé le mardi et le mercredi, estiment que « les gens ne sont plus du tout motivés, qu’ils ne veulent plus travailler », mais « juste débloquer des droits ».
  • Dans le département des Alpes-Maritimes, il y aurait encore près de 4.900 postes de saisonniers à combler, alors que la saison, justement, est déjà bien lancée.

La foule des juillettistes se presse dans le Vieux Nice et sur la Prom. Sur le quai des Etats-Unis, coincé entre ses deux hotspots du tourisme, dans la cinquième ville de France, le restaurant Babel Babel ne profitera pas de l’affluence ce mardi. Les volets bleus sont clos. Aucune table n’est dressée. Il restera fermé. Et mercredi aussi. Ce n’est pas temporaire. Ce sera comme ça tout l’été. Et même au-delà.

La mesure date de l’hiver dernier, Kevin Lalanne et son cogérant avaient alors fait le choix de baisser le rideau deux jours par semaine « plutôt pour une question d’organisation ». « Nous ouvrions parallèlement un second établissement qui a demandé pas mal de travaux, explique-t-il. Ça ne devait pas durer. » Mais face aux difficultés de recrutement, la mesure temporaire est devenue pérenne. Le planning d’ouverture s’est adapté, comme dans beaucoup d’autres restaurants de la Côte d’Azur, et partout en France.

« Ils veulent juste débloquer des droits »

Tenter d’embaucher, de surcroît des saisonniers, pour revenir à six ou sept jours de service ? Les patrons du Babel Babel ont carrément abandonné. Beaucoup « trop compliqué ». « Le monde de la restauration a beaucoup changé. Pour le mieux pour les salariés qui sont beaucoup mieux protégés. Avant, il y a de grosses amplitudes horaires. Du black. Tout ça a changé », rappelle Kevin Lalanne. Et son constat est sans détour. « Aujourd’hui, les gens ne sont plus du tout motivés. Ils ne veulent plus travailler, juste débloquer des droits, tranche l’entrepreneur. Quand on les reçoit en entretien, ils vérifient d’abord les conditions de travail avant qu’on puisse les interroger sur leur parcours. Ils ne veulent plus faire les ouvertures, ni les fermetures. Et encore moins avoir des coupures. Ils ne veulent pas servir trop de tables. Ni nettoyer. Ça les fait chier. »

Très cash, le restaurateur de 38 ans, dans le métier depuis l’âge de 14 ans, s’est d’une certaine façon résigné : « De toute façon, ouvrir davantage de jours, ça voudrait dire avoir plus d’employés et donc plus de problèmes ». « Et notamment d’agenda à gérer. Un exemple. On a pris à l’essai une sommelière super qualifiée, ça lui plaisait. Sauf qu’elle a fini par nous annoncer qu’elle n’avait que neuf disponibilités d’extras jusqu’à la fin août. Ce n’est pas possible. Sans compter que certains nous laissent tomber du jour au lendemain. A la moindre contrariété, se désole-t-il. Et, à chaque fois, on se retrouve le bec dans l’eau. A avoir à faire en plus des soldes de tout compte qui font des frais chez nos comptables. » Pour l’instant, le Babel Babel « tourne même mieux » 5 jours sur 7.

« Il nous manque deux personnes en salle et trois ou quatre en cuisine »

Juste à côté, le Sixty-three (63), lui, est ouvert toute la semaine, sans interruption. Ce restaurant, inauguré le 10 juin, serait-il épargné ? En fait… pas du tout. « Il nous manque deux personnes en salle et trois ou quatre en cuisine. Mais je comble les manques. Je suis là du matin au soir. Sans jour off, confie le directeur Mehdi Mauger. Mais ça ne suffit quand même pas. On voulait offrir de la restauration en continu et ça n’est pas possible dans cette configuration-là. » Lui aussi témoigne de la précarité du recrutement. « On a des réponses à nos annonces, puis plus aucune nouvelle. Certains sont là un jour et ne reviennent pas le lendemain », dit-il. Pour l’instant, l’équipe en place assure le service 7 j/7, mais cet établissement finira peut-être lui aussi par devoir s’adapter.

Impossible de savoir à l’instant T combien de restaurants à Nice sont concernés par ces fermetures rendues obligatoires par le manque de personnel. Ça va, ça vient. « Ça bouge très vite. Certains ont de gros problèmes et arrivent à les résoudre. Avant d’être de nouveau en carence », explique Christophe Souques, le vice-président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH) Côte d’Azur Nice cafetiers restaurateurs. Il est lui-même concerné. « Dans un de mes établissements, Le Bateleur, sur le cours Saleya, j’aimerais ouvrir le midi en plus du soir. Mais ce n’est toujours pas possible. Partout, on doit s’adapter. Avec des services moins longs ou effectivement jusqu’à des fermetures. »

Les besoins en saisonniers explosent à cause d’un déficit de CDI

Dans le département, il y aurait encore près de 4.900 postes de saisonniers à combler, alors que la saison, justement, est déjà bien lancée. « Ces besoins ont augmenté, encore plus fort sur la Côte d’Azur, précise le responsable. Ces dernières années, la région concentrait environ 24 % des demandes françaises sur cette main-d’œuvre. Cette année, c’est 38 %. Et si ça grimpe autant, c’est que nous sommes déjà en déficit de CDI. » Dans les Alpes-Maritimes, 15.000 employés de la restauration en contrat longue durée manqueraient à l’appel. D’où un besoin en extras encore plus important.

Et la situation pourrait encore bloquer davantage en fin de saison, prévient Christophe Souques. « Avec la Coupe du monde de rugby [du 8 septembre au 28 octobre, dans neuf villes de France], on va avoir besoin de saisonniers plus longtemps. Sauf qu’il s’agit souvent d’étudiants et que les étudiants commencent leur année scolaire beaucoup plus tôt qu’avant ». A l’UMIH, les regards se tournent vers l’étranger, au-delà des frontières de l’Europe, « vu que nos voisins ont les mêmes problèmes de recrutement », précise le vice-président dans les Alpes-Maritimes. L’organisation patronale plaide ainsi pour qu’il soit possible de signer des contrats de trois à six mois avec des saisonniers d’autres pays.