Mauvaise tactiqueCoopérer ou partir… le Sénat exige plus de transparence de la part de TikTok

TikTok : Après quatre mois d’enquête, le Sénat fustige le manque de transparence de l’application

Mauvaise tactiqueLe Sénat rendait ce jeudi les conclusions de sa commission d’enquête nommée « La tactique TikTok : opacité, addiction et ombres chinoises »
L'application TikTok, très populaire chez les plus jeunes, est visée par une commission d'enquête au Sénat qui a rendu ses conclusions ce jeudi.
L'application TikTok, très populaire chez les plus jeunes, est visée par une commission d'enquête au Sénat qui a rendu ses conclusions ce jeudi. - Travelsourced  / Pixabay
Lina Fourneau

Lina Fourneau

L'essentiel

  • «La tactique TikTok : opacité, addiction et ombres chinoises ». Voici le nom de la commission d’enquête réunie au Sénat ce jeudi pour rendre les conclusions autour de l’ingérence du réseau social chinois.
  • Après quatre mois d’enquête, les sénateurs ont montré un système opaque à plusieurs échelles.
  • Ils demandent désormais à l’application plus de transparence, sinon quoi la plateforme pourrait être interdite en France au 1er janvier 2024.

Dans la famille des réseaux sociaux ingérables, le Sénat demande la petite sœur, TikTok. La jeune application lancée en 2016 compte désormais 2 milliards d’utilisateurs, dont 20 millions en France. Mais problème, la popularité de la plateforme - surtout auprès des plus jeunes - n’a pas motivé l’entreprise mère ByteDance à devenir plus transparente, malgré les multiples alertes. C’est du moins la conclusion de la commission d’enquête publiée ce jeudi par le Sénat. Nommé « La tactique TikTok : opacité, addiction et ombres chinoises », le rapport de près de 200 pages est le résultat de quatre mois d’enquête mettant en lumière de nombreuses problématiques autour de la plateforme.

D’abord, sa proximité avec la Chine, pays où l’application est née, mais aussi avec le régime chinois. « Les entreprises de l’économique numérique sont des acteurs essentiels de stratégies d’influence menées par la Chine », précise le rapport qui parle même ici d’une « stratégie de "guerre cognitive" ». Derrière cette manipulation d’un Etat, il y aurait en effet un risque de collecte massive de données, mais aussi de contrôle de la société et des dirigeants. Aux Etats-Unis, plusieurs journalistes ont par exemple été espionnés par l’application, sans que TikTok puisse apporter des réponses concrètes sur la destination des données.

TikTok fait la sourde oreille

C’est d’ailleurs la conclusion à retenir de ce rapport : TikTok brille par son opacité. Pourtant, la transparence est vantée en permanence par le réseau social, constate le sénateur et rapporteur de la commission d’enquête Claude Malhuret. « Lors de l’enquête, nous avons tous été frappés de la grande utilisation du terme transparence, on a eu l’impression que c’était un leit motiv du réseau social pour se décrire ». Au contraire, le réseau social ne serait en rien déchiffrable depuis l’extérieur. En décembre dernier, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) avait à ce sujet épinglé TikTok regrettant des « réponses incomplètes » de la part de l’application. Et malgré les multiples auditions, TikTok ne coopère pas et refuse de donner tant de détails sur son organisation.

Lors de leurs auditions auprès des sénateurs, les représentants de TikTok ont nié tout lien avec la Chine. Au niveau de la direction, certains rôles étaient eux aussi restés opaques. C’est le cas de Zhao Tian, alors dirigeante de TikTok France et aussi vice-présidente de l’application chinoise Toutiao, une filiale de Douyin [le TikTok présent en Chine]. « La personne que vous citez n’a absolument aucun rôle dans l’entreprise et je ne l’ai jamais rencontrée. La fonction de présidente n’a aucune conséquence juridique, aucune conséquence sur la manière dont le groupe est dirigé », avait assuré le directeur des affaires publiques de TikTok France Eric Garandeau pendant son audition. Mais mystère, après l’audition, le remplacement de Zhao Tian par un responsable européen a finalement été annoncé.

A l’international, TikTok présente ByteDance comme une application américaine, et même internationale. Elle est même immatriculée aux îles Caïmans, le deuxième paradis fiscal le plus important au monde. « Prôner la transparence en s’installant aux îles Caïmans, ce n’est pas très crédible », ironise le sénateur Claude Malhuret.

Des données qui voyagent en incognito

Sans grande surprise, l’application a également été mise en cause pour sa large collecte de données, également opaque. « TikTok fait circuler de nombreuses ces données stockées sur des serveurs basés aux Etats-Unis, en Malaisie et à Singapour », signale le rapport. Son algorithme arriverait à récolter un certain nombre d’informations sur ses utilisateurs. En plus de son identité, elle déduirait des caractéristiques jamais définies à l’inscription comme le profil psychologique. Un élément contraire à la réglementation européenne définie par le Règlement général sur la protection des données (RGPD).

Qui plus est, l’opacité des données a de multiples conséquences. En plus de ne pas savoir où elles sont échangées à travers le monde, certains acteurs pointent du doigt la limite sur le financement des artistes par exemple, comme le signalait la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (SACEM) en 2022.

L’ultimatum est lancé

Au-delà de son manque d’opacité sur tous les fronts, la commission d’enquête alerte sur l’enjeu de santé publique que représente désormais TikTok. Parmi les 4-18 ans, les utilisateurs passeraient en moyenne 1h47 sur l’application et les psychologues soulignent le risque « d’addiction » de l’application, voire « d’abrutissement ». Les troubles psychologiques sont également multiples, notamment sur le sommeil ou sur l’attention. Par ailleurs, certains contenus peuvent même s’avérer dangereux sur l’application, surtout auprès de personnes vulnérables. Les exemples ne manquent pas. En 2021, par exemple, une enfant de 10 ans est morte asphyxiée en Italie en suivant un challenge TikTok aux faux airs du jeu du foulard.

Et comme de nombreuses applications, TikTok contrôle insuffisamment la limite d’âge. Le chiffre est d’ailleurs effarant : 45 % des 11-12 ans sont inscrits sur TikTok alors que l’application est interdite aux moins de 13 ans et que la majorité numérique en France est fixée à 15 ans. Pour protéger les mineurs, le Sénat a dressé un certain nombre de propositions notamment le blocage de l’application au bout de 60 minutes et un système plus performant de vérification de l’âge, également dans le nouveau projet de loi pour « Sécuriser et réguler l’espace numérique », adopté mercredi au Sénat. Une modération « plus efficace » est également souhaitée parmi les 21 recommandations.

Dans ses conclusions, la commission d’enquête invite l’application à clarifier la nature de ses liens avec les autorités chinoises. Le cas échéant, le Sénat propose au gouvernement de « suspendre TikTok en France », mais aussi au sein de l’Union européenne, si le tir n’est pas rectifié au 1er janvier 2024.

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