RUPTURESL’humanité a fait basculer la planète dans l’anthropocène, c'est prouvé

L’humanité a fait basculer la planète dans l’anthropocène, c'est prouvé et c'est flippant

RUPTURESLe lac Crawford a été choisi comme site de référence de l’anthropocène. Il est la preuve que les activités humaines sont à l’origine de bouleversements profonds de la Terre
Le lac Crawford au Canada désigné comme référence de l’Anthropocène, nouvelle époque géologique
Laure Beaudonnet

Laure Beaudonnet

L'essentiel

  • L’humanité entre dans l’Anthropocène qui marque le passage à une nouvelle époque géologique.
  • Le lac Crawford, au Canada, a été choisi comme site de référence de cette époque géologique. Les activités humaines sont bien à l’origine d’une rupture des équilibres naturels de la planète.
  • Christophe Bonneuil, historien et directeur de la collection « Anthropocène » aux éditions du Seuil et Catherine Jeandel, océanographe, directrice de recherche au CNRS et membre de l’Anthropocene Working Group (AWG) nous aident à y voir plus clair.

L’humain a fait basculer la planète dans une nouvelle ère et le lac Crawford, près de Toronto au Canada, en est la preuve. Ce site a été choisi ce mardi soir par The Anthropocene Working Group (AWG) comme référence mondiale du commencement de l’anthropocène, nom proposé en 2002 par Paul Crutzen, prix Nobel de chimie. Si le passage à ce nouvel âge géologique aura du mal à être officialisé par la Commission internationale de stratigraphie (ICS), une chose est sûre : une rupture s’est bien produite au siècle dernier. Les conditions de l’holocène qui ont permis à l’humanité de s’épanouir sur Terre sont en train de disparaître. Les activités humaines – qui génèrent microplastiques, polluants chimiques éternels, espèces invasives, gaz à effet de serre… – ont rompu les équilibres naturels de la planète provoquant des dérèglements profonds et difficilement prévisibles.

Christophe Bonneuil, historien, directeur de recherche au CNRS et directeur de la collection « Anthropocène » aux éditions du Seuil et Catherine Jeandel, océanographe, directrice de recherche au CNRS et membre de The Anthropocene Working Group nous éclairent sur cette nouvelle période de l’histoire de la Terre et sur l’importance du lac Crawford comme site de référence.

D’abord, c’est quoi l’anthropocène précisément ?

L’anthropocène est une nouvelle période de l’histoire de la Terre dans laquelle on considère que les activités humaines sont à l’origine de bouleversements profonds. « Dans le passé, au lycée, on apprenait que l’histoire de la Terre était tellement longue, sur quatre milliards d’années, que les activités humaines, semblables à une piqûre de moustique, ne pouvaient rien changer, explique Christophe Bonneuil. Ce qui comptait, c’était les variations des facteurs clés, l’orbite de la Terre autour du Soleil, la tectonique des plaques, le volcanisme… Pour la première fois, on crée une nouvelle période qui considère les activités humaines comme un facteur clé qui a autant d’importance que d’autres paramètres extra-humains comme les activités du soleil. L’anthropocène, c’est l’âge de la Terre dans lequel les humains sont devenus un facteur géologique. »

Pourquoi le lac Crawford au Canada ?

Le lac canadien a été choisi comme l’incarnation physique de l’anthropocène par le groupe de travail, des géologues qui travaillent depuis 2009 pour rassembler les preuves du passage à une nouvelle époque géologique. Parmi les sites finalistes, on trouvait une baie du Japon, la boue d’un cratère en Chine, les traces dans une carotte glaciaire ou celles sur des récifs coralliens. Les sédiments du lac Crawford, extraordinairement stables car les eaux en profondeur et en surface ne se mélangent pas, « reflètent le point de basculement dans l’histoire de la Terre, lorsque le système terrestre a cessé de se comporter comme il l’avait fait pendant 11.700 ans », a expliqué Francine McCarthy, professeure canadienne lors d’une conférence de presse en ligne mardi, relayée par l’AFP.

Le lac Crawford au Canada, désigné site de référence de l'anthropocène par The Anthropocene Working Group, groupe de géologues chargé en 2009 de recueillir des preuves de cette nouvelle époque géologique.
Le lac Crawford au Canada, désigné site de référence de l'anthropocène par The Anthropocene Working Group, groupe de géologues chargé en 2009 de recueillir des preuves de cette nouvelle époque géologique.  - P. POWER / AFP

Pourquoi fallait-il trouver un site de référence ?

« Quel que soit l’âge géologique que l’on caractérise, il faut définir une série sédimentaire qui enregistre avec une assez haute résolution les variations de courbes », définit Catherine Jeandel. Il existe des séries de référence pour tous les âges géologiques et un certain nombre de ces âges ont leur site de référence. « On espère retrouver cette série à d’autres endroits, poursuit-elle. Il y a les traceurs principaux de l’anthropocène, en l’occurrence les retombées radioactives, et les traceurs secondaires, des choses qu’on retrouve à peu près partout et qui permettent de dire "on en est à peu près à tel niveau". »

Pourquoi l’officialisation de cette nouvelle époque géologique est-elle si difficile ?

« Il a fallu cinquante ans pour valider l’holocène. Cette époque avait été proposée dans les années 1830 par les premiers géologues qui travaillaient sur les cycles de glaciation, note Christophe Bonneuil. Il n’est pas surprenant que les géologues, qui travaillent sur des centaines de millions d’années, réfléchissent avant de valider l’anthropocène qui n’aurait que soixante-dix ans ou deux cents ans ». Certains estiment que les critères techniques ne sont pas remplis pour qualifier l’anthropocène de nouvelle « époque », même s’ils reconnaissent une rupture.

« Une partie de la communauté géologique affirme qu’il est trop tôt, confirme Catherine Jeandel. Un âge géologique, en général, couvre la naissance d’une espèce et une extinction. Pour déterminer un âge géologique, il faut un traceur très répandu. Et le traceur le plus répandu, ce sont les retombées radioactives. A partir du moment où il y a eu les essais aériens nucléaires dans les années 1960, ça s’est distribué sur toute la planète grâce à l’homogénéisation de l’atmosphère. On les retrouve partout à ce niveau-là. Ce qui lui donne une grande force pour déterminer un âge de l’anthropocène », affirme-t-elle.

On a l’âge -les années 1960-, on a un site de référence – le lac Crawford –. Même si la communauté scientifique ne valide pas tout de suite l’époque géologique, le constat est là : « Depuis deux millions d’années qu’il y a l'espèce Homo sur la Terre, on n’a jamais été confrontés à une planète qui change si vite », conclut Christophe Bonneuil.