Invité d’honneurEn invitant le Premier ministre indien, Macron se fait un allié empoisonné

14-Juillet : En invitant le Premier ministre indien, Emmanuel Macron prend le risque d’un allié empoisonné

Invité d’honneurLa France compte beaucoup sur l’Inde comme partenaire économique et stratégique. Et ce, malgré les dérives autoritaires de son chef d’Etat
14-Juillet : Narendra Modi, invité d'honneur, suscite la colère #shorts
Quentin Meunier

Quentin Meunier

L'essentiel

  • Narendra Modi, le Premier ministre indien, sera l’invité d’Emmanuel Macron à l’occasion du 14-Juillet, vendredi.
  • Des discussions stratégiques et économiques sont prévues, alors que la France cherche à faire de l’Inde son allié dans la région indo-pacifique.
  • Pourtant, cette visite sera surtout l’occasion pour Narendra Modi, critiqué pour ses dérives autoritaires, de s’afficher sur la scène internationale.

Le tapis rouge est déroulé. Narendra Modi, le Premier ministre indien, est l’invité d’honneur d’Emmanuel Macron lors des cérémonies du 14-juillet. Ce choix vient marquer les 25 ans du partenariat stratégique entre les deux pays. Pour marquer le coup, un contingent des forces armées indiennes défilera vendredi matin au côté des forces françaises. Mais il sera surtout question pour les deux chefs d’Etat « d’engager une nouvelle phase de partenariat » et de fixer « de nouveaux objectifs ambitieux pour les coopérations stratégiques, culturelles, scientifiques, universitaires et économiques », annonce un communiqué.

Que faut-il attendre de cette visite ?

Cette rencontre est d'abord placée sous le signe des affaires. Avec son 1,4 milliard d’habitants, le pays représente un marché gigantesque, où les sociétés étrangères sont encore peu implantées. À l’occasion du G20, en février, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, affichait sa volonté de nouer des partenariats industriels et commerciaux dans le pays. « Les grandes entreprises françaises, même si elles s’y sont déjà cassé les dents, lorgnent sur le marché indien », confirme Charlotte Thomas, politologue spécialiste de l’Inde.

Cette invitation permet aussi de démontrer les liens militaires entre les deux pays. L’Inde est un client historique d’armes françaises, et a déjà acquis 34 Rafale et 6 sous-marins Scorpène par le passé. Ce jeudi, elle a donné son accord de principe pour l'achat à la France de 26 avions de chasse Rafale, en version Marine pour porte-avions, et de trois sous-marins Scorpène.

Pourquoi la France veut s’allier à l’Inde ?

Cette course à l’armement illustre la recherche d’alliés stratégiques dans la région Indo-pacifique. La France, déjà présente par ses territoires d’outre-mer, voit la péninsule comme un allié important. L’objectif est de « s’appuyer sur l’Inde, que l’on présente comme une démocratie vertueuse face à la Chine », décrit Charlotte Thomas. Les deux pays se vouent une guerre d'influence en Asie du Sud. « Pour l'Inde, ces invitations sont aussi une manière de dire à la Chine : "on est là", alors que les deux pays sont en concurrence pour plusieurs marchés, notamment d'infrastructures, dans la région », précise un journaliste français expatrié à Dehli, qui souhaite rester anonyme.

Le pays se veut « multi-aligné », et refuse par exemple de condamner fermement la Russie dans le conflit qui l’oppose à l’Ukraine. Tout le monde cherche à pactiser avec l'Inde, comme en témoigne les visites en grande pompe du premier ministre en Australie ou aux Etats-Unis. « Tout le monde courtise Modi, confirme le journaliste. Notamment par peur que l'Inde aille voir le voisin. » Pour autant, note Charlotte Thomas, économiquement, « l’Inde n’a pas les moyens de se couper de la Chine », il est donc illusoire de voir dans ce pays un allié « absolu ».

Pourquoi cette visite est-elle controversée ?

La visite Narendra Modi ne passe cependant pas inaperçue en France. Sur Twitter, la Ligue des droits de l’Homme « dénonce cette invitation qui envoie à nouveau un signal catastrophique en matière de négation de nos valeurs démocratiques ». Selon Charlotte Thomas, de nombreuses exactions contre les minorités en Inde (camps de détention, ratonnades contre les chrétiens et les musulmans, émeutes intercommunautaires) sont régulièrement commises.

Elle relève également une criminalisation de l’opposition, alors que l’opposant Rahul Gandhi fait l’objet de poursuites par diffamation et a été obligé de quitter le Parlement. Malgré tout, Narendra Modi a été élu démocratiquement et jouit d'une énorme popularité en Inde. « C'est un honneur pour l'Inde et les Indiens d'être invités et d'être représentés par Narendra Modi », explique le journaliste.

Une image de « leader du monde libre » pour Emmanuel Macron ?

Cette rencontre avec un chef d’Etat décrié a notamment pour but d’envoyer un message à l’international. « Emmanuel Macron se réinvente, se redonne l’image de leader du monde libre, de celui qui parle à tout le monde », analyse Charlotte Thomas. Pour Narendra Modi qui pense sûrement aux élections générales de 2024 - et à son troisième mandat - l’opération est en tout cas réussie.

Plus qu’un moyen de mettre un pied en Europe - « l’Union européenne existe très peu pour l’Inde, qui mise plutôt sur les partenariats bilatéraux » - cette invitation lui offre une forte exposition sur la scène diplomatique. D'autant que la France conserve encore, malgré de récentes polémiques, l'image à l'étrange « du pays des droits de l'Homme ».