Vie proTélétravailler depuis son lieu de vacances, est-ce forcément un bon plan ?

Tracances : Le télétravail depuis le lieu de vacances, un bon plan pour les salariés et leurs employeurs ?

Vie proEntre coquillages et crustacés, de plus en plus de salariés planchent sur leur lieu de villégiature.
Selon un sondage, 31 % des travailleurs interrogés en mars prévoyaient d’anticiper ou de prolonger leur séjour sur leur lieu de vacances avec du travail hybride.
Selon un sondage, 31 % des travailleurs interrogés en mars prévoyaient d’anticiper ou de prolonger leur séjour sur leur lieu de vacances avec du travail hybride.  - Canva / Canva
Delphine Bancaud

Delphine Bancaud

L'essentiel

  • De plus en plus d’entreprises proposent à leurs salariés de partir un peu plus tôt ou de rentrer plus tard de vacances, tout en travaillant à distance.
  • Une pratique que les entreprises encadrent en limitant la durée de ces « tracances » ou en posant des conditions.
  • S’ils ne constatent pas de perte de productivités de ces télétravailleurs estivaux, les dirigeants d’entreprises relèvent quand même quelques aspects négatifs de la formule.

Partir avec sa famille en Bretagne une semaine avant les vacances et travailler avec vue sur mer pendant qu’ils sont au club Mickey. Ou reprendre le boulot en douceur après le farniente estival, en restant une semaine de plus dans sa maison de campagne. Depuis le Covid-19, de plus en plus de salariés français pratiquent les « tracances » (contraction des mots « travail » et « vacances »). Selon une étude d’IWG (entreprise de coworking) parue en juin, 31 % des travailleurs interrogés en mars prévoyaient d’anticiper ou prolonger leur séjour sur leur lieu de vacances avec du travail hybride. Un chiffre qui atteignait même 54 % chez les 18-24 ans ? et 45 % chez les 25-34 ans.

Si beaucoup d’entreprises autorisent désormais les « tracances », certaines tiennent à les limiter, à l’instar de Meritis (société de conseil en technologies de 900 collaborateurs). « Nos salariés peuvent télétravailler jusqu'à 3 jours par semaine à partir de n’importe quel lieu. Mais on ne veut pas aller au-delà, car cela rendrait la sphère privée et la sphère professionnelle plus poreuses », explique Eric Varache, le DRH. Chez Roole, un club automobile qui compte 300 salariés, le fait de bosser au vert, ou au bord de l’eau, est aussi encadré : « On autorise une semaine de télétravail accolée aux vacances pour simplifier la vie de nos salariés, même s’ils partent à l’étranger, mais à condition qu’il n’y ait que 2 heures maximum de décalage horaire. Une pratique qui est devenue fréquente, surtout au mois d’août », constate la DRH, Servane Petit. Et, pour apporter à ses salariés une plus grande flexibilité encore, à partir de septembre, ils auront droit à un crédit de 12 jours de télétravail par an (en plus de leurs 2 jours par semaine) qu’ils pourront utiliser à leur guise. Mais pas question d’aller plus loin. « On veut garder du lien », insiste la DRH.

« C’est particulièrement appréciable pour les salariés parents »

Plus rares sont les entreprises qui offrent la possibilité de « tracances » XXL. Comme c’est le cas chez Evaneos, une entreprise de 165 salariés spécialisée dans les voyages sur-mesure : « Certains de nos salariés qui avaient de la famille à l’étranger et voulaient en profiter le plus longtemps possible, nous ont demandé la possibilité de télétravailler sur place après leurs vacances. Depuis 2018, nous proposons donc à ceux qui le souhaitent de travailler à distance sur leur lieu de villégiature jusqu’à trente jours d’affilée. Une possibilité qu’ils peuvent actionner jusqu’à quatre fois dans l’année. S’ils sont à l’étranger, ils doivent cependant veiller à avoir une demi-journée avec des horaires compatibles avec la France et que tous les managers ne soient pas absents des bureaux au même moment », indique Claire Degueil, la DRH.

Une large souplesse, mais qui n’est finalement utilisée qu’une ou deux fois dans l’année par les collaborateurs et pour une durée moyenne de quinze jours. Pour attirer des talents venus des quatre coins de la France, certaines entreprises du secteur de la tech ont fait le choix du télétravail total, donc la possibilité de « tracances à volonté ». « C’est particulièrement appréciable pour les salariés parents », constate Jonathan Gilbert, CEO de Kastel and co, une start-up spécialisée dans l’investissement immobilier de neuf salariés.

Pas de perte de productivité constatée

Mais lorsque l’on travaille dans une maison pleine de monde et que les invitations à prolonger le déjeuner ou à faire une balade à la plage sont multiples, reste-t-on aussi productif qu’au bureau ? Oui, affirment en chœur les dirigeants. « Nos salariés ont tous de dix à vingt ans d’expérience, donc ils sont très autonomes. Et nous prévoyons une réunion le lundi et une autre le vendredi pour faire le point sur l’activité de chacun », explique selon Jonathan Gibert. Même constat pour Servane Petit : « Notre management est basé sur la confiance et les salariés jouent le jeu. C’est arrivé une seule fois qu’un collaborateur abuse de sa liberté d’organisation sur son lieu de vacances. Il a été recadré tout de suite ».

Les DRH sont davantage préoccupées par la préservation de l’équilibre entre la vie professionnelle et personnelle : « C’est encore plus difficile lorsque les salariés sont en télétravail de savoir si la charge du travail du collaborateur n’est pas trop lourde », indique Eric Varache. D’autant que plusieurs études ont démontré que certains salariés multipliaient les heures lorsqu’ils étaient en télétravail : « Ils ont tendance à garder plein de dossiers à traiter pendant leurs "tracances", car ils savent qu’ils seront moins importunés qu’au bureau », observe Servane Petit. Pour éviter que les salariés restent trop connectés dans le jardin ou sur une terrasse, de plus en plus d’entreprises ne prévoient pas de réunion avant 9 heures ni après 18 heures.

Un problème d’iniquité entre les salariés

Autre souci : tous des salariés ne sont pas égaux face aux « tracances ». « Les services informatique, accueil ou administration du personnel ne sont pas autorisés à prendre plus d’un jour de télétravail, ce qui crée un problème d’iniquité entre les collaborateurs que l’on ne peut pas résoudre. Même si on fait de la pédagogie sur le sujet, cela crée parfois des tensions », témoigne Eric Varache. Une difficulté à laquelle Servane Petit est confrontée : « Les services logistique et les commerciaux ont besoin d’être sur site ou chez les clients. Ce n’est pas toujours facile pour eux de voir leurs collègues de bénéficier d’une souplesse d’organisation qui n’est pas possible pour eux », souligne-t-elle. Dernier petit point noir des « tracances » : « Les difficultés de connexion Internet dans certains lieux de villégiature, avec des visios qui plantent », relève Jonathan Gilbert.

Des désagréments qui ne feront pourtant pas changer de cap les entreprises concernant les « tracances ». Car les bénéfices du système sont jugés supérieurs. « La charge mentale des salariés est libérée grâce à ce système. C’est clairement un facteur d’attractivité et de rétention de nos collaborateurs », indique Claire Degueil. Et grâce aux « tracances » de fin d’été, les salariés gardent le bénéfice de leur congé plus longtemps, note Eric Varache : « La reprise du travail se fait en douceur, ce qui rend plus sereine la rentrée en présentiel ».

*Cette enquête a été conduite auprès de 2.108 répondants, salariés de 18 à 65 ans en France, du 22 au 23 mars 2023.