ENQUETETwitter, un eldorado pour les créateurs de contenu porno

Véritable vitrine pour se faire connaître, Twitter devient un eldorado pour les acteurs porno

ENQUETEContrairement aux autres réseaux sociaux, Twitter permet la large diffusion de contenus pornographiques, au détriment du public parfois très jeune présent sur la plateforme
Comment Twitter est devenu une plateforme porno
Lina Fourneau et Paul Blin Kernivinen

Lina Fourneau et Paul Blin Kernivinen

L'essentiel

  • Vidéos de pénétration, photos de sex-toys et autres actes sexuels… sur Twitter, les contenus pornographiques ne manquent pas alors que la plateforme n’est en rien dédiée à cela. Des personnes bien connues du grand public, comme l’ancien candidat de téléréalité Adrien Laurent en ont même fait leur gagne-pain.
  • Contrairement aux autres réseaux sociaux, Twitter s’avère très laxiste sur la modération des contenus pornographiques. Quelques mois plus tôt, la plateforme songeait même à concurrencer les sites spécialisés.
  • Pourtant, sur Twitter, le public n’est pas forcément informé de la présence de ces contenus X. Surtout, des personnes mineures peuvent s’inscrire facilement sur la plateforme. La restriction d’âge est, elle aussi, très laxiste.

«N’allez surtout pas voir mon dernier post Twitter ». Sous une publication du très influent Gims, suivi par 3 millions d’abonnés, un tweet sort du lot. Le message est mystérieux et les émojis exhaustifs utilisés intrigants. Une aubergine par ci, un panneau "moins de 18 ans" par là. Il est posté par un certain « AD », plus connu du grand public comme Adrien Laurent, un ancien candidat de téléréalité. Des « Princes de l’amour », aux « Anges de la téléréalité » en passant par « La villa des cœurs brisés », le jeune homme de 29 ans s’est imposé au fil des saisons comme le séducteur à la musculature imposante. Désormais loin de ce monde, Adrien Laurent a finalement décidé de se lancer dans la pornographie. « J’ai trouvé ma reconversion professionnelle selon vous ? », lance-t-il dans un premier tweet publié le 28 novembre 2021. « Tu as du potentiel fonce AD », « je pense que tu seras bon frérot », lui répondent très vite ses abonnés, visiblement très intéressés par les futurs contenus.

Si la question est partagée sur Twitter, ce n’est pas anodin. Pour Adrien Laurent comme pour de nombreux créateurs de contenus porno, la plateforme facilite la diffusion de ces contenus. Depuis plus de deux ans, l’ancien candidat de téléréalité suivi désormais suivi par 59.000 personnes publie quotidiennement des images et des vidéos de lui nu, parfois en pleine érection, parfois en train de se masturber ou de réaliser un cunnilingus à une autre actrice X. Sans aucune censure, Adrien Laurent peut donc profiter de Twitter comme une vitrine pour que ses abonnés accèdent à ses contenus payants, notamment sur Mym, le réseau social qui se veut « exclusif » et qui surtout permet à de nombreux acteurs porno de vendre leurs contenus. Pour Adrien Laurent, qui n’a pas répondu à nos sollicitations, il faut croire que les affaires marchent bien. Dans un entretien accordé à Gossip Room, l’ancienne star de téléréalité a avoué gagner entre 30.000 et 40.000 euros les bons mois.

Du porno illimité

Si sur Mym, ces contenus restent très fermés, sur Twitter, la logique est différente. La plateforme désormais détenue par Elon Musk rend ultra-accessible ce type de contenus, alors que le public n’y consent pas forcément. En effet, la plupart des utilisateurs viendraient davantage pour s’informer ou se divertir, sans savoir forcément que des contenus pornographiques y circulent.

En réalité, la raison de cette prédominance de contenus pornos réside avant tout dans la grande ambition libertarienne de Twitter, et ce bien avant l’arrivée du milliardaire américain. Dans son règlement, le réseau social interdit par exemple de publier des médias excessivement sanglants, des contenus violents ou encore des images d’agressions sexuelles. Mais rien n’est réellement défini à propos des contenus pornographiques, contrairement à Meta qui détient Facebook et Instagram et où la nudité n’a pas sa place. Adrien Laurent, par exemple, a vu son compte Instagram suspendu pendant plus d’un an avant de pouvoir en recréer un autre. Idem sur Snapchat.

Dans sa grande ambition de concurrencer les plateformes pornographiques, Twitter souhaitait même aller plus loin. D’après le média américain The Verge, le réseau social avait même envisagé de monétiser les contenus sexuels déjà présents sur la plateforme. Mais le projet nommé « Adult content monetization » avait finalement été abandonné car il était d’une part trop difficile à contrôler et d’autre part un risque de pertes massives face à des annonceurs frileux.

Un jeune public peu protégé

Aujourd’hui, il reste très difficile de savoir combien de contenus pornographiques circulent sur la plateforme. Avec les nouvelles règles envisagées par Elon Musk, la lecture des données a été complètement inaccessible au public, comme nous l’explique un développeur de notre rédaction. Twitter reste également fermé à la discussion avec les médias. Au mail que nous leur avons envoyé pour les interroger sur le sujet, un mail automatique nous a été remis avec dans son contenu un seul emoji caca.

Pire encore, le réseau social ne semble pas protéger les enfants de ces contenus pornographiques. Pour les besoins de l’enquête, nous devenons « Armand Plume », un jeune de 16 ans, passionné par les jeux vidéo et les films de Disney. Si la majorité numérique était bien respectée [15 ans en France], il suffisait d’un seul clic dans les préférences du compte pour accéder à certains contenus d’Adrien Laurent. Et bien pire encore. Sans aucun filtre, nous tombons à la fois sur des vidéos de couples sadomasochistes, de sex-toys, mais aussi sur des images de zoophilie où l’on voit une femme en train de masturber un chien.

Une vitrine avant les contenus payants

Mais alors pourquoi choisir Twitter et ne pas se rendre directement sur un site réservé aux contenus pornographiques ? Pour la plupart des créateurs de contenu, le réseau social à l’oiseau bleu sert avant tout de vitrine pour proposer à leurs abonnés des contenus gratuits et pourquoi pas les inciter à les rémunerer via une autre plateforme, comme Mym ou OnlyFans. C’est le cas de BlaccBarbie, créatrice de contenus X depuis un an maintenant et suivie par près de 900 abonnés sur Twitter.

Motivée par le fait de fait « gagner de l’argent facile » en postant des photos sexy, la jeune créatrice gagne désormais autant grâce à ses contenus que grâce à son activité principale. « Sur Twitter, je publie du contenu promotionnel qui va aider mes abonnés à arriver sur mon Mym ». Sur son compte, certains contenus intimes seront floutés, d’autres non. « Initialement, je n’ai pas trop envie de montrer mes parties intimes sur Twitter, car c’est gratuit, donc ce n’est pas le but, alors je les floute. Si je ne le fais pas, c’est vraiment pour faire des petits coups de boost, que ça prenne un peu et que ça se transforme en abonnés rémunérateurs », nous raconte-t-elle. Et la promotion semble fonctionner pour la créatrice qui vient de se lancer. Selon elle, 75 % des personnes qui la suivent sur Mym sont des abonnés provenant de Twitter.

« Zéro porno pour nos enfants »

Mais les règles sont amenées à changer avec l’arrivée au mois d’août de la directive européenne du Digital Services Act (DSA). Alors que Twitter est aujourd’hui assez libre et peut ignorer les réglementations hors du sol américain, le nouveau texte risque de changer la donne pour les grandes plateformes. Les dix-sept concernées - dont Twitter - devront se montrer plus strictes notamment sur la modération des contenus illicites, les messages d’incitation à la haine et les produits contrefaits sur les places de marché, mais aussi sur les contenus pornographiques. S’ajoute à cette réglementation, le projet de loi pour la Sécurité et la régulation d’Internet voté le 5 juillet dernier et porté par le ministre de la Transition numérique et des télécommunications Jean-Noël Barrot.

« Ma réponse est simple : zéro porno pour nos enfants », martèle le ministre quand nous l’interrogeons au sujet de Twitter et son grand laxisme face aux contenus X. « Il est hors de question qu’il y ait une exposition au porno, et encore moins qu’elle soit monétisée ». Ce dernier mise donc avant tout sur la vérification d’âge qui reposera à l’avenir sur un principe de double anonymat. « Cela prend la forme d’une application qui va solliciter de la part d’un fournisseur d’identité numérique une preuve anonyme de majorité. Cette preuve anonyme de majorité est stockée sur l’application et elle est sollicitée par les sites réservés aux adultes lorsque l’utilisateur essaye d’y accéder. Le site réservé aux adultes ne connaît pas l’identité de l’utilisateur et celui qui a fourni la preuve anonyme de majorité ne sait pas ce à quoi elle a été utilisée ». Aussi, le texte prévoit le déférencement des sites pornographiques qui ne vérifieraient pas l’âge des utilisateurs sur les moteurs de recherche. Et Twitter n’échappera pas non plus à la règle.

Mais surtout si le réseau social continue d’ignorer les règles européennes, le DSA prévoit des amendes à hauteur de 6 % du chiffre d’affaires. « Environ 300 millions d’euros pour Twitter », calcule le ministre. En cas de récidive, le réseau social pourrait même être banni de l’Union européenne. Alors pour les créateurs de contenus, il y aura sans doute une incidence sur leurs activités, et de fait sur leurs revenus. « J’espère surtout juste que ça ne pénalisera pas les personnes qui veulent avoir accès à des contenus pornographiques, mais je suis d’accord sur le principe de rendre Twitter plus sûr pour tous », avoue BlaccBarbie.

Pour en découvrir plus sur le sujet, l'enquête en vidéo se trouve en tête de l'article.