Votre vie, votre avisMystère au festival... Ces gobelets qui ne sont pas ramenés à la consigne

Festivals : Mais pourquoi sommes-nous si nombreux à ne pas ramener notre gobelet à la consigne ?

Votre vie, votre avisEn festival ou en concert, le gobelet réutilisable - moyennant 1 ou 2 euros - fait désormais partie des meubles. Problème, cette fameuse consigne, vous ne pensez jamais à la récupérer...
Un homme et une femme partagent un verre de bière devant une scène du festival des Vieilles Charrues, en 2015.
Un homme et une femme partagent un verre de bière devant une scène du festival des Vieilles Charrues, en 2015. - C. Allain/20 Minutes / 20 Minutes
Jean-Loup Delmas

Jean-Loup Delmas

L'essentiel

  • Depuis 2020 en France, les festivals n'ont plus le droit de proposer de verres jetables. Beaucoup n'avaient pas attendu ce changement de décennie pour se mettre au gobelet en plastique réutilisable.
  • Un objet devenu une véritable institution des festivals et concerts. Avec souvent une donnée simple : la boisson coûte 1 euro (voire 2) de plus, que l'on récupère en rendant le verre à la fin de l'événement. Une consigne, quoi.
  • Oui mais voilà, ce fameux euro, il est rare qu'on le retrouve. Car pour des raisons qui peuvent paraître étranges, peu s'y attellent. Nos lecteurs et lectrices ont témoigné de ce mystère à 20 Minutes.

Dans la famille des ustensiles, le gobelet réutilisable se pose comme un cousin éloigné des trois vis restantes d'un meuble Ikea déjà monté : on n'en voulait pas forcément, et on ne sait pas trop quoi en faire. Pourtant, contrairement à ses homologues suédoises, le gobelet de festival ou de concert a une destinée toute trouvée : être ramené à la buvette afin de récupérer l'euro de la consigne. Mais alors qu’il serait logique - et rentable - de les rapporter, les gobelets ne rentrent pas tous au nid, et beaucoup finissent tristement abandonnés au sol ou prenant la poussière dans une de nos étagères.

En 2017, le festival Les Escales, à Saint-Nazaire, calculait que sur 120.000 gobelets réutilisables commandés, 30.000 avaient « disparu » - ni ramenés à la consigne, ni collectés par terre, soit 25 %. Un pourcentage proche des estimations d’Emmanuel Torrent, gérant d’EcoCup, leader des verres en plastique dans l’événementiel : « En général, 30 % des gens qui participent à un événement ramènent leur verre en souvenir. »

Sociologie du gobelet

Que vaut 1 euro de consigne contre un cœur vibrant de mélancolie ? « Les gobelets ont une valeur purement sentimentale. Je garde celui de ma première Fête de l’Humanité alors que le plastique s’est décollé, sourit Malika, 29 ans, s’étant reconnue dans notre appel à témoignages alors que ses placards débordent de verres multicolores. Beaucoup me rappellent des souvenirs avec des proches, par exemple celui de mon dernier tournoi de Rugby Seven. Je pense que je l’emmènerai même à l’Ehpad. »

Des gobelets et des festivaliers à Solidays.
Des gobelets et des festivaliers à Solidays. - SADAKA EDMOND

Parmi toutes les choses pouvant être ramenées à la maison, le gobelet n’est pas anodin, à en croire Robert Zuili, psychologue spécialiste des émotions : « C’est un objet associé à l’alcool, à des moments festifs *. Il illustre bien l’ambiance du festival ou du concert, ce qui le rend particulièrement propice à la nostalgie. Et c’est un objet convivial, qui se partage, qui a une vraie fonction, les accumuler n'est pas vu comme du gaspillage ».

« L’objet souvenir par excellence »

Autre avantage qui explique sa mue en goodie improvisé : son prix. Daniel, 51 ans, note l’avantage imbattable : « Les articles vendus dans les stands de merchandising sont bien trop chers. Entre 50 euros pour un tee-shirt - parfois de mauvaise qualité - et 2 euros pour un gobelet que je réutiliserai, mon choix est vite fait. Surtout après avoir acheté les places de concert de plus en plus chères elles aussi ! »

« C’est l’objet souvenir par excellence, celui que vous veillez à conserver, même si vous ne l’utilisez plus une fois rentré, relance en compliment Jérémie Peltier, directeur des études de la Fondation Jean-Jaurès et auteur de La fête est finie ? (éd. de l’Observatoire, 2021). En somme, c’est un objet doudou ». Le gobelet a même étendu son influence, poursuit le spécialiste : « Il n’est plus uniquement personnalisé pour les festivals ou les concerts, mais aussi pour les mariages ». Certains en ont fait de véritables collectes, comme Laurent, 57 ans, « qui peut se vanter d’avoir certainement une des plus importantes collections », avec plus de 500 différents.

Et cette gobeletmania offre, paradoxalement, un intérêt financier à ne pas chercher sa consigne. « Je garde toujours les verres pour ensuite les mettre en vente sur Vinted. Cela fait plaisir aux personnes n’ayant pas pu venir en plus de faire un peu d’argent », explique Juliette, 27 ans. Une technique encore plus efficace que le ramassage des gobelets par terre pour se faire un max à la consigne. « Je me suis déjà fait plus de 30 euros en un festival », crâne Sophie, qui a tout redépensé... en bière.

Entre seconde vie et flemme

Certains verres vivent une seconde jeunesse chez leurs nouveaux hôtes. « Lorsque je reçois, chacun peut choisir le sien et le garder le temps de la soirée », indique Camille, 31 ans. Malika, elle, utilise ses gobelets tous les jours : « Vu mon habilité légendaire, ce n’est pas complètement bête d’avoir des verres en plastique. »

Mais d’autres tombent vite dans la poubelle ou dans l’oubli, au fin fond d'un placard, car beaucoup sont en réalité non désirés. « Je ne ramène pas mon gobelet simplement par flemme de faire la queue », reconnaît Clémence, la trentaine. Il faut dire que les festivals et concerts offrent un moment de décompression où l’on pense à autre chose qu’à ramener sa consigne, excuse Jérémie Peltier. L’expert poursuit : « On se dit également qu’on ne va pas ''s’abaisser à ça''. Il y a quelque chose liée à l’estime de soi. Une petite musique dans la tête qui dit : ''Je ne suis pas si précaire au point d’aller quémander 1 euro'' ».

Un petit gobelet de festival en plus dans l'armoire ?
Un petit gobelet de festival en plus dans l'armoire ? - Shutterstock/SIPA

Une flemme assez peu verte, concède Julien : « Je dois avoir une vingtaine de gobelets à la maison, la plupart dans un placard. Je suis conscient que ce n’est pas très écolo, mais bon. »

Le gobelet doit-il redevenir moche ?

Tant et si bien que le sens premier de la mesure - éviter le gaspillage et la production de plastique - tend à disparaître. Si le gobelet réutilisable était le Saint Graal écologique aux débuts des années 2000, l’objet doit peut-être redescendre en gamme pour le bien de la planète. Tant pis pour la manne financière en moins, certains festivals sont prêts à sauter le pas. C’est notamment le cas des Francofolies de La Rochelle, qui ont fait le constat que la gestion des gobelets plastiques « était tout sauf écologique » et n’en ont plus distribué lors de l’édition 2023.

Pas de gobelet au festival des Francofolies 2023, mais bon, le public a eu l'air d'aimer quand même.
Pas de gobelet au festival des Francofolies 2023, mais bon, le public a eu l'air d'aimer quand même. - F.Brenon/20Minutes

Autre option, rendre le gobelet « moche » et impersonnel. Depuis 2014, le festival des Vieilles Charrues n'inscrit plus l’année de l’édition sur ses verres, permettant à la fois de les réutiliser d’année en année mais également de « limiter l’effet collectionneur », selon Quentin Sibéril, chargé de projet développement durable de l’association, cité par nos collègues de Ouest-France.

D’autres organisateurs décident de mutualiser leurs gobelets. C’est notamment le cas de neuf festivals de la Loire cette année (Les Kampagn’Arts – Terres du Son – Jazz en Touraine – So Sweet Event – Tours Evénements – La Connexion – Rispost Festival – Nove – Aucard de Tours), d’abord en écoulant les stocks disponibles, puis en créant un gobelet avec le même logo pour tous. Il faut dire que pour qu’il soit écologiquement viable, un gobelet réutilisable doit servir au moins 7 fois. Selon Terres du Son, les festivaliers ne se resservent en moyenne que 2,5 fois par édition...

* L'abus d'alcool est dangereux pour la santé

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