Pause pipi (2/5)Que risquent les femmes à se retenir de faire pipi ?

Que risquent les femmes à se retenir de faire pipi ?

Pause pipi (2/5)Souvent par crainte de toilettes sales, nombre de femmes se retiennent de faire pipi en attendant de rentrer chez elles, ce qui n’est pas sans conséquences sur leur santé
Les toilettes publiques, nombre de femmes se retiennent d'y aller. Une mauvaise habitude qui retentit sur leur santé.
Les toilettes publiques, nombre de femmes se retiennent d'y aller. Une mauvaise habitude qui retentit sur leur santé. - Rafael Ben-Ari/Cham/NEWSCOM/SIPA / SIPA
Anissa Boumediene

Anissa Boumediene

L'essentiel

  • Voilà un geste élémentaire du quotidien : uriner. Indispensable au point qu'à 20 Minutes, on a décidé de se pencher sérieusement sur le sujet.
  • Faire pipi, c'est simple. Mais en pratique, on se heurte à des considérations physiques et psychologiques parfois insoupçonnées, et à des habitudes qui ne sont pas toujours bonnes.
  • Et parmi ces mauvaises habitudes : se retenir ou faire pipi en position accroupie, comme le font de nombreuses femmes lorsqu’elles ne sont pas chez elles. C'est le thème de ce deuxième volet de notre série « Pause pipi ».

«Ca m’a pris comme une envie de pisser ». L’expression ne pourrait pas être plus éloquente : quand on a envie, on ne pense plus qu’à ça, au point parfois de faire la fameuse danse du pipi en espérant apprendre la patience à notre vessie qui, elle, ne demande qu’à se vider. Action - réaction : la réponse est simple, il suffit d’aller aux toilettes !

Sauf que pour nombre de femmes, s’y rendre quand on n’est pas chez soi n’est pas aussi simple. Souvent par crainte qu’elles soient sales, ou pour tout un tas de raisons qui les poussent à se retenir plus qu’il ne le faudrait, ou à uriner en position accroupie pour éviter de s’asseoir sur le siège. Des habitudes répandues, mais qui ne sont pas sans conséquences sur la santé.

Des troubles de la miction développés dès l’enfance

Dès qu’elle sort de chez elle, les toilettes, Sarah les évite, depuis toujours ou presque. « C’est ce que ma mère m’a appris dès mon plus jeune âge : attend d’être à la maison, et si tu ne peux pas, ne t’assois jamais dans les toilettes publiques, raconte la jeune femme. Quand j’étais toute petite, elle tapissait allègrement le siège de papier toilette pour que je ne sois pas en contact avec. Et en vieillissant, hors de chez moi, j’ai pris l’habitude soit de me retenir, soit de m’accroupir, ce qui est franchement inconfortable. Impossible de faire autrement, ça me dégoûte, je me retiens jusqu’à mon retour à la maison ».

Et Sarah est loin d’être la seule. « C’est le vrai problème des femmes, qui ont appris dès l’enfance à se retenir d’aller aux toilettes à l’école, du fait d’une certaine pression sociale. Parce que les toilettes ne sont pas propres, par gêne d’y aller devant les copines ou de demander à y aller, ou encore parce que le maître ou la maîtresse ne veut pas », détaille le Dr Anthony Giwerc, chirurgien urologue à l’hôpital Saint-Louis à Paris.

Un problème contre lequel a mis en garde le Pr Michel Averous, ancien chef du service d’urologie pédiatrique au CHU de Montpellier. Dès 2004, il parlait de « fléau scolaire méconnu ».

Des troubles durables de la miction

Ces mauvaises habitudes prises dès l’enfance sont une voie royale vers des troubles durables de la miction. « Uriner jambes fléchies va créer un angle aigu avec l’urètre et entraîner des difficultés à la miction », prévient le Dr Giwerc. Cette position crispée empêche donc fréquemment de vider la vessie. Et que l’on soit semi-accroupie ou que l’on se retienne, « plus on accumule d’urine dans la vessie, où elle stagne, et plus on augmente les risques d’infection urinaire », prévient le Dr Giwerc.

On pourrait croire qu’à force de se retenir, notre vessie serait bien entraînée. Mais « quand elle est trop pleine, cela entraîne non seulement des douleurs, mais aussi un blocage : plus vous apprenez à votre vessie à vous retenir, plus sa paroi va se détendre, comme un élastique usé, avec à la clé des difficultés à bien évacuer totalement l’urine ». Sarah confirme : lorsqu’elle se retient trop longtemps, « la vessie peut être très douloureuse pendant un moment, et j’ai du mal à faire pipi jusqu’au bout, je suis obligée de pousser plus fort pour la vidanger ».

« Tous ces mauvais réflexes conduisent à développer une dyssynergie vésico-sphintérienne, expose le Dr Giwerc. Le sphincter est un muscle qui agit comme un verrou pour que l’urine ne sorte pas, mais qui doit s’ouvrir lorsqu’on fait pipi. Si, en vous retenant fréquemment, vous avez appris à ce muscle à se surdévelopper, la vessie doit forcer pour se vider alors qu’elle ne le devrait pas. Ce qui va augmenter la pression dans la vessie et l’abîmer. En pratique, on ne va pas souffrir d’incontinence parce qu’on a des fuites et qu’on a abîmé le sphincter, mais on va tellement accumuler d’urine dans la vessie qu’elle va chercher à évacuer le trop-plein, ce qui va entraîner des envies impérieuses et des petites fuites par engorgement ».

Réapprendre à uriner

Pourtant, « le système est très bien fait : les reins produisent l’urine, l’évacuent via les uretères dans la vessie, qui la stocke avant de se vider, décrit le chirurgien urologue. Mais si vous avez du mal à évacuer, il va y avoir trop de pression et cela crée du reflux, une remontée entre la vessie et les reins, avec un risque d’infections à répétition ».

Il y a vingt ans, le Pr Averous préconisait à « apprendre ou réapprendre à l’enfant à bien uriner, à la maison et à l’école ». Car « la miction est un mécanisme essentiel puisqu’il participe à l’évacuation des déchets de notre organisme, rappelle l’Association française d’urologie (AFU). Le meilleur moyen de désinfecter une vessie est d’assurer son évacuation fréquente et complète », prescrit l’AFU.

Or, c’est encore loin d’être un réflexe pour tout le monde. « Quand j’étais interne en chirurgie pédiatrique, il m’est arrivé de voir des cas de cystites répétées chez des petites filles, au point de devoir faire des certificats médicaux à remettre à la maîtresse pour prescrire des passages aux toilettes, déplore le Dr Giwerc. La première chose que l’on fait en consultation d’uropédiatrie, c’est de réapprendre aux fillettes à aller aux toilettes : au moins six fois par jour, en leur donnant des horaires : le matin au lever, à l’école à 10 heures, à la pause déjeuner, à la récréation de l’après-midi, au goûter, et avant d’aller dormir ».

Accompagner de meilleures pratiques

Des réflexes qu’il faut accompagner « en améliorant l’hygiène dans les toilettes, à commencer par celles des écoles, insiste le chirurgien urologue. Il faut que tout soit fait pour permettre aux enfants d’y aller plus régulièrement. Ce qui nécessite de les inciter à boire plus, pas seulement le midi à la cantine. Dès l’acquisition de la propreté, il faut leur donner le réflexe de demander lorsqu’ils ont besoin, qu’ils n’aient pas honte de le dire. Et si jamais il y a des signes avant coureurs, tels que des douleurs, des infections urinaires à répétition, nécessitant des passages aux urgences, il ne faut pas hésiter à en parler à un pédiatre ou à un urologue pédiatrique ».

Et il n’y a pas d’âge pour rectifier le tir. Heureusement car « on voit les femmes arriver tardivement en consultation, quand les symptômes ne sont plus tenables, observe le Dr Giwerc. Mais même sur le tard, on peut se défaire de ses troubles mictionnels. On dresse d’abord le bilan en demandant à la patiente de remplir un calendrier des mictions, on observe ses symptômes, son ressenti, et on met en place l’accompagnement nécessaire. Les troubles mictionnels ne sont pas une fatalité, il faut simplement savoir reprendre de bonnes habitudes ».